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C’était, bâti au milieu d’une clairière, un manoir à un seul étage sous un comble flanqué de deux tourelles. Devant, s’étalait une pièce d’eau circulaire ornée en son centre d’une statue d’enfant tenant à bras-le-corps un poisson d’où jaillissait un jet d’eau. Le chemin qui y menait fuyait sous les arbres dans l’axe même de la fontaine. Tout autour s’épaississait d’une forêt.

— Où sommes-nous ? demanda Lorenza.

— Cela a-t-il beaucoup d’importance ? répondit la femme avec un accent facile à identifier.

— Vous êtes de Florence, vous aussi ?

— Non. De Toscane, oui ! Je dois vous conduire à votre chambre. Là-haut, il y a du feu.

Le vestibule ne présentait aucun intérêt. Peu de noblesse : seulement quatre chaises à haut dossier se faisant face le long de deux murs et un coffre de bois sculpté où était posé un chandelier où cinq bougies flambaient. Au fond, un assez bel escalier filait droit vers les ombres du plafond.

Bien qu’il ne fit pas froid, Lorenza frissonna. En dépit de la femme, impeccable sous son bonnet blanc et son tablier, des quelques meubles, cette maison sentait l’abandon. Il y avait d’ailleurs de la poussière sur le coffre du rez-de-chaussée... Pourtant, quand une porte s’ouvrit sous la main de son guide, elle découvrit une chambre relativement accueillante. Un bon feu était allumé dans la cheminée. Au fond de la pièce, trônait un lit à colonnes garni de draps de soie et de couvertures brodées, des tapis bleus et rouges réchauffaient le parquet et des meubles - dont une table à coiffer où il ne manquait rien ! - de bonne qualité et d’un goût certain, malgré une facture datant du siècle précédent, complétaient le décor. Enfin, plusieurs chandeliers et un vase de marguerites d’automne ajoutaient même une note de gaieté à l’ensemble.

— Je vais vous donner quelque chose à manger, fit la femme. Vous devez avoir faim ?

— Pas vraiment ! J’aimerais seulement un peu de vin !

— Je vais vous en apporter. Cela vous permettra d’attendre le souper que l’on servira sans doute ici même... Oh! Mon Dieu ! Quelle magnifique robe !

Tout en parlant, elle avait ôté le manteau de Lorenza, découvrant la "toilette quelle portait. En effet, attendant l’arrivée de Thomas, la jeune femme avait choisi l’une de celles qu’il préférait, velours noir et satin blanc sans collerette afin de mieux dégager les épaules, la gorge et le cou au long duquel tremblaient les girandoles de diamants, de rubis et d’émeraudes assorties à la rose épanouie faite des mêmes pierres et agrafée au creux profond du décolleté. En laissant Guillemette les lui accrocher, elle avait eu les larmes aux yeux au souvenir des mains caressantes de son époux ôtant la fleur pour la remplacer par ses lèvres. Elle avait tant espéré qu’en la revoyant ainsi parée les souvenirs remonteraient des profondeurs obscurcies de sa mémoire ! Ce soir, elle les portait peut-être pour la dernière fois...

Ne jugeant pas utile de répondre à l’exclamation admirative, elle alla s’asseoir près du feu.

— Apportez-moi du vin ! rappela-t-elle sans la regarder.

Elle ne tourna pas davantage les yeux quand un léger grincement de la porte se fit entendre, se contentant d’avancer la main pour prendre le verre présenté sur un plateau, sans cesser de suivre distraitement la danse des flammes dans la cheminée.

— Ce vin d’Alicante devrait vous plaire ! fit une voix masculine. Rien de tel pour les émotions ! Dieu, que vous êtes maladroite !

Poussant un cri, elle s’était en effet relevée brusquement, laissant échapper le gobelet de cristal qui se brisa à ses pieds et fit soudain volte-face à... Antoine de Sarrance, qui était devant elle !

— Ainsi, c’était donc vous ? Lâcha-t-elle avec lassitude.

Il s’éloigna d’elle pour s’adosser à l’une des colonnes du lit.

— L’idée ne vous en est jamais venue ? Qui croyiez-vous donc rencontrer ici ?

L’écho de deux voix parlant en italien parvint jusqu’à eux par la porte entrouverte. Ce qui le fit s’esclaffer.

— Ce bon Concini, bien sûr ! C’est d’ailleurs ce que j’espérais. Et je reconnais que je lui dois quelque gratitude ! Il a énormément fait pour moi !

— Tuer votre père, par exemple ?

— Il est certain que, par la suite, je m’en suis félicité mais, en fait, ce Bertini, qui n’était pas très intelligent, a frappé pour lui rendre service. Il lui devait certaines choses et sachant qu’il vous convoitait a saisi l’occasion en vous voyant fuir. Il en a été bien mal remercié, comme vous le savez.

— Je sais qu’il est mort, c’est tout. Qui l’a tué ?

— Un autre séide de Concini mais, cette fois, sur ordre. L’imbécile était tellement content de lui qu’il en devenait gênant ! Fin de l’histoire !

Tandis qu’il parlait, Lorenza l’observait, cherchant à comprendre avec le recul ce qui s’était passé en elle ce fameux soir de Fontainebleau où leurs regards s’étaient croisés pour qu’en un instant elle eût oublié Vittorio pour ne plus voir que lui. Elle avait été si persuadée de l’aimer à ce moment. Son cœur avait dû s’embraser à la flamme de la passion qu'elle avait pu lire dans son regard ! Il était beau alors !... C’était toujours vrai mais elle avait en face d’elle un homme incroyablement différent et, celui-là, il lui répugnait ! Le contraire eût été surprenant : n’était-elle pas venue rencontrer son pire ennemi ?

Repoussant du pied les débris de verre, elle se rassit, ce qui lui permit de sentir contre sa jambe la présence rassurante de la dague et sa main glissa doucement vers l’ouverture de sa robe.

— Pas tout à fait, reprit-elle. Il faut aussi admirer vos talents de faussaire, l’image parfaite de la dague, c’était à s’y méprendre ! Toujours la bande à Concini, je présume ?

— Bien entendu ! Il y a de tout dans le flot italien qui accompagnait la Reine à son arrivée. Des artistes parfois mais, en ce qui concerne les lettres, ce n’était pas difficile d’en faire d’identiques : mon père en avait reçu une avant le mariage - d’où la cotte de mailles ! - et l’avait conservée. Je l’ai retrouvée dans son écritoire. Une telle œuvre d’art, cela se garde, outre le fait que cela donne à penser... Mais vous aviez demandé du vin et vous l’avez renversé ! Je vais appeler...

— N’en faites rien ! Je n’en ai plus envie !

— Pourquoi donc ? Nous allons au contraire boire ensemble... à cette nuit qui nous attend... et que je veux inoubliable !

— Comme celle que m’a infligée votre père ?

— Sous des dehors apparemment policés, mon père était un sauvage. Oser abîmer la perfection que vous êtes ! Soyez rassurée, vous n’aurez de moi que des caresses !... Dieu que vous êtes belle ! Bien plus encore que lorsque vous êtes arrivée de Florence !

— Trêve de fadaises ! Vous avez prétendu détenir mon époux : je viens le chercher !

— Le chercher ? (Il eut un rire bref.) Vous n'avez rien compris. Il n’en a jamais été question ! Je ne vous ai proposé que de le revoir vivant car je compte me débarrasser de cette coquille vide ! Dommage ! C’était un bon compagnon autrefois... Hélas pour lui, c’était avant vous ! Vous êtes apparue et tout a changé !

— Je veux le voir !

— Mais vous allez le voir, sinon où serait le piment de cette nuit ? En fait, la façon dont il passera de vie à trépas va dépendre uniquement de votre bonne volonté ! Je vais le faire amener...

— Un moment encore !

— Vraiment ? Je vous croyais pressée !

— Il y a deux choses que je voudrais savoir !

— Quoi par exemple ?