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Et que je te crique.

Et que je te craque.

Et que je te croque !

Entrez, prince !

Le second appartement est la réplique du premier ; en moins vaste. Il y a des housses sur les meubles, kif au bon vieux temps. Ça fouette le renfermé et une épaisse couche de poussière s’est déposée sur les surfaces planes.

On se fait la check-list. Entrée ? R.a.s. ! Livinge ? R.a.s. ! Cuisine ? R.a.s. ! Chambre (ici il n’y en a qu’une) ? R.a.s. ! Des housses, et encore des housses qui transforment les meubles, les sièges, le lit en mobilier fantôme.

— Merdre ! ubué-je.

Ma bouffée d’allégresse se fait la malle. Moi qui croyais déjà tenir la vérité !

— Tu ne remarques rien ? demande Jérémie.

— Non, quoi ?

— Il n’y a pas de tapis dans cette chambre.

Je constate, puis, las :

— Non, y a pas de tapis. C’est une chambre sans tapis !

— Pas même une simple descente de lit !

— La moquette suffisait à la maman Lassale-Lathuile, faut croire, elle devait avoir des goûts plus modestes que son fils.

— Pourtant, il y en a eu un.

Il me montre une décoloration géométrique, en deçà du lit.

D’un geste brusque, j’arrache la housse couvrant le plumard. Le matelassage des panneaux est lisse. Il n’existe pas de couvre-lit, simplement les draps et les couvrantes pliés soigneusement sur le matelas. M. Blanc empare la couvrante et la déploie avec le geste tournant d’un marchand de carpettes exhibant sa camelote.

— Il y a du sang ! annonce-t-il en montrant une tache en forme d’Italie (y compris la Sardaigne, mais sans la Sicile).

Je me penche.

— Exact.

Il continue ses investigations.

— Il y en a également sur le montant.

Et de désigner quelques minuscules étoiles.

— On a interverti les deux lits, fait-il, en empruntant les portes de service. Cela s’est probablement passé avant le jour et les « déménageurs » ne risquaient pas grand-chose.

— Le corps ? demandé-je péremptoirement, comme si ce pauvre M. Blanc avait des comptes à me rendre.

— Ils l’auront embarqué dans le tapis, ça se fait beaucoup.

Je me rends dans la salle de bains attenante à la chambre. Ici, comme ailleurs, tout paraît tranquille, en ordre. Pourtant, un examen approfondi du lavabo nous permet de déceler d’infimes éclaboussures.

— Tu me crois, maintenant ? demandé-je à Jérémie.

— Je t’ai toujours cru ; une chose aussi énorme ne pouvait qu’être vraie.

— Les gens qui sont parvenus à faire place nette avaient un sacré sang-froid, non ?

Au lieu de répondre, il retourne dans la chambre, va à la fenêtre pour ouvrir les rideaux.

— Il n’y en a plus qu’un à cette croisée, déclare Bamboula. Ils l’ont tiré un max pour que la chose ne saute pas aux yeux. L’autre, celui de l’autre chambre à travers lequel le meurtrier a tiré est parti en même temps que le tapis.

Je lui donne l’accolade.

— Désormais, je vais t’appeler Magloire, car tu es ma gloire, fiston. L’honneur de ma carrière sera de t’avoir découvert.

Il noircit, ce qui est la meilleure façon de rougir pour un Sénégalais.

— J’ai faim, répond-il, car il est pudique et les compliments le mettent en porte à faux avec ses pompes.

— Je t’invite à Saint-Cloud, m’man va nous faire un frichti classé monument historique.

— Je vous remercie de bien vouloir me parler, Excellence !

La voix est chaleureuse, enjouée.

— Je ne vois pas pourquoi je refuserais de parler au fameux commissaire San-Antonio ! rétorque l’ambassadeur. Vous êtes à Djakarta ?

Et moi qui m’entends lui répondre :

— Pas encore !

— Ce qui sous-entend que vous allez y venir ?

— Probablement.

— En ce cas, je vous retiens déjà pour un dîner à la résidence.

— C’est très aimable à vous, Excellence.

— En quoi puis-je vous être utile ?

— Eh bien, ce que j’ai à vous demander est très particulier. Mais le temps presse et, toutes réflexions faites, vous constituez mon unique recours.

— J’en suis flatté.

— Il y a présentement, dans le vol Paris-Djakarta, un fonctionnaire français accompagné d’une femme qu’il fait passer pour son épouse. L’homme en question se nomme Lucien Lassale-Lathuile.

— N’est-il pas aux Finances ?

— En effet.

— Je le connais. Nous étions à Louis-le-Grand ensemble, mais pas dans la même classe.

— Le hasard est miraculeux ! dis-je. Lassale-Lathuile va se poser à sept heures trente du matin, heure de Java. Disposeriez-vous, à l’ambassade, d’un collaborateur astucieux, capable de guetter votre ancien condisciple à son débarquement, de le repérer et de le suivre ? J’aimerais savoir où il descend et ce que seront ses activités en Indonésie. Sale besogne, n’est-ce pas, Excellence ?

Il éclate de rire.

— J’ai, à l’ambassade, un groupe de jeunes coopérants dont je ne sais trop que faire, et qui vont prendre un pied terrible à jouer au flic.

— Ils ne sont pas trop chiens fous ?

— Rassurez-vous : des gosses très bien, instruits, malins, pleins d’humour.

— Alors, c’est parfait. Je vais vous donner le signalement de Lassale-Lathuile.

— Inutile. Le directeur d’Air France pour l’Indonésie se fera un plaisir de nous le faire désigner au moment des formalités d’entrée. Quand pensez-vous venir, commissaire ?

— Par le prochain vol, Excellence. Je vais me renseigner.

— Vous avez un avion pour Djakarta dans trois jours.

— Je pense m’embarquer beaucoup plus vite, en passant par Londres ou Genève, voire Francfort ! Encore merci, et mes respects, Excellence.

Rondement mené.

— Notre ambassadeur pour l’Indonésie est un type très bien, annoncé-je.

Le Noirpiot boit une gorgée de café.

— Alors tu vas courser le veuf ?

— L’instinct du chien de chasse. Quelque chose me dit que tout ce circus cache quelque chose de capital. Lucien L.-L. ne va pas là-bas en vacances !

— Cependant, il y emmène sa maîtresse, du moins une fille qu’on peut soupçonner de l’être.

— N’importe. Ça pue le cramé, cette histoire ! Sa bonne femme froidement assassinée, en plein adultère, dont, aussitôt après, on déménage le cadavre. L’échange du mobilier pour redonner à la chambre du drame l’éclat du neuf ! Après quoi, mon vaillant contrôleur s’embarque pour l’Indonésie en compagnie d’une sœur qu’il emmène sous le nom de sa femme, voilà qui manque de simplicité.

Je prends un léger temps :

— Tu veux bien m’accompagner là-bas, grand primate ?

Du coup, c’est la rayonnance au néon sur la frite de Jérémie.

— Tu crois qu’on acceptera, au service des notes de frais ?

— Le Vieux signera tous les ordres de mission que je voudrai ! assuré-je.

Bon, alors je chope ma petite valdingue toujours prête pour les départs précipités, on passe chez les Blanc où Ramadé, la douce épouse, prépare celle de Jérémie (un superbe bagage en carton, aux coins renforcés plastique). La scène des adieux est sobre, d’une émouvance à se pisser dans le froc. On rabat enfin sur la Maison Poulardoche. Pendant que je m’occupe d’aller faire débloquer les fonds, Jérémie va potasser les horaires internationaux, histoire de combiner une cascade de vols propres à nous conduire à Djakarta dans les meilleurs des laids.

Lorsque je le retrouve, il a tout goupillé de première : en fin de soirée, un flight de la Singapore Airlines nous emportera à Singapour où nous aurons une correspondance sur Garuda Indonesian Airways pour Djakarta.