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– M. de Trémorel, répondit-il, a commis un grand crime.

– Lui!… vous mentez, monsieur.

L’agent de la Sûreté secoua tristement la tête.

– Je dis vrai, malheureusement, insista-t-il. M. de Trémorel a assassiné sa femme dans la nuit de mercredi à jeudi; je suis agent de police, et j’ai ordre de l’arrêter.

Il supposait que cette terrible accusation allait foudroyer Laurence et la renverser. Il se trompait. Elle était foudroyée, mais elle restait debout. Le crime lui faisait horreur, mais il ne lui paraissait pas absolument invraisemblable, ayant compris la haine que Berthe inspirait à Hector.

– Eh bien! soit, s’écria-t-elle, sublime d’énergie et de désespoir, soit, je suis sa complice, arrêtez-moi.

Ce cri, qui paraissait arraché à la passion la plus folle, atterra le père Plantat, mais ne surprit pas M. Lecoq.

– Non, madame, reprit-il, non, vous n’êtes pas la complice de cet homme. D’ailleurs le meurtre de sa femme est le moindre de ses forfaits. Savez-vous pourquoi il ne vous a pas épousée? C’est que de concert avec Mme Berthe, qui était sa maîtresse, il a empoisonné Sauvresy, son sauveur, son meilleur ami. Nous en avons la preuve.

C’était plus que n’en pouvait supporter l’infortunée Laurence, elle chancela et tomba mourante sur le canapé.

Mais elle ne doutait pas. Cette terrible révélation déchirait le voile qui, jusqu’alors, avait pour elle recouvert le passé. Oui, l’empoisonnement de Sauvresy lui expliquait toute la conduite d’Hector, sa position, ses craintes, ses promesses, ses mensonges, sa haine, son abandon, son mariage, sa fuite, tout enfin.

Pourtant, elle essayait encore, non de le défendre, mais de prendre la moitié de ses crimes.

– Je le savais, balbutia-t-elle, d’une voix brisée par les sanglots, je savais tout.

Le vieux juge de paix était au désespoir.

– Comme vous l’aimez, pauvre enfant, s’écria-t-il, comme vous l’aimez!

Cette douloureuse exclamation rendit à Laurence toute son énergie, elle fit un effort et se redressa l’œil brillant d’indignation:

– Moi l’aimer, s’écria-t-elle, moi!… Ah! tenez, à vous, mon seul ami je puis expliquer ma conduite, car vous êtes digne de me comprendre. Oui, je l’ai aimé; c’est vrai, aimé jusqu’à l’oubli du devoir, jusqu’à l’abandon de moi-même. Mais un jour il s’est montré à moi tel qu’il est, je l’ai jugé, et mon amour n’a pas résisté au mépris. J’ignorais l’assassinat terrible de Sauvresy, mais Hector m’avait avoué que son honneur et sa vie étaient entre les mains de Berthe…, et qu’elle l’aimait. Je l’ai laissé libre de m’abandonner, de se marier, sacrifiant ainsi plus que ma vie à ce que je croyais son bonheur, et cependant je n’avais plus d’illusions. En fuyant avec lui, je me sacrifiais encore. Quand j’ai vu que cacher ma honte devenait impossible, j’ai voulu mourir. Si je vis, si j’ai écrit à ma malheureuse mère une lettre infâme, si en un mot, j’ai cédé aux prières d’Hector, c’est qu’il me priait au nom de mon enfant… de notre enfant.

M. Lecoq qui sentait que le temps pressait essaya une observation, Laurence ne l’écouta pas.

– Mais qu’importe! poursuivait-elle. Je l’ai aimé, je l’ai suivi, je suis à lui. La constance, voilà la seule excuse d’une faute comme la mienne. Je ferai mon devoir. Je ne saurais être innocente quand mon amant a commis un crime, je veux la moitié du châtiment.

Elle parlait avec une animation si extraordinaire que l’agent de la Sûreté désespérait de la calmer, lorsque deux coups de sifflet, donnés dans la rue, arrivèrent jusqu’à lui. Trémorel rentrait, il n’y avait plus à hésiter, il saisit presque brutalement le bras de Laurence.

– Tout cela, madame, fit-il d’un ton dur, vous le direz aux juges, mes ordres ne concernent que le sieur Trémorel. Voici, au surplus, le mandat d’amener…

Il sortit à ces mots le mandat décerné par M. Domini et le posa sur la table.

À force de volonté, Laurence était redevenue presque calme:

– Vous m’accorderez bien, demanda-t-elle, cinq minutes d’entretien avec M. le comte de Trémorel.

M. Lecoq eut un tressaillement de joie. Cette demande, il l’avait prévue, il l’attendait.

– Cinq minutes, soit, répondit-il. Mais renoncez, madame, à l’espoir de faire évader le prévenu, la maison est cernée; regardez dans la cour et dans la rue, vous verrez mes hommes en embuscade. D’ailleurs, je vais rester là, dans la pièce voisine.

On entendit le pas du comte dans l’escalier.

– Voici Hector, fit Laurence, vite, bien vite, cachez-vous.

Et comme ils disparaissaient elle ajouta, mais non si bas que l’agent de la Sûreté ne l’entendit:

– Soyez tranquilles, nous ne nous évaderons pas.

Elle laissa retomber la portière; il était temps, Hector entrait. Il était plus pâle que la mort, ses yeux avaient une affreuse expression d’égarement.

– Nous sommes perdus, dit-il, on nous poursuit. Vois, cette lettre que je viens de recevoir, ce n’est pas l’homme dont elle porte la signature qui l’a écrite, il me l’a dit. Viens, partons, quittons cet hôtel…

Laurence l’écrasa d’un regard plein de haine et de mépris, et dit:

– Il est trop tard.

Sa contenance, sa voix étaient si extraordinaires que Trémorel, malgré son trouble, en fut frappé et demanda:

– Qu’y a-t-il?

– On sait tout, on sait que vous avez assassiné votre femme.

– C’est faux.

Elle haussa les épaules.

– Eh bien! oui, c’est vrai, oui, c’est que je t’aimais tant!…

– Vraiment! Est-ce aussi par amour pour moi que vous avez empoisonné Sauvresy?

Il comprit, qu’en effet, il était découvert, qu’on l’avait attiré dans un piège, qu’on était venu, en son absence, informer Laurence de tout. Il n’essaya pas de nier.

– Que faire? s’écria-t-il, que faire?

Laurence l’attira vers elle, et, d’une voix frémissante, elle murmura:

– Sauvez le nom de Trémorel, il y a des armes ici.

Il recula, comme s’il eût vu la mort elle-même.

– Non, fit-il, non, je peux encore fuir, me cacher, je pars seul, tu viendras me rejoindre.

– Je vous l’ai déjà dit, il est trop tard, la police a cerné la maison. Et vous le savez, c’est le bagne ou l’échafaud.

– On peut se sauver par la cour.

– Elle est gardée, voyez.

Il courut à la fenêtre, aperçut les hommes de M. Lecoq et revint hideux de terreur, à moitié fou.

– On peut toujours essayer, disait-il, en se déguisant…

– Insensé! Il y a là, tenez, un agent de police, et c’est lui qui a laissé sur le coin de cette table ce mandat d’arrêt.

Il vit qu’il était perdu sans ressources.

– Faut-il donc mourir! murmura-t-il.

– Oui, il le faut, mais, auparavant, écrivez une déclaration de vos crimes, on peut soupçonner des innocents…

Machinalement il s’assit, prit la plume que lui tendait Laurence, et écrivit: