Выбрать главу

Il ne savait pas précisément quel personnage l’interrogeait, mais il avait flairé quelque agent supérieur de la préfecture de police.

Dès lors, il ne fut point surpris de voir que ce monsieur si distingué connaissait, comme lui-même, les êtres de sa maison et ouvrait sans hésitation la porte du cabinet indiqué. Dans ce compartiment du fond, séparé des autres par une simple cloison de verre dépoli, dix hommes à tournures variées buvaient en maniant des cartes.

À l’entrée de M. Lecoq et du père Plantat, ils se levèrent respectueusement et ceux qui avaient conservé leur coiffure, chapeau ou casquette, la retirèrent.

– Bien, M. Job, dit l’agent de la Sûreté à celui qui paraissait le chef de la troupe, vous êtes exact, je suis content. Vos six hommes me suffiront amplement, puisque je vois là mes trois commissionnaires de ce matin.

M. Job s’inclina, heureux d’avoir satisfait un maître qui n’est pas prodigue de témoignages d’approbation.

– Vous allez m’attendre ici encore une minute, reprit M. Lecoq, mes instructions dépendront du rapport que je vais entendre.

S’adressant alors à ses envoyés:

– Lequel de vous, demanda-t-il, a réussi?

– Moi, monsieur, répondit un grand garçon à face blême, à petites moustaches chétives, un vrai Parisien.

– Encore toi, Pâlot, décidément, mon garçon, tu as de la chance. Suis-moi dans le cabinet à côté, mais auparavant dis au patron de nous donner une bouteille et de veiller à ce que personne ne vienne nous déranger.

Bientôt les ordres furent exécutés, et après avoir fait asseoir le père Plantat, M. Lecoq poussa lui-même le léger verrou du cabinet.

– Parle, maintenant, dit-il à son homme, et sois bref.

– Donc, monsieur, j’avais en vain montré ma photographie à une douzaine de négociants, lorsque rue des Saints-Pères un des bons tapissiers du faubourg Saint-Germain, nommé Rech, l’a reconnue.

– Rapporte-moi ce qu’il t’a dit, mot pour mot, s’il se peut.

– «Ce portrait, m’a-t-il dit, est celui d’un de mes clients. Ce client s’est présenté chez moi, il y a un mois environ, pour acheter un mobilier complet – salon, salle à manger, chambre à coucher, et le reste – destiné à un petit hôtel qu’il venait de louer. Il n’a rien marchandé, ne mettant au marché qu’une condition, c’est que tout serait prêt, livré, en place, les rideaux et les tapis posés, à trois semaines de là, c’est-à-dire, il y a eu lundi dernier huit jours.»

– À combien montaient les acquisitions?

– À dix-huit mille francs qui ont été payés moitié d’avance, moitié le jour de la livraison.

– Qui a remis les fonds, la seconde fois?

– Un domestique.

– Quel nom a donné ce monsieur au tapissier?

– Il a dit s’appeler M. James Wilson, mais M. Rech m’a dit qu’il n’avait pas l’air d’un Anglais.

– Où demeure-t-il?

– Les meubles ont été portés dans un petit hôtel, rue Saint-Lazare, n°…, près de la gare du Havre.

La figure de M. Lecoq, assez soucieuse jusqu’alors, exprima la joie la plus vive. Il éprouvait l’orgueil si légitime et si naturel du capitaine qui voit réussir les combinaisons qui doivent perdre l’ennemi. Il se permit de taper familièrement sur l’épaule du vieux juge de paix en prononçant ce seul mot:

– Pincé!…

Mais le Pâlot secoua la tête.

– Ce n’est pas sûr, dit-il.

– Pourquoi?

– Vous le pensez bien, monsieur, l’adresse m’étant connue, ayant du temps devant moi, je suis allé reconnaître la place, c’est-à-dire le petit hôtel.

– Et alors?

– Le locataire s’appelle bien Wilson, mais ce n’est pas l’homme au portrait, j’en suis sûr.

Le juge de paix eut un geste de désappointement, mais M. Lecoq ne se décourageait pas si vite.

– Comment as-tu des détails? demanda-t-il à son agent.

– J’ai fait parler un domestique.

– Malheureux! s’écria le père Plantat, vous avez peut-être éveillé les soupçons!

– Pour cela, non, répondit M. Lecoq, j’en répondrais; Pâlot est mon élève. Explique-toi, mon garçon.

– Pour lors, monsieur, l’hôtel reconnu, habitation cossue, ma foi! Je me suis dit: «Voici bien la cage, sachons si l’oiseau est dedans.» Mais comment faire? Par bonheur, et par le plus grand des hasards, j’avais sur moi un louis; sans hésiter, je le glisse dans le canal qui conduit au ruisseau de la rue, les eaux ménagères de l’hôtel.

– Puis tu sonnes?

– Comme de juste. Le portier – car il y a un portier – vient m’ouvrir, et moi de mon air le plus vexé je lui raconte qu’en tirant mon mouchoir de poche, j’ai laissé tomber vingt francs et je le prie de me prêter un instrument quelconque pour essayer de les rattraper. Il me prête un morceau de fer, il en prend un de son côté, et en moins de rien nous retrouvons la pièce. Aussitôt, je me mets à sauter, comme si j’étais le plus heureux des hommes et je le prie de se laisser offrir un verre de n’importe quoi, en manière de remerciement.

– Pas mal!

– Oh! M. Lecoq, ce truc est de vous, mais vous allez voir le reste, qui est de moi. Mon portier accepte, et nous voilà les meilleurs amis du monde, buvant un verre de bitter dans un débit qui est en face de l’hôtel. Nous causions gaiement, quand tout à coup je me baisse comme si je venais d’apercevoir, à terre, quelque chose de surprenant, et je ramasse quoi? la photographie que j’avais laissée tomber et que j’avais un peu abîmée avec mon pied. «Tiens! dis-je, un portrait!» Mon nouvel ami le prend, le regarde et n’a pas l’air de le reconnaître. Alors, pour être plus sûr, j’insiste et je dis: «Il est très bien ce monsieur, votre maître doit être dans ce genre, car tous les hommes bien se ressemblent.» Mais il répond que non, que l’homme du portrait a toute sa barbe, tandis que son maître est rasé comme un abbé. «D’ailleurs, ajoute-t-il, mon maître est Américain, il nous donne les ordres en français, c’est vrai, mais Madame et lui causent toujours en anglais.»

À mesure que parlait le Pâlot, l’œil de M. Lecoq redevenait brillant.

– Trémorel parle anglais, n’est-ce pas? demanda-t-il au père Plantat.

– Très passablement, et Laurence aussi. Cela étant, notre piste est bien la bonne, car nous savons que Trémorel a coupé sa barbe le soir du crime. Nous pouvons marcher…

Cependant le Pâlot, qui s’attendait à des éloges, paraissait quelque peu décontenancé.

– Mon garçon, lui dit l’agent de la Sûreté, je trouve ton enquête très jolie, une bonne gratification te le prouvera. Ignorant ce que nous savons, tes déductions étaient justes. Mais revenons à l’hôtel, tu dois avoir le plan du rez-de-chaussée?

– Certes, monsieur, et aussi du premier. Le portier, qui n’était pas muet, m’a donné quantité de renseignements sur ses maîtres qu’il ne sert pourtant que depuis deux jours. La dame est affreusement triste et ne fait que pleurer.

– Nous le savons. Le plan, le plan…

– En bas, nous avons une large et haute voûte pavée, pour le passage des voitures. De l’autre côté de la voûte est une assez grande cour, l’écurie et la remise, sont au fond de la cour. À gauche de la voûte est le logement du portier. À droite est une porte vitrée donnant sur un escalier de six marches, qui conduit à un vestibule sur lequel ouvrent le salon, la salle à manger et deux autres petites pièces. Au premier se trouvent les chambres de Monsieur et Madame, un cabinet de travail, un…