Выбрать главу

Agatha CHRISTIE

(15.09.1890 - 12.01.1976)

Le Crime de l'Orient-Express

Traduction : Louis Positif

Parce qu'une intrigue policière est un bon dérivatif et que ses contemporains, pris comme elle dans les remous de la guerre de 1914-1918, ont besoin de se changer les idées, une jeune Anglaises (à demi américaine par son père) s'amuse à écrire un roman policier en dehors de son service d'infirmière volontaire. Elle s'appelle Agatha Miller et vient d'épouser Archibald Christie. Elle est née en 1890 à Torquay, dans le Devon, où elle a reçu à domicile une éducation soignée, et elle écrit depuis longtemps poèmes, contes ou nouvelles.

Son premier roman,   La Mystérieuse Affaire de Styles ,  ne trouve d'éditeur qu'en 1920. Son septième,   Le Meurtre de Roger Ackroyd ,  classe en 1926 Agatha Christie parmi les grands du policier et son héros, le détective belge Hercule Poirot, parmi les vedette du genre - où le rejoindra la sagace Miss Marple. Le succès est dès lors assuré à tous ses ouvrages qui paraissent au rythme d'un ou deux par an.

Divorcée en 1928, Agatha Christie s'est remariée en 1930 avec l'archéologue Max Mallowan qu'elle accompagne en Syrie et en Irak dans ses campagnes de fouilles, comme elle le dit dans son autobiographie : Come, tell me how you live (Dites-moi comme vous vivez, 1946).

Sous le nom de Mary Westmacott, elle a publié plusieurs romans, dont   Unfinished Portrait  (Portrait inachevé, 1934), Absent in the Spring  (Loin de vous ce printemps, 1944),   The Rose and the Yew Tree  (L'If et la Rose, 1948),   A Daughter's a Daughter  (Ainsi vous les filles, 1952),   The Burden  (Le Poids de l'amour, 1956). Enfin, elle a triomphé au théâtre dans Witness for Prosecution  (Témoin à charge, 1953).

Agatha Christie est morte dans sa résidence de Wallingford, près d'Oxford (Angleterre), en janvier 1976. Elle est un des auteurs les plus lus dans le monde.

Les Faits

u □

Un voyageur de marque sur le

« Taurus-Express »

A cinq heures du matin, en gare d'Alep, stationnait le train désigné sous le nom pompeux de « Taurus-Express ». Il comprenait un wagon-restaurant, un sleeping-car et deux autres voitures.

Devant le marchepied du sleeping-car, un jeune lieutenant français, en uniforme élégant, couvert d'un épais manteau, conversait avec un petit homme emmitouflé jusqu'aux oreilles et dont on n'apercevait que le bout du nez rouge et deux forte moustaches relevées en croc.

Par ce froid glacial, accompagner au train un étranger d'importance n'offrait rien d'enviable, mais le lieutenant Dubosc s'acquittait de cette corvée avec une bonne grâce parfaite et prodiguait au voyageur des amabilités en un langage des plus châtiés. Le jeune officier ne savait pas au juste de quoi il s'agissait. De vagues rumeurs avaient circulé dans la garnison. Le général - son général -s'était montré pendant quelques jours d'humeur massacrante, jusqu'à l'arrivée de ce Belge qui, paraît-il, avait fait tout exprès pour cette occasion - quelle occasion !... - le voyage d'Angleterre en Syrie. Après une semaine écoulée dans une atmosphère des plus tendues, les événements s'étaient précipités : un officier avait démissionné, un personnage occupant des fonctions civiles avait été rappelé par son gouvernement. Puis les visages anxieux s'étaient rassérénés et certains règlements rigoureux s'étaient peu à peu relâchés ; enfin, le général - le général du lieutenant Dubosc - avait retrouvé sa bonne humeur.

Dubosc avait surpris quelques bribes de conversation entre son chef et l'étranger.

Mon cher, disait le vieux général d'une voix émue, vous avez éclairci une affaire pénible et évité de graves complications ! Comment vous remercier de votre empressement à répondre à mon appel ?

A quoi l'étranger (M. Hercule Poirot, pour l'appeler par son nom) avait fait une réponse adéquate où entrait cette phrase :

Je ne saurais oublier, mon général, qu'un jour vous m'avez sauvé la vie.

Le général, ne voulant pas être en reste de cordialité avec son interlocuteur, avait désavoué le mérite de ce lointain service. Après de nouvelles phrases imprécises où revenaient à tour de rôle les mots « France, Belgique, gloire, honneur » et autres vocables de la même famille, ils s'étaient donné l'accolade et s'étaient séparés.

En ce qui concernait le fond même de l'histoire, le lieutenant Dubosc demeurait dans une ignorance complète. La mission lui était échue d'accompagner M. Poirot au train et il s'en acquittait avec tout le zèle et le tact d'un jeune officier digne de la brillante carrière qui s'ouvrait devant lui.

C'est aujourd'hui dimanche, dit le lieutenant Dubosc. Demais soir, lundi, vous arriverez à Stamboul.

Ce n'était pas la première fois qu'il faisait cette observation. Les mêmes propos sur le quai des gares à l'heure du départ d'un train se répète souvent.

En effet, acquiesça M. Poirot.

Et vous avez l'intention d'y rester quelques jours ?

Oui. Ne connaissant pas Stamboul, je ne voudrais pas y passer sans m'arrêter. Rien ne me presse. Je visiterai la ville en touriste.

L'église Sainte-Sophie est une merveille, déclara le lieutenant Dubosc, qui ne l'avait jamais vue.

Une vent coupant balaya soudain le quai. Les deux hommes furent pris d'un frisson. Le lieutenant jeta un coup d'œil furtif à sa montre-bracelet. Cinq heures moins cinq... Encore cinq minutes !

S'imaginant que l'autre avait remarqué son geste, il se hâta de reprendre la conversation.

Peu de gens voyagent à cette époque de l'année, observa-t-il en levant les yeux vers les fenêtres du sleeping-car.

En effet.

Espérons que le « Taurus » ne sera pas bloqué par les neiges !

Cet accident arrive quelquefois ?

Oui, mais il ne s'est pas encore produit cette année.

Conservons toujours l'espoir, dit M. Poirot. Mais les renseignements atmosphériques venant d'Europe n'annoncent rien de bon.

On prévoir d'abondantes chutes de neige dans les Balkans.

Et de même en Allemagne.

Alors, s'empressa de poursuivre le lieutenant Dubosc, prévoyant une nouvelle pause dans la conversation, demain soir, à sept heures quarante, vous arriverez à Constantinople.

Oui.

Et M. Poirot ajouta :

L'église Sainte-Sophie est très belle, m'assure-t-on.

Il paraît qu'elle est magnifique.

Au-dessus de leurs têtes, le store d'un des compartiments du wagon-lit se releva et une jeune femme mit son visage à la vitre.

Mary Debenham n'avait guère dormi depuis son départ de Bagdad, le jeudi précédent, pas plus dans le train de Kirkuk que dans l'hôtel de Mossoul ou la nuit dernière dans le wagon. Aussi, lasse de demeurer immobile et les yeux ouverts dans la chaleur étouffante de son compartiment, elle s'était levée et regardait par la portière.

Alep. Rien de sensationnel à voir : quasi interminable, mal éclairé, d'où montaient des altercations bruyantes en arabe.

Sous la portière du compartiment de la jeune femme, deux hommes s'entretenaient en français, l'un d'eux un officier français, l'autre, un petit bonhomme à longues moustaches. Elle sourit en voyant ce dernier emmitouflé. Il devait faire très froid dehors, voilà pourquoi le train était surchauffé. Elle essaya d'abaisser la vitre, mais elle n'y parvint pas.