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Le conducteur du wagon-lit s'approcha des deux hommes et leur annonça que le train allait partir. « Monsieur ferait bien de monter ». Le petit bonhomme souleva son chapeau. Malgré ses préoccupations, Mary Debenham ne put réprimer un sourire en voyant son crâne chauve. « Comment prendre au sérieux un personnage à l'aspect aussi ridicule ! » songea-t-elle.

Le lieutenant Dubosc débitait son discours d'adieu. Il le tenait tout prêt pour le servir à la dernière minute.

Pour ne point se laisser dépasser en éloquence, Poirot répondit dans le même style cérémonieux.

En voiture, monsieur ! insista le conducteur du wagon-lit.

Comme à regret, M. Poirot monta dans le train, et le conducteur après lui. M. Poirot agita la main et le lieutenant Dubosc répondit à ce salut. Le train, avec une formidable secousse, démarra.

Enfin !... murmura M. Hercule Poirot.

Brrr., fit le lieutenant Dubosc, constatant qu'il était gelé.

Voilà, monsieur.

D'un grand geste, le conducteur fit valoir aux yeux de Poirot le luxe de son compartiment et le superbe arrangement de ses bagages.

La petite valise de monsieur se trouve ici.

La main se tendait de façon discrète mais significative et Poirot y glissa un pourboire.

« Merci, Monsieur. »

Le conducteur prit un air affairé.

J'ai les billets de monsieur. Il me faudrait aussi le passeport, s'il vous plaît. Monsieur s'arrête à Stamboul ?

Oui. D'après ce que je vois, il n'y a pas beaucoup de voyageurs dans le sleeping ?

Non, monsieur. Seulement deux autres personnes : deux Anglais. Un colonel, retour des Indes et une jeune dame qui vient de Bagdad. Monsieur désire-t-il quelque chose ?

« Monsieur » demanda une petite bouteille d'eau minérale.

Cinq heures du matin en hiver est une heure vraiment détestable pour monter dans un train. Le jour ne paraît pas avant deux autres heures. Après une mission délicate conduite avec succès, et un sommeil écourté, Poirot, fatigué, se recroquevilla dans son coin et s'endormit.

Dès son réveil, vers neuf heures et demie, il se dirigea vers le wagon-restaurant pour avaler un café chaud.

A ce moment, il n'y avait dans le wagon-restaurant qu'une seule personne : de toute évidence, la jeune Anglaise annoncée par le conducteur. Grande, mince, brune, elle approchait de la trentaine. D'un air calme, elle prenait son déjeuner ; la manière dont elle commanda au garçon une seconde tasse de café dénotait l'usage du monde et l'habitude de voyager. Elle portait une toilette sombre et de tissu léger, qui convenait parfaitement, étant donné l'atmosphère suffocante des wagons.

M. Hercule Poirot, n'ayant rien de mieux à faire, s'amusa à la détailler, sans en laisser rien paraître.

Cette inconnue, estima-t-il, appartenait au genre de femmes qui savent se débrouiller partout et en toutes circonstances. Etait-elle jolie ? Il appréciait la régularité austère de ses traits et de pâleur délicate de son teint, ses cheveux noirs aux ondulations nettes et ses yeux gris au regard froid et impersonnel... Décidément, il lui trouvait l'air un peu trop grave pour la qualifier de « jolie femme ».

Bientôt, un autre personnage entra dans le wagon-restaurant, un homme de quarante à cinquante ans, de haute taille, au visage maigre, à la peau hâlée et aux tempes grisonnantes.

« Le colonel, retour des Indes », se dit Poirot à lui-même.

Le nouvel arrivant salua la jeune fille.

Bonjour, mademoiselle Debenham.

Bonjour, colonel Arbuthnot.

L'officier restait debout, une main posée sur le dossier de la chaise en face de la jeune fille.

Je ne vous dérange pas ?

Pas le moins du monde. Asseyez-vous.

On n'est pas toujours disposé à bavarder au petit déjeuner.

Non, mais tranquillisez-vous, je ne mords pas.

Le colonel s'assit.

Garçon ! appela-t-il d'une voix autoritaire.

Il commanda des œufs et du café.

Les yeux du colonel se posèrent un instant sur Hercule Poirot, puis se détournèrent, indifférentes. Poirot devina que l'Anglais songeait en lui-même : « Bah ! ce n'est qu'un simple étranger. »

Fidèles à leur tempérament, les deux Anglais se montrèrent peu loquaces. Ils échangèrent quelques brèves remarques et, au bout d'un moment, la jeune femme se leva et regagna son compartiment.

Au déjeuner, tous deux se retrouvèrent à la même table et feignirent d'ignorer la présence du troisième voyageur. Leur conversation fut cependant un peu plus animée. Le colonel parla de Punjah et posa à sa compagne plusieurs question sur Bagdad où elle avait occupé un poste de gouvernante. Au cours de la conversation, ils se découvrirent des amis communs et peu à peu devinrent plus familiers l'un envers l'autre. Le colonel s'informa si elle allait directement en Angleterre ou si elle comptait s'arrêter à Constantinople.

Non, je vais tout droit à Londres.

Quel dommage de ne pas visiter Stamboul en passant.

J'ai déjà fait le voyage il y a deux ans et j'ai passé trois jours à Stamboul.

En ce cas, je suis heureux que vous ne vous arrêtiez point, puisque moi aussi je continue tout droit.

Il esquissa un salut et rougit légèrement.

« Notre colonel est pincé, songea Poirot. Le train est aussi dangereux que le paquebot ! »

Miss Debenham, d'un ton calme, reconnut que le voyage semblerait en effet moins

long.

Hercule Poirot remarqua que le colonel accompagnait la jeune fille jusqu'à son compartiment. Un peu plus tard, le train passa devant la chaîne de montagne du Taurus. Debout dans le corridor, Miss Debenham et l'officier anglais contemplaient le paysage farouche et magnifique. Poirot qui se trouvait non loin d'eux, entendit la jeune fille soupirer :

Oh ! que c'est beau ! Je voudrais. je voudrais.

Quoi donc ?

Pouvoir regarder davantage ce spectacle !

Arbuthnot ne répondit pas. Son profil parut plus grave.

Je souhaiterais vous voir en dehors de tout cela ! murmura-t-il.

Chut ! Taisez-vous !

Ah ! oui, vous avez raison.

Il lança un coup d'œil du côté de Poirot, puis continua :

Si vous saviez à quel point je souffre de vous savoir dans cette situation de gouvernante à la merci des mères tyranniques et de leurs insupportables gamines !

Détrompez-vous ! dit-elle avec un petit rire nerveux. La gouvernante opprimée n'est plus qu'un mythe. Je vous assure que ce sont plutôt les parents qui me craignent.

Il y eut un silence. Peut-être Arbuthnot était-il confus de son indiscrétion.

« Ces deux-là m'ont l'air de jouer la comédie », si dit Poirot.

Plus tard, il devait se souvenir de cette réflexion.

Le train entra en gare de Konya vers onze heures et demie du soir. Les deux Anglais descendirent sur le quai pour se dégourdir les jambes.

M. Poirot se contenta d'abord d'observer à travers une fenêtre le va-et-vient de la station. Au bout d'une dizaine de minutes, il pensa qu'après tout un peu d'air frais lui ferait du bien. Il se livra à divers préparatifs : s'enveloppa de son manteau et de son cache-nez et enfonça ses souliers dans des caoutchoucs. Ainsi attifé, il posa le pied avec précaution sur l'asphalte couvert de neige et marcha jusqu'à ce qu'il eût dépassé la locomotive.