Выбрать главу

— Aussi sommes-nous venus vous la restituer en échange de celle que vous détenez par la force ! expliqua Lothaire.

— Moi ? Je ne détiens personne. Cette jeune bécasse s’est trompée d’adresse ! Elle a cru téléphoner ici, a fait une erreur de numéro sans doute, mais a dû tomber sur un quelconque malfrat qui a décidé de profiter de l’occasion. Les Vaudrey n’ont pas d’amis ici et…

Le reste du discours se perdit dans un fatras de borborygmes : les dernières paroles le concernant, Lothaire empoigna le nouveau châtelain de Granlieu par son nœud de cravate et entreprit de le secouer d’importance sans que le domestique toujours présent fît seulement mine de s’y opposer. Il est vrai que la gueule inquiétante du canon du revolver venait de reparaître au poing d’Aldo :

— On ne bouge pas ! intima-t-il. Je ne manque jamais ma cible, même mouvante !

Ainsi conforté, Lothaire relâcha la pression, laissant sa proie se frotter la gorge. Pas calmé pour autant, il se mit à hurler à destination du domestique :

— Au lieu de rester là comme une bûche, va chercher Pancrace et les autres pour me jeter dehors cette racaille !

Mais, avant que l’homme ait pu exécuter l’ordre du baron, la porte s’ouvrit et Hugo parut. Avant même qu’il eût dit un mot, le poids de sa présence se fit sentir et généra un silence. Peut-être parce que avec ses vêtements noirs, bottes, tenue de cheval, pull à col roulé, et les mèches de ses cheveux retombant sur son front, il évoquait étrangement certains portraits lointains auxquels ne manquait que la prestigieuse Toison d’Or.

Il posa sur la scène un regard curieusement calme, se tourna vers Mme de Sommières devant laquelle il s’inclina profondément, sourit à la jeune Marie, cependant que Karl-August se demandait aigrement ce qu’il venait faire. Hugo s’adressa alors à lui :

— Je suis venu au nom du Seigneur et de celui que nous portons tous deux vous demander de renoncer à tout ce mal dans lequel vous semblez vous complaire, mais surtout vous supplier de rendre sa liberté à la noble fille qui s’est livrée dans le seul espoir de me sauver. Ce piège était indigne d’elle – bien sûr ! –, mais surtout du nom que nous portons l’un et l’autre.

— Pas entièrement puisque nous ne sommes plus de la même nationalité !

— Ne jouez pas sur les mots ! Nous n’en sommes pas moins du même sang et je ressens douloureusement le mal que vous ne cessez de répandre autour de vous !

— Si vous vous mêliez de ce qui vous regarde ? Je mène ma vie comme je l’entends !

— Nul ne vous conteste ce droit à la seule condition qu’elle ne porte pas tort à autrui !

— Et si vous renonciez à jouer les frères prêcheurs ? J’entends faire ce qu’il me plaît !

— Il vous plaît donc de semer derrière vous la douleur et le désespoir ? Vous avez pourtant tout ce que vous désiriez puisque les « Trois Frères » sont désormais en votre possession !

— À cette différence près que, au lieu de trois, il semblerait que le duc Philippe en ait acheté six au Vénitien ! De quoi faire une couronne, et je ne vois aucune raison de me la refuser.

— C’est nouveau cela ? Je croyais que…

— Je voulais aussi le diamant ! Nous en sommes encore loin. D’autant que personne ne paraît se soucier de me le procurer !

Se sentant visé, Aldo entra dans le débat :

— En demandant l’impossible on parvient à se justifier de tous les crimes. Comme si vous ne saviez pas qu’il a disparu depuis plusieurs siècles ?

— Mais je n’y vois pas là d’impossibilité ! Combien de siècles avez-vous remontés, prince Morosini, pour retrouver les quatre pierres manquantes au Pectoral du Grand Prêtre de Jérusalem ? Et cette recherche vous a pris combien de temps ? Trois ans ? Un peu plus ? Vous devriez pouvoir y parvenir ?

— Avec des coudées franches et le temps nécessaire, tout pourrait être possible, mais je vous rappelle que nous n’en sommes pas là ! Quel délai m’accorde cette mise en demeure ? ajouta-t-il en sortant le billet de sa poche. Quelques jours tout au plus, le temps laissé à une fille extraordinaire de mourir de faim et de soif ! Et le jeu vous semble égal ? Dites-moi où elle est et, sur ma parole, je jure de chercher cette maudite pierre !

— Ma foi… je préfère vous laisser l’aiguillon dans la chair ! Vous n’en travaillerez que mieux et…

L’instant suivant il était sur le sol où l’avait expédié le coup de poing d’un Adalbert incapable de se contrôler davantage. Il se jeta d’ailleurs aussi sur lui et lui saisit le cou entre ses fortes mains :

— Et moi je t’étrangle si tu ne nous dis pas immédiatement où elle se trouve ! Combien de respirations crois-tu qu’il te reste ?

— À… À l’aide ! croassa Karl-August. Mes… gens !

— Je leur conseille de rester où ils sont, fit Aldo. Le premier qui entre recevra le premier pruneau ! Nous sommes pressés ! Où est-elle ?

— Sur… sur… ma vie ! Je… je l’ignore !

— À qui crois-tu faire croire cette salade ? s’impatienta Adalbert, toujours à califourchon sur son dos.

Marie de Regille, que tous oubliaient mais qui semblait apprécier le spectacle, donna soudain son opinion :

— Et si on demandait à la femme qui était ici avant notre arrivée ? dit-elle en désignant le morceau de mousseline bleue.

— Bonne idée, mais je crains qu’il ne soit trop tard ! remarqua la marquise.

En effet, l’écho d’une voiture qui s’éloignait leur parvint…

— Trop tard !… Mais au fait, qui était-ce ?

— Une amie ! grogna Karl-August. Elle n’a rien à voir là-dedans !

— C’est vous qui le dites ! reprit Marie dont l’assurance augmentait d’instant en instant. Et pourquoi ne serait-ce pas cette chère Miss Phelps ? Je me trompe, baron ?

— Il y a belle lurette qu’elle est repartie pour l’Angleterre !

— Tiens donc ? Il me semble pourtant l’avoir rencontrée récemment ?

— Quelle stupidité ! Vous n’êtes qu’une gamine névrosée qui prend pour argent comptant les légendes qui traînent dans tous les coins de ce foutu pays, dont les forêts profondes comme les eaux jaillissantes ou dormantes ont chacune une histoire à raconter ! Rentrez chez votre père et…

— Je croyais que vous deviez l’épouser ? ironisa la marquise.

— J’avoue que l’idée m’en a effleuré ! Elle est jeune, fraîche et pas désagréable à regarder…

— Effleuré ? gronda Lothaire. Tu oublies le bal du Tricentenaire où Regille a annoncé vos fiançailles… sans compter cette bague, poursuivit-il en désignant le mince anneau oublié sur la table.

— J’y pensais, oui, mais elle est vraiment trop bête !

L’intervention d’Hugo évita à son géniteur une nouvelle claque :

— Libérez-le, Monsieur Vidal-Pellicorne !…

— Doux Jésus ! exhala celui-ci, extatique. Enfin, quelqu’un qui est capable de prononcer mon nom sans l’écorner ! Cela mérite, Monsieur, que j’accède à votre requête, mais sachez-le, je suis prêt à lui infliger bien pire que tout cela pour retrouver Mlle du Plan-Crépin. Et vite, puisque de notre rapidité dépend sa survie. Si nous la retrouvons morte, rien ne pourra le sauver de notre colère !

— La vengeance appartient au Seigneur ! Ne le savez-vous pas ?

— Et la justice à l’homme ! Vous êtes son fils, paraît-il ! Essayez de le convaincre. Je veux savoir où elle est, rien de plus. Si vous y tenez, je peux vous jurer de ne pas le livrer !