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— Belle promesse ! grinça Karl-August. Les autres s’en chargeront. N’importe, j’ignore où elle est !

— Vous mentez ! C’est bien vous qui avez écrit cette infamie ? tonna Aldo en lui mettant la lettre sous le nez. Essayez de ne pas mentir pour une fois !

— Que vous me croyiez ou non, je ne sais pas où elle est !

— Comme c’est vraisemblable !

— Et pourtant c’est vrai ! On a jugé plus prudent de me cacher le lieu de sa détention !

— Qui « on » ? Vous êtes le chef d’une bande de truands et l’on vous cache sinon tout, du moins le plus important ?

— Où prenez-vous que ce soit le plus important ? Dans notre… groupe… d’amis, chacun assume sa propre tâche sans en référer aux autres ! Je ne sais rien du destin de cette fille et…

— Comment pouvez-vous proférer une telle suite de mensonges ? s’écria Adalbert, hors de lui. Vos discours fumeux nous font perdre du temps alors que, d’après votre épître, il nous est si précieux !

Il recommençait à lui serrer la gorge mais Hugo intervint :

— Si vous le tuez il ne dira plus rien ! Père, ajouta-t-il, il se peut que vous disiez vrai, mais vous devez avoir au moins un indice ? Ne vous a-t-on rien appris de son sort ?

— Si ! admit-il après un instant de silence. « Elle est là où tout se perd sans espoir de retour » !…

L’écho solennel de ces quelques mots frappa d’épouvante tous les acteurs du drame qui se jouait là, dans ce château perdu au fond des forêts. La manière dont Hagenthal les prononça effaça toute trace de doute. Ce qu’il venait de révéler, il y croyait, et Mme de Sommières se signa :

— Est-il possible que vous ignoriez comment on exécute vos ordres ? Vous êtes le chef pourtant ?

Il eut un rire de gorge aussi déplaisant que possible :

— Qui peut le dire ? Et le chef de quoi, d’abord ? Me prendriez-vous pour Mandrin ou Cartouche ?

— Ni l’un ni l’autre ! fit la marquise. Le premier était un homme généreux, un contrebandier qui avait déclaré la guerre à la gabelle. Le second, un banal voleur. Tous deux, cependant, sont passés à la postérité !

— Moi je ne suis rien de tel ! Seulement un collectionneur ! Comme vous, au fond !

— J’ai l’habitude de payer ce que j’achète ! lâcha Morosini.

— À l’époque, la différence était mince. Elle l’est moins encore à la nôtre où chacun agit sans juger bon d’en informer les autres ; l’important étant de rester sur certaine ligne où chacun trouve son compte !

— Ainsi, vous ne risquez pas d’encombrer la postérité, fit la marquise sans songer un instant à dissimuler son mépris. Mais il se trouve que nous tous ici avons de la vie et de l’amitié une idée déplorablement archaïque et que j’en reviens à mon premier propos : où est ma cousine ? Il doit bien y avoir ici quelqu’un qui le sait ? Ne serait-ce que celui ou celle qui l’y a menée ?

— Vous avez tort de ne pas me croire. Qui donc a dit « les secrets gardés par la lumière sont de tous les mieux gardés » ?

— Vous vous faites de la lumière une curieuse idée ! remarqua Hugo. Et qui ne saurait nous convenir. Que voulez-vous en échange du simple renseignement que nous vous demandons ?

— Oh ! toi et tes idées d’un autre âge ! Tu te plais à penser que le Téméraire s’est réincarné en toi et, faute de Cour et d’armée, tu te veux le prince des Solitudes ! Le chevalier nocturne qui hante les rêves des filles !…

— Je ne suis qu’un chrétien qui s’efforce de vivre selon la loi du Seigneur !

— Alors, entre au monastère où tu pourras veiller sur les dépouilles de ton héros !

— C’est là sans doute que je finirai, mais avant, je me suis donné à tâche de laver ce beau pays, notre Comté Franche, des pourritures qui la souillent !

Cette fois, Hagenthal éclata de rire :

— Comme il a bien dit ça ! Vous noterez, j’espère, la noblesse du ton, la fierté du regard ? Ce malheureux se prend pour le Grand-Duc d’Occident. Il est grand temps de lui remettre les pieds sur terre. Et pour commencer…

Sans paraître y attacher d’importance, il s’était approché d’un mur « ennobli » par le portrait d’une dame on ne peut plus médiévale et qui respirait une rose d’un air inspiré. Un panneau s’entrouvrit alors suffisamment pour que le baron pût y glisser sa silhouette filiforme et se referma aussitôt, ne laissant à ses visiteurs que l’écho de son rire…

D’un même mouvement, les trois hommes se ruèrent sur le panneau, mais ils eurent beau explorer chaque pouce carré, ils ne parvinrent pas à faire jouer le mécanisme !

— Il ne nous manquait plus que cela ! rouspéta Lothaire. Des murs surprises ! J’aurais dû me douter que cette débauche de travaux dans une maison qui n’en avait pas vraiment besoin, Mme de Granlieu ayant été une femme de goût, cachait quelque chose !

— Que fait-on à présent ? demanda Aldo.

— Que faire d’autre que rentrer ? Nous sommes joués, ce qui ne signifie pas que nous abandonnons, mais il vaut mieux ramener les dames à la maison…

— Même moi ? murmura Marie.

— Même vous ! Si on vous laissait, il se peut que vous cessiez assez vite de respirer à la surface de la Terre. Nous n’avons jamais voulu vous abandonner, dit Lothaire.

— À quoi pensez-vous ? intervint Mme de Sommières.

— En tout premier lieu au capitaine Verdeaux. Il est temps de le mettre au courant de notre équipée de ce soir !

— D’ailleurs, Hagenthal a pratiquement avoué son appartenance à une bande criminelle. Ensuite… Mais où est donc passé Hugo ?

— Disparu comme son père ! Je commence à croire que ce château est troué comme un gruyère et que, à condition de le connaître à fond, chacun peut apparaître ou disparaître à son gré !

— Et si on commençait par le visiter ? proposa Aldo. Mlle de Regille pourrait nous servir de guide ? Elle doit le connaître au moins un peu puisqu’elle devait s’y installer en tant que dame et maîtresse ?

— Je l’ai connu autrefois, à l’époque de Madame la comtesse. C’était plus joli que maintenant ! Cet homme a un goût affreux, et j’ai moins que jamais envie d’y habiter…

— Contentez-vous de nous servir de guide, conseilla Adalbert en vérifiant le chargement de son arme.

— Bonne idée ! approuva Lothaire. Donnez-moi votre main et allons-y, jeune bécasse.

Aldo se chargeant de la protection de Tante Amélie, on partit en file indienne sous l’œil perplexe du domestique. Perplexe, mais obéissant devant les armes. Auparavant d’ailleurs, Lothaire l’avait soumis à la question au sujet de la propriétaire de l’écharpe bleue et de l’étui à cigarettes.

— On l’appelle Mademoiselle Jeanne ! C’est l’amie de Monsieur le baron…

— Jeanne comment ? Jeanne de quoi ?

— Je ne sais pas ! Rien que Mademoiselle Jeanne ! Elle ne vit pas toujours au château… Et même pas très souvent. C’est une cousine de Monsieur le baron…

Forcément plus sommaire que souhaitée, la visite du château se révéla infructueuse. Les travaux de la bâtisse n’étaient pas achevés, et de loin, à l’exception des pièces principales – toutes dans cet effroyable style néomédiéval.

— Quelle idée ! apprécia Mme de Sommières. Surtout pour y mener une jeune épousée ! Un vrai cauchemar ! Si tout doit être du même tonneau…

— Quoi qu’il en soit, il doit y avoir ici des ouvriers chargés desdits travaux. Où sont-ils ? demanda Aldo à leur cicérone.

— Dans les communs où ils vivent tous ensemble. Ce sont des Tchèques ou des Bulgares, je ne sais plus exactement. Il n’y en a qu’un qui traduit pour ses collègues.