Выбрать главу

De guerre lasse on abandonna. D’autant qu’il fut impossible de visiter les chambres fermées à clef, les autres étant encore en travaux :

— Il nous faudrait une commission rogatoire ! soupira Lothaire. Et il ne faut pas compter sur le petit juge pour nous la fournir.

— Que proposez-vous alors ?

— De rentrer à la maison ! On perd son temps ! En outre, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je suis glacé jusqu’à la moelle des os, et un verre de vin chaud serait le bienvenu.

On quitta donc les lieux. Non sans regrets. Mme de Sommières ne cherchait même pas à cacher l’anxiété qui la tenaillait :

— Bredouilles ! grinça-t-elle entre ses dents serrées. Nous sommes lamentablement bredouilles alors que ma pauvre Plan-Crépin en est peut-être à son dernier soupir !

— Oh ça, ça m’étonnerait ! énonça Marie, plus bécasse que jamais. On ne meurt pas de faim et de soif en trois ou quatre jours…

Tandis que la marquise pensait étouffer de fureur, Adalbert lui emprunta son mouchoir, l’enfonça dans la bouche de l’imprudente et acheva de la bâillonner à l’aide du sien plié en diagonale :

— Comme ça on aura au moins la paix ! fit-il avec satisfaction. À propos, qu’est-ce qu’on fait ? On la rend à son papa ou on la ramène au manoir ?

— On la ramène, répondit Lothaire. Dieu sait ce qu’elle serait capable de faire si on la laisse en liberté !

— Elle a une tante à Lons-le-Saunier ; on pourrait peut-être la lui confier ? C’est une femme de tête, si je me souviens bien.

— C’est justement sa tête qui ne me revient pas, bougonna Marie, après avoir fait signe qu’elle avait encore quelque chose à dire. Gardez-moi encore un peu, je promets de ne plus vous causer d’ennuis !

— Gardons-la encore un peu ! décida Lothaire. Au moins on pourra la surveiller. En attendant on va appeler Verdeaux !

— Et voir ce qu’à Paris on pense de tout cela. Il faut en finir ! conclut Aldo.

Et Marie échappa définitivement au bâillon !

Le retour au manoir se fit dans un pesant silence, chacun ayant conscience du poids de chaque minute sur la vie de Marie-Angéline, et après en avoir référé à Verdeaux et tenté – en vain ! – d’accrocher Langlois au téléphone, personne ne ferma l’œil avant que ne revienne le jour… Même le vin chaud ne réussit qu’à procurer un bien-être très passager.

Aussi Mme de Sommières fut-elle surprise, en rejoignant Clothilde après s’être rendue à la messe matinale, de trouver son hôtesse en train d’arranger un bouquet de ces roses anciennes, touffues comme des choux mais exhalant le plus divin des parfums, et qu’elle achevait de nouer avec un ruban de satin blanc avant de l’envelopper de papier cristal. La châtelaine apportait tant de soin à sa tâche que la marquise voulut se retirer, craignant d’être indiscrète, mais :

— Venez, venez ! invita Clothilde. J’allais monter vous demander si vous vouliez m’accompagner dans l’hommage que je rends, chaque année à pareille date, à la tombe d’une jeune fille qui se situe à une quinzaine de kilomètres d’ici. L’histoire en est étrange, douloureuse même… encore que, selon certains, elle se réduise peut-être à une simple aventure amoureuse… Mais je vous raconterai chemin faisant.

Quelques minutes plus tard, toutes deux embarquaient dans une petite voiture grise de si piètre apparence qu’elle en devenait anonyme… à la déception de Mme de Sommières qui, vu le beau temps, espérait que l’on prendrait le « tonneau », mais Clothilde, sans attendre une question – que l’on n’avait d’ailleurs aucune intention de poser –, s’en expliqua :

— Nous allons faire un peu de montagne et le chemin n’est pas très facile. Je ne veux pas y risquer les jambes de Gazelle ! Rien à craindre avec les chevaux-vapeur !

On partit donc en se dirigeant vers le nord de Pontarlier et en montant la plupart du temps. Contrairement à ce qu’elle avait annoncé, Clothilde ne disait mot, et sa compagne respectait son silence. Après l’étroite route, on emprunta un chemin encore assez large, puis un sentier qui semblait grimper vers le ciel. Un ciel d’azur si doux qu’il rendait plus impressionnante la silhouette noirâtre de ruines imposantes dont la vue arracha un frisson à la passagère.

— Voilà Noirmont ! fit enfin Clothilde en rangeant sa voiture à l’ombre d’un mur écroulé. Du plus loin qu’ils l’aperçoivent, les gens du pays se signent ou enlèvent leur bonnet comme dans un cimetière. J’ajoute que toute la région le croit hanté.

— Il faut avouer qu’il est impressionnant. D’ailleurs, il ne paraît ruiné qu’en partie, remarqua la marquise en sortant ses lunettes afin de mieux voir la sombre construction dressée au bord d’un champ en pente menant à un ravin abrupt. Quant à être hanté, c’est peu vraisemblable. Je vois là-bas une croix de pierre tombale…

— C’est à cet endroit que nous allons déposer nos fleurs. Et c’est seulement une croix votive, car personne ne repose sous la dalle…

— Personne ?

— Eh non ! Rien que le souvenir d’une ravissante jeune fille disparue au soir de ses noces sans que l’on puisse en trouver d’autres traces que son voile accroché à un buisson. C’est lui qui est sous la pierre.

— Comment a-t-elle pu disparaître ?

— C’est la question demeurée sans réponse ! Il y a un siècle, Isabelle de Noirmont, unique héritière d’une vieille et noble famille, épousait ici même Armand de Flavacourt sous les plus heureux auspices. Beaux et riches tous les deux, ils s’aimaient. Grande fête donc que ces épousailles ! Après le déjeuner et en attendant le bal du soir, quelqu’un proposa une partie de cache-cache. Dans ce vaste et vieux château truffé de couloirs et de recoins, ce serait follement amusant. Et on donna le départ !…

« La partie dura longtemps. Tout le château retentissait de cris, de rires, d’appels, de portes qui claquaient et de galopades. Mais quand, enfin, on se retrouva dans la grande salle un peu hors d’haleine, il fallut bien se rendre à l’évidence : la mariée avait disparu…

— Disparu ?

— Pendant des heures on la chercha, l’appelant à tous les échos, fouillant, des caves aux combles. Les invités, les gardes, les serviteurs, les paysans qui dansaient dans le village, tout le monde s’y mit, mais on ne trouva rien. Pas la moindre trace !

— C’est assez incroyable ! murmura la marquise.

— C’est aussi mon avis, pourtant je ne fais que relater la vérité. La nuit entière passa en recherches. On pensa d’abord aux ravins sur lesquels s’élevaient les vieilles tours. On y descendit avec des lanternes et des cordes, mais sans succès. Pas le plus petit indice !

« On pensa alors à des bohémiens qui avaient campé quelques jours auprès du château mais avaient décampé en fin de journée, alors même que la partie n’était pas finie et, naturellement, on leur courut après, ce qui ne fut pas difficile parce qu’ils ne se pressaient pas. Mais on fit chou blanc. Dès lors, un rideau noir tomba sur une noce aussi tragiquement terminée. Les invités s’éloignèrent les uns après les autres tandis que Flavacourt, désespéré, cherchait encore, jusqu’à ce qu’un horrible doute lui vînt, une explication portée par une de ces bonnes âmes comme il en pousse dans toutes les tragédies : il était inutile de chercher Isabelle parce qu’elle était partie dès le début du jeu afin de rejoindre discrètement celui qu’elle aimait en secret. Ce qui était tout de même un peu fort et révulsait Mme de Noirmont. On avança aussi qu’elle avait pu tomber dans l’un des fameux ravins, dans quelque faille de montagne, et s’y tuer net. Ou encore être victime d’une bête sauvage… à moins qu’un de ses amoureux déçus – belle et riche elle n’en manquait pas ! – ne l’ait enlevée purement et simplement… Quoi qu’il en soit, le deuil s’installa et aussi la légende d’une dame blanche qui, la nuit, errait en pleurant…