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— Si tu veux voir la dame morte, je peux te la montrer…

Une fillette d’une dizaine d’années, portant une mante à capuchon d’où sortaient deux nattes raides nouées d’un ruban, se tenait derrière eux et les regardait avec une gravité au-dessus de son âge.

— La dame morte ?… Ah oui ! Celle de la croix ? Tu sais où elle est ?

— Viens voir !.. Mais faut grimper ! Et aussi de quoi éclairer !

Cela dit, elle attaqua d’un pied léger l’un des grands éboulis formés par les anciennes murailles.

— D’accord ! décida Aldo. Et de toute façon, à moins qu’Adalbert ne vienne à bout de cette monstruosité, on n’a pas le choix !

— Sans moi ! grogna le serrurier occasionnel. Moi, les problèmes de ce genre, ça me passionne. Mais tâchez de ne pas vous rompre les os !

L’ascension des éboulis leur parut interminable.

Enfin, on fut en haut, mais il s’agissait d’une sorte de cour étroite formée par les restes de deux tours et un pan de mur. Au milieu, un puits où s’entassaient gravats et végétation sauvage.

— Et alors ? demanda Lothaire, que ce genre d’exercice mettait de mauvaise humeur.

La gamine tendit un doigt vers le fond du puits où apparaissait ce qui semblait être le haut d’un soupirail à deux barreaux à demi encombré de ronces et de cailloux.

— C’est là-bas ! Mais faut faire attention, ça glisse…

Aldo n’écoutait déjà plus. Envahi d’un fol espoir, il dégringola vers ce trou inattendu dans un monde quasi pétrifié, dérapa, se retint à un arbuste qu’il abandonna pour une touffe d’herbes folles un peu plus en dessous. Enfin, il se recroquevilla pour que ses yeux soient à la hauteur de l’ouverture, aux deux tiers comblée :

— Tu la vois ? fit la fillette qui l’avait suivi sans difficultés.

— Non. C’est noir là-dedans ! il faudrait…

— … une lampe ? proposa Adalbert qui les rejoignait muni d’une torche électrique comme en utilisaient les archéologues.

Le pinceau lumineux explora les profondeurs de ce qui semblait être un caveau. Et soudain, il sursauta : il y avait là une table et deux antiques fauteuils dont l’un d’eux était occupé par ce qui parut être un fantôme : une silhouette de femme, l’ampleur d’une robe claire, des pans de voile en lambeaux dont l’un cachait en partie la tête. Il comprit alors pourquoi la petite fille lui avait proposé de voir la dame morte car, ce qu’il avait sous les yeux, c’était le cadavre momifié d’une femme en robe de mariée.

— Isabelle de Noirmont ! souffla Lothaire. Comment en est-elle arrivée là ?… Pauvre, pauvre enfant ! Quel sort affreux ! Condamnée en plein bonheur à une épouvantable, une interminable agonie !

Aldo cependant continuait à balayer de son pinceau lumineux le reste du cachot. Et soudain murmura, la gorge serrée :

— Mais elle n’est pas seule ! Il y a quelqu’un d’autre ! Regardez à droite ! Je vois un pied et un morceau de jambe sortant d’un tissu à carreaux bruns. Plan-Crépin ! Ce ne peut être qu’elle ! (Et d’appeler de toute sa voix :) Angelina !… Nous sommes là, Angelina !… Venez près du soupirail ! On va vous délivrer !

Mais, à son cri de joie, il n’y eut pas de réponse. Le pied sous le tissu à carreaux ne bougea pas d’un centimètre.

— Elle ne peut pas être morte ? Pas déjà ? Elle n’est là que depuis peu de jours ? Au pire mais…

— Mais sans rien avaler que ses larmes ! Par tous les diables de l’enfer, ça ne peut pas être possible, gronda Adalbert rejoignant Aldo qui arrachait frénétiquement les pierres et la végétation sauvage afin d’agrandir le trou et de rendre le passage praticable.

Ils y dépensaient une ardeur quasi démente, taraudés par la peur qu’en atteignant enfin Plan-Crépin ils ne puissent que constater sa mort, quand, soudain, Aldo clama :

— Elle a bougé !

Puis se mit à hurler son nom de plus belle :

— Angelina ! Nous sommes là ! Venez au soupirail ! On va vous en sortir ! Il faut juste encore un peu de patience !

Elle bougeait, oui, mais faiblement, essayant sans doute de se relever d’après ce que les deux hommes pouvaient voir. Elle voulut parler aussi mais sa voix était à peine audible. Priant alors à haute voix avec une sorte de rage, Aldo implora :

— Venez à mon secours, Seigneur ! Et vous aussi Notre-Dame qu’elle a tant priée ! Vous lui devez bien ça !

Le mur devant lequel elle était recroquevillée parut s’ouvrir, mais ce fut pour livrer passage à Karl-August qui entendit la fin de l’invocation et se mit à rire :

— Voyez comme les choses s’arrangent, Messieurs ? Je suis ici pour délivrer votre amie. Elle a grandement mérité, je pense, le repos éternel… et comme elle ne peut plus me servir à rien…

Les trois hommes sortirent chacun une arme mais von Hagenthal était à demi caché par un angle du caveau, ce qui le mettait hors de leur ligne de mire.

— Difficile de m’avoir, hein ? En revanche, je vais la pousser vers vous avant de tirer afin que vous n’en perdiez pas une miette…

— Laissez-la tranquille ! intima Aldo. Je vous donnerai ce que vous voudrez en échange de sa vie…

— Qu’est-ce qui me dit que vous le ferez ? Et les deux autres, ils sont prêts à me promettre quoi ? La totalité du trésor de la chapelle souterraine ?

— Nous le jurons ! répondirent Lothaire et Adalbert à l’unisson.

— Les promesses, c’est toujours facile ! C’est quand il s’agit de les tenir que les preux chevaliers se défilent ! Et puis, vraiment, en vaut-elle encore la peine ? poursuivit-il en la déplaçant assez pour qu’ils la voient mourir sans que lui-même quittât l’abri du mur.

Elle était alors à genoux mais, n’étant plus retenue par la main de son geôlier, s’écroula.

— Vous voyez ? Ce n’est plus qu’un chiffon vide, votre « illustre Plan-Crépin » ! Au point où elle en est, c’est une charité que lui ôter ce qui reste de vie en elle. Vous avez dix secondes pour lui faire vos adieux !… Je compte : un, deux, trois, quatre…

Désespérés, ils virent une main armée s’approcher de la tête qui dépensait des efforts inouïs pour se redresser, cependant que le misérable égrenait le peu de secondes qui restaient… Il ne prononça jamais le chiffre sept… Un coup de feu retentit…

Debout dans l’encadrement du mur ouvert, Hugo de Hagenthal venait d’abattre son père !

Une heure plus tard, la tête sur les genoux d’Adalbert, assis sur la banquette arrière dans la voiture de Vaudrey-Chaumard, Marie-Angéline roulait vers l’hôpital de Pontarlier à une allure qui faisait honneur à la parfaite maîtrise de son conducteur. Dévalant à tombeau ouvert – c’était le cas ou jamais de le dire ! –, la puissante machine dévorait les kilomètres sans se soucier des appels de sifflets récoltés une fois atteinte la zone urbaine ni des feux alternatifs permettant de traverser.

Cette chevauchée fantastique ne prit fin que dans la cour de l’hôpital où l’équipe des urgences la prit aussitôt en charge tandis que Lothaire s’expliquait avec deux gendarmes. Si l’on peut appeler ainsi l’ordre qu’il intima à ses poursuivants d’aller chercher leur capitaine, et plus vite que ça !

Luttant de son mieux contre l’angoisse, la marquise, que l’on avait pratiquement enlevée au passage avec Clothilde, osait à peine regarder le visage blême aux yeux creux sur l’oreiller d’une civière. Quant au corps, il était totalement inerte, et le pouls battait si faiblement que l’issue fatale pouvait intervenir à tout instant.

— Que lui a-t-on fait pour la réduire à cet état en quelques jours ?

— Sans avaler quoi que ce soit, ni liquide ni solide, cela doit être possible, répondit Lothaire. Elle n’était déjà pas si grosse !