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— Mais elle a une forte fièvre ! Elle est brûlante ! objecta Clothilde arrivée sur le marchepied de la voiture. Comme elle n’a rien bu, elle doit être déshydratée, sinon on pourrait penser à une typhoïde ?

— La déshydratation ne donne pas de fièvre…

En fait, c’en était bien une à son début dont l’explication vint quand la gendarmerie et la police de Besançon eurent examiné l’étrange caveau où la malheureuse avait vécu son calvaire. Par temps de pluie, un coin du soupirail laissait couler de l’eau dans une sorte de petite cuvette formée par le rocher. C’était cette eau qu’elle avait bue faute de mieux. Son corps affaibli avait fait le reste…

— La maladie est à son début, on devrait pouvoir la tirer d’affaire ! déclara le médecin-chef après l’avoir examinée. Il y a évidemment cette extrême faiblesse, mais elle est encore jeune, et l’espoir…

Il n’alla pas plus loin. Mme de Sommières venait de s’évanouir pour la première fois de sa vie. Non sans une certaine grâce ! Il n’en fallut pas moins l’hospitaliser elle aussi afin de s’assurer que, ayant tenu sa chère Plan-Crépin embrassée dès le début de ce chaotique parcours, elle ne s’était pas trouvée contaminée…

En dépit des efforts du capitaine Verdeaux, du sous-préfet et même du juge Gondry dépassé par les événements, l’affaire du tombeau retrouvé fit le tour de la région, puis de la presse, puis de toute la France à une allure record, mais dès le lendemain, Pierre Langlois, accompagné de l’inspecteur Lecoq, débarquait à Pontarlier où Aldo, qui ne décolérait pas d’avoir trouvé Plan-Crépin en si triste état, s’offrit le luxe de le recevoir comme un chien dans un jeu de quilles :

— Vous nous avez bien laissés tomber avec votre histoire de terrorisme qui vous permettait de vous mettre aux abonnés absents alors qu’on avait tellement besoin de secours ici ! Aussi quel résultat ! Plan-Crépin à moitié morte pour ne pas dire tout à fait si le traitement ne vient pas à bout de cette saleté. Tante Amélie déjà affaiblie par l’angoisse, peut-être atteinte par le virus qui peut la tuer d’une minute à l’autre, des dégâts incroyables… et vous ne trouvez rien à dire ? Répondez, morbleu ! Et cessez de me regarder de cet air compatissant qui ne vous va vraiment pas !

Ayant vidé son sac, il se laissa tomber sur une chaise qui, un brin fragile peut-être, s’écroula sous son poids, et il se retrouva assis par terre et d’autant plus furieux. Langlois alors lui tendit une main secourable pour l’aider à se relever :

— Ça va mieux ? fit-il aimablement.

— Qu’est-ce que vous entendez par là ? Je ne suis pas malade, moi. Pas encore… je l’espère…

— Aussi ne fais-je pas allusion à votre belle santé mais au soulagement que vous devez éprouver : il y a des années que vous rêvez secrètement de pouvoir engueuler un patron de police, qu’il soit de Versailles, de Madrid, de Londres et de deux ou trois autres nationalités. Voilà qui est fait, et c’est pourquoi je vous demande si vous vous sentez mieux ?

— Mais je…

— Un verre de bon remontant et nous pourrons parler sérieusement !

Il tendait un gobelet d’armagnac qu’Aldo avala d’un trait, puis Langlois reprit :

— Ça va mieux ? Donc, je vais continuer à vous ôter vos dernières illusions. En réalité, ce n’est pas pour voler à votre secours mais pour mettre la main sur un redoutable chef de bande – ou plutôt une, car il s’agit d’une femme, et elle est même la tête pensante de la bande redoutable à laquelle je me suis attaqué et que je ne cesse de poursuivre depuis des mois.

— Qui est-ce ? Je la connais ?

— C’est selon !… Mais n’allez pas imaginer qu’il s’agit de Margot la Pie, votre vieille connaissance : elle est définitivement rangée des voitures, s’est mariée et même vient d’avoir un enfant. Rien que dans cette région on a connu notre gibier sous plusieurs avatars : Jeanne de Maublanc, maîtresse et future épouse de Hagenthal – à moins qu’elle ne s’en débarrasse…

— C’est déjà fait, mais c’est Hugo qui l’a descendu !

— Elle a aussi été Miss Phelps, gouvernante de la petite de Granlieu, enlevée par elle pour pouvoir faire chanter la grand-mère et l’amener au confessionnal de Saint-Augustin avec son rubis ; enfin, Elena Maresco, artiste en tout genre qui a tué sous les yeux de Machu Michel Legros, grâce auquel elle n’ignorait rien de la chapelle cachée sous le couvent des Solitudes. Enfin, c’est elle qui a enfermé Mlle du Plan-Crépin dans le piège infernal des ruines de Noirmont dont elle avait découvert je ne sais comment le secret…

— Qui a fait mourir de terreur Isoline de Granlieu ? Toujours elle ?

— Par reptile interposé. C’est même grâce à ce détail que nous avons pu remonter la filière. Il y a quelques jours, dans la maison qu’Elena Maresco possédait à Montmartre, on a retrouvé mort le serviteur chargé de s’occuper des serpents qu’elle élevait. Que voulez-vous, elle se prenait pour la Vouivre de la légende !

— Et la grand-mère Granlieu, dans le confessionnal ? C’est elle ?

— Non. C’est Karl-August. Ainsi d’ailleurs qu’Agathe Timmermans. J’ajoute que Mlle de Regille a été judicieusement inspirée de chercher refuge au manoir Vaudrey. Elle y serait passée une fois son époux en possession de sa dot qui est loin d’être négligeable.

— Celle-là, pour y comprendre quelque chose ! grogna Adalbert. Elle se mettait à aimer le premier chien coiffé venu mais continuait à obéir à ce salopard !

— Tu n’es pas le premier chien coiffé venu ! remarqua Aldo, moqueur.

— … et ça ne l’empêchait pas de rester soumise à son influence en dépit d’efforts réels pour s’y soustraire.

— Un peu comme Elena avait soumis Hagenthal… et c’est encore elle, déguisée en prêtre, qui a tué Georg Ogden pour faire place nette pour Hugo.

— Hugo maintenant ? Que vient-il faire dans une histoire dont il tentait désespérément de se tenir à l’écart ?

— Qui l’en empêchait ? Ses convictions chrétiennes ?

— Bien sûr, et vous n’en ignorez rien. Même persuadé que Karl-August avait tué sa mère, Hugo repoussait avec horreur l’idée d’abattre ce monstre. Car c’en était un !

— Parce qu’il était son père ?

— Évidemment ! La seule évocation du parricide le révulsait… C’est pour sauver Mlle du Plan-Crépin qu’il l’a abattu sans l’ombre d’une hésitation quand il a vu qu’il allait tirer sur une pauvre fille déjà en si triste état !

— Vous allez l’arrêter ?

— Non ! Cela relève de la légitime défense. Et puis il s’est choisi une autre prison !

— Laquelle ?

— La plus sévère de toutes, si l’on s’en tient à sa règle : le monastère de la Grande Trappe à Soligny, en Normandie. Il va y vivre dans le silence, la prière, le recueillement, la pauvreté, le travail de la terre ! Mais sous le regard de Dieu ! Il lègue tout ce qu’il possède à Mathias, son fidèle compagnon plus que serviteur…

— Même ses chevaux ? Il semblait les aimer énormément ?

— Surtout eux ! ils étaient sa seule passion, et Mathias les aime à peu près autant. C’est un si brave garçon.

Arrivant de l’hôpital, Mme de Sommières les rejoignit à cet instant et, comme il se devait, elle fut assaillie de questions, mais le sourire qui revenait à son visage était la meilleure des réponses :

— Elle va mieux ! rassura-t-elle en ôtant son chapeau pour l’abandonner dans un coin. Dès à présent, les médecins répondent d’elle mais ne cachent pas que c’est un vrai miracle qu’elle doit à sa constitution exceptionnelle. Cependant il était grand temps de la tirer de là. Reste à savoir comment Hagenthal avait eu connaissance de ce véritable piège – un caveau qui ne s’ouvre que d’un seul côté.