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La portière heurtée par le camion n’existait plus, mais l’ouverture avait diminué de moitié.

Bravant la chaleur, l’odeur âcre de caoutchouc, et de plastique brûlé, Malko prit son souffle et plongea à l’intérieur du véhicule.

Il crut qu’il n’arriverait jamais à tirer le Chinois à l’extérieur. Il y parvint en l’agrippant sous les aisselles. Sa jambe gauche faisait un angle bizarre avec son corps ; son visage était inondé de sang. D’un ultime effort, il ressortit de la Mercedes, halant le Chinois. Des gens l’entourèrent aussitôt, l’aidèrent. Le jet blanc d’un extincteur jaillit à côté de lui. Il toussa, incommodé par la fumée. Ne quittant pas des yeux le corps étendu à ses pieds.

La pagaille était monstrueuse. Le camion du cercueil s’était arrêté au beau milieu du carrefour, paralysant la circulation de Stevens Road. Le reste du convoi s’était également immobilisé et les gens commençaient à sortir de tous les véhicules, des extincteurs à la main, courant vers le lieu de l’accident.

Une femme se pencha vers Tong Lim et se redressa, en larmes.

— He is dead, he is dead[15], cria-t-elle d’une voix hystérique.

Malko avait un goût de cendres dans la bouche. Il avait assez l’habitude des morts pour sentir que Tong Lim était mort. Cela se voyait. Malgré tout, il se rapprocha du corps étendu sur le ventre. Son veston avait commencé à brûler. Dans le lointain, il entendit le son d’une sirène de pompiers. La pauvre Margaret Lim terminait bien mal son existence.

Il se pencha vers l’homme étendu et le retourna. À cause du sang, on avait du mal à distinguer les traits. Tout le côté gauche du visage était enfoncé, aplati, comme par un gigantesque marteau. Le sang poissait les cheveux noirs, la chemise et la cravate blanche. Au moment où il se redressait, il entendit la voix stridente de Linda s’écrier derrière lui :

— Mais ce n’est pas Lim !

* * *

Il se retourna d’un bloc. Linda avait les yeux exorbités. Elle fixait le cadavre comme si c’était un dragon.

— Ce n’est pas Lim, répéta-t-elle. Je le connais.

Malko regarda le convoi immobilisé, la pagaille incroyable.

Ah You avait disparu. Malko réprima un rire nerveux, en dépit de la tragédie, du mort et des blessés. Lim avait bien joué.

Instinctivement, il fut certain que le Chinois ne s’était pas dissimulé ailleurs. Il avait trouvé une façon astucieuse de sauver la face tout en préservant sa vie.

* * *

John Canon fourrageait furieusement dans ses épais cheveux gris, une grande ride barrant horizontalement son front plat. Bien que ce soit samedi après-midi, il avait convoqué à l’ambassade ses principaux collaborateurs en vue du meeting avec Malko. Sur son bureau, il y avait tout le dossier de l’affaire Lim.

— Bon sang, fit-il, si on pouvait être certains de cette histoire de Banque Narodny… Vous êtes certain que ce n’est pas de l’intox ?

— Je n’ai pas passé Sakra Ubin au « lie-detector », contra Malko. Mais je crois qu’elle disait la vérité. C’est quand même une coïncidence troublante que Lim ait pris le contrôle de trois banques californiennes…

— Oh, Jésus-Christ ! ne me dites pas cela, fit le chef de station de la C.I.A., en se prenant le visage à deux mains. Si nous avons laissé passer une histoire pareille, vous vous rendez compte…

Un ange passa, des étoiles rouges sur ses ailes blanches. Malko continua perfidement :

— Et en plus, il semblerait que le gouvernement de cette petite dictature bien propre marche la main dans la main avec nos amis soviétiques. Bien que je ne vois pas encore comment… Vous ne croyez pas que ce serait le moment d’aller poser quelques questions sérieuses à l’autorité politique de ce pays.

L’Américain secoua lentement la tête avec détermination.

— No way. Nous n’avons aucune preuve, juste le blabla d’une Malaise qui dit que quelqu’un lui a dit avoir vu une Toyota 2000 bleue. OK ? En plus, Singapour est un des derniers endroits du sud-est asiatique où un Américain peut marcher dans la rue sans risquer de se faire cracher dans la gueule. Alors, nous devons être très prudents. J’envoie ce soir un « Blue Strip Report[16] » à O.D.A.C.I.D[17]. pour me couvrir. Mais il faut trouver ce foutu Lim. Coûte que coûte. En attendant, regardons ce que nous avons sur cette banque Narodny.

Il ouvrit la chemise de carton.

— Voilà. Moscow Narodny Bank. Depuis cinq ans sur Shenton Road. Se fait en ce moment construire un building de seize étages sur Robinson Road. Succursale de la banque d’État soviétique. Dirigée par un certain Nicolas Koulbak, 53 ans. Cinq ans à Londres. Considéré comme un excellent financier. À suivi deux ans de cours à la section financière du K.G.B. de Leningrad, de 1958 à 1960. Ne boit pas. 1 m 88, 89 kg. Habite dans le complexe de l’ambassade soviétique, Nissam Road. Parle très bien anglais et malais, un peu chinois. Ses collègues des banques installés à Singapour le considèrent comme un homme agréable. Prudent et avisé. J’ai gardé le meilleur pour la fin : il a une Toyota 2000 bleu métallisée.

Les deux hommes s’observèrent quelques instants. Bien sûr, une voiture, ce n’était pas une preuve. Mais quand même…

Il continua à feuilleter le dossier, redressa la tête.

— L’année dernière, la Narodny a fait 600 millions de dollars de chiffre d’affaire. Ça les met en deuxième position. Après la First National, mais avant la Bank of America.

Il continua à feuilleter.

— Voilà. Le numéro 2 de la Narodny, Amos Wung. Métis hollando-chinois. 47 ans. À fait ses études à Djakarta et Kuala Lumpur. Six ans à Kuala-Lumpur avec la Hong-Kong & Shangaï Bank. Puis cinq ans avec la Bank of America, Singapour Branch. Spécialiste de l’immobilier. Numéro 2 de la Moscow Narodny Bank depuis trois ans. Marié. Trois enfants. Habite Lermit Road. Pas de vices connus. Pas d’orientation politique. Jamais d’histoires. La Bank of America le considère comme un des meilleurs « compradores » qu’elle ait jamais eu. S’est fait naturaliser Singapourien il y a cinq ans.

Il reposa la fiche et tapota ses épais cheveux gris dans son geste familier.

— Je crois qu’il faut se démener un peu, en attendant Lim.

Il appuya sur le bouton de l’interphone.

— Harry, amenez-moi le dossier REDWOOD[18].

Trente secondes plus tard, un jeune homme brun à lunettes, le nez pointu comme un furet, style hippie, entra dans le bureau, un dossier sous le bras. John Canon le présenta à Malko :

— Harry Nash, notre « opération officer ». Prince Malko Linge.

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15

Il est mort ! Il est mort !

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16

Rapport à diffusion limitée. Maison Blanche et State Department.

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17

State Department, dans le code C.I.A.

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18

Pénétration soviétique en code C.I.A.