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Les deux hommes se serrèrent la main. John Canon entra tout de suite dans le vif du sujet.

— Harry, est-ce que nous avons un « bugging[19] » sur la banque des popovs ?

Le jeune homme secoua la tête.

— No, sir. La seule chose que nous ayons, c’est un stand de boissons en face de l’ambassade soviétique… Une fille que nous subventionnons. J’étudie le moyen de piéger les bouteilles de Coke… Mais ce n’est pas encore au point.

— Et comme pénétration directe ?

Harry Nash se frotta le menton.

— Pas brillant. Des types à l’échelon inférieur à l’Aéroflot. Un au consulat. Il y a six mois, on avait offert 500 000 dollars à un lieutenant du K.G.B. pour qu’il passe à l’ouest. Il a été muté.

— Je veux que vous mettiez cette foutue banque sous surveillance, ordonna John Canon. Si on pouvait intercepter leurs communications avec Moscou…

Harry Nash leva les yeux au ciel.

— Vous ne voulez pas une ligne directe avec le Kremlin aussi ?

John Canon le congédia avec un sourire las. Malko dit :

— J’ai rendez-vous demain avec Linda. Elle prétend qu’elle va savoir où est Lim. Elle va réclamer ses 40 000 dollars et sa protection…

— Sa protection, fit l’Américain, il vaut mieux qu’elle ne compte pas dessus. Quant à l’argent, ne le donnez qu’à coup sûr. De toutes façons, il faut attendre lundi, je n’en ai pas assez dans le coffre.

Cela ne faisait qu’un peu plus de vingt-quatre heures.

Malko se leva. Il avait surtout envie de dormir. Mais le lien entre les Russes et Lim l’obsédait.

* * *

Malko ralentit en passant devant l’énorme complexe de l’ambassade soviétique. La construction la plus étrange de Nassim Road, une avenue qui partait de Orchard Road et filait vers le nord, bordée d’ambassades et de somptueuses résidences privées. L’ambassade soviétique ressemblait à une cuvette dont le fond eut été la piscine et le jardin. Sur un des bords s’élevait le bâtiment de trois étages de l’ambassade proprement dite. Sur le bord d’en face, plusieurs villas occupées par des fonctionnaires russes et leurs familles. Aucun membre de l’ambassade n’habitait en ville.

Malko accéléra. Ce qu’il faisait ne rimait pas à grand-chose. L’enterrement de Margaret, la veille, avait été une grosse déception. Le chauffeur du camion rouge avait été tué dans la collision. La police singapourienne avait conclu à un simple accident dû à la rupture des freins. Malko n’avait revu ni Sani, ni Phil Scott. Le Sunday Straits Time avait publié la photo d’un inspecteur du Department « Sociétés Secrètes », hilare, relevant la jupe d’une fille afin de vérifier qu’elle ne portait pas le « papillon » illégal de la bande de Linda.

Pour ajouter aux mystères de l’affaire Lim, il y avait encore l’intervention de ceux que Malko considérait maintenant comme des éléments maoïstes. Ceux qui l’avaient sauvé du cercueil. Et qui continuaient à ne pas se manifester ouvertement. Pourtant, ils tenaient visiblement à ce que le mystère Lim éclate au grand jour… Il n’y avait plus qu’à souhaiter que l’opération entreprise par la « station » à l’encontre de la banque soviétique donne des résultats. Mais, Malko était plutôt sceptique. Ce genre de surveillance prenait parfois des semaines et des mois avant de se révéler payant. Il allait pouvoir faire venir Alexandra. Car la « Company » attachait maintenant une importance énorme à l’histoire Lim.

Il tourna dans Orange Grove Road, revenant à l’hôtel. Il ne lui restait plus qu’à s’installer au bord de la piscine. Au moment où il sortait de sa voiture dans le parking en contrebas du Shangri-la, une jeune Chinoise s’approcha de lui. Souriante.

— Miss Linda want to see you, dit-elle.

— Où ? demanda Malko. Méfiant.

— Anderson Road. The last bus stop before Bukit Timah. Now[20].

Sans laisser à Malko le temps de répondre, elle s’éclipsa. Il remonta dans la Datsun, déjà en sueur, et repartit. Trois minutes plus tard, il la vit, assise sagement sur un banc de l’arrêt de l’autobus. Il s’arrêta et elle monta dans la Datsun.

— Je sais où est Lim, annonça-t-elle tout de go.

Malko calma son excitation. Il avait eu assez de fausses joies depuis le début de l’histoire.

— Où ?

Il avait tourné sur Bukit Timah et roulait lentement. Linda annonça sans tourner la tête :

— Vous vous souvenez de ce que vous m’avez promis ? De me protéger. Et puis l’argent…

— Vous êtes sûre, Linda, de savoir où est Lim ?

— Sûre. Ce matin, il a demandé une fille. Elle est allée à l’adresse qu’il a donnée. Elle y est toujours et mes filles surveillent la maison. Tong Lim s’y trouve. Si vous me donnez 40 000 dollars, je vous y mènerai.

— Je dois les prendre à la banque dit Malko. C’est dimanche.

Linda tourna enfin son visage plat et inexpressif vers lui :

— Souvenez-vous que vous n’êtes pas le seul à rechercher Lim. Je vous attends demain à trois heures au même endroit. Venez avec l’argent.

* * *

Linda comptait les billets de cent dollars avec une lenteur exaspérante. À la fin, elle leva les yeux. Une lueur de cupidité y brillait, leur donnant enfin une apparence humaine.

— La villa se trouve dans Holland Road, dit-elle. Au numéro 86. Une sorte de tour. Elle a l’air inhabitée. Tong Lim vit dans le sous-sol. Ravitaillé par sa vieille Amah. Tous les soirs, elle va au Pasar Malang[21].

Malko se sentit pris d’une sainte fureur.

— Vous ne venez pas avec moi ?

Linda le regarda avec froideur.

— Même pas pour un million de dollars.

Elle était en train de fourrer les billets dans son sac de toile. Dès qu’elle eut fini, elle ouvrit la portière.

Avant que Malko ait eu le temps de répondre, elle était dehors. Il fit demi-tour pour regagner Scotts Road et le haut de Singapour. Holland Road prolongeait Napier, parallèlement à Bukit Timah. Dans le quartier le plus résidentiel. À dix minutes de l’endroit où il se trouvait.

* * *

La pelouse n’avait pas été coupée depuis des mois, tous les volets blancs à la peinture écaillée étaient clos. Il y avait une piscine, mais elle n’avait pas d’eau. Près de la maison en forme de tour, un bouquet d’arbres tropicaux vomissait des lianes tombant jusqu’au sol.

Un autobus passa derrière Malko, bourré. Il avait garé sa Datsun cent mètres plus loin. Il poussa la barrière blanche qui s’ouvrit en grinçant, s’engagea dans l’allée bordée de bananiers. Marchant lentement. Aux aguets. Il fit le tour de la maison, tendu, prêt à saisir son pistolet glissé dans sa ceinture. Tout était fermé, abandonné. Derrière, il découvrit une véranda avec une pelouse d’un vert irréel. Il essaya la porte de la véranda. Elle était ouverte.

Il entra, refermant derrière lui.

Aussitôt, une odeur fade et douceâtre frappa ses narines. Un mélange de pourriture, d’humidité tropicale et d’autre chose. Il lui fallut quelques secondes pour reconnaître l’odeur du heng-kee, le fruit aphrodisiaque.

Son cœur se mit à battre plus vite. C’était la première indication concrète que cette maison n’était pas totalement inhabitée. La véranda donnait dans un salon à peine meublé. Suivant les instructions de Linda, il chercha l’escalier menant au sous-sol et le trouva, derrière une colonne. L’ambiance de cette maison abandonnée et sombre était oppressante. Il tendit l’oreille sans rien entendre. Sauf le bruit de la circulation sur Holland Road.

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19

Surveillance électronique.

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20

Anderson Road. Dernier arrêt de bus avant Bukit Timah. Maintenant.

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21

Marché de la nuit.