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Si personne ne le disait, tout le monde le savait. Quelque chose de grave était arrivé. Victoria n’était pas du genre à disparaître de son plein gré, si toutefois ce genre existait. Elle était heureuse de vivre, pas du tout téméraire. Elle préférait rester à la maison ou à l’écurie, ne venait jamais faire la fête à Strömstad le week-end. Et sa famille était en tout point l’inverse de celle de Tyra. Ils étaient tous adorables, le frère aîné de Victoria y compris. Il était toujours d’accord pour conduire sa sœur au centre équestre, même tôt le matin. Tyra se sentait à l’aise chez eux, parfaitement à sa place. Parfois elle avait souhaité que ce soit sa propre famille. Une famille normale et ordinaire.

Fanta la poussa doucement de la tête. Quelques larmes mouillèrent le museau de la jument, et Tyra s’essuya rapidement les yeux.

Soudain elle entendit du bruit à l’extérieur. Fanta aussi dressa les oreilles, les pointa vers l’avant et leva la tête si violemment qu’elle heurta le menton de Tyra. Le goût métallique du sang remplit sa bouche. Elle poussa un juron et, en appuyant fort la main contre ses lèvres, sortit pour voir ce qui se passait.

En ouvrant la porte de l’écurie, elle fut aveuglée par le soleil, mais ses yeux s’habituèrent rapidement à la lumière. Elle vit Valiant arriver dans la cour en plein galop, monté par Marta. Celle-ci retint l’étalon si brutalement qu’il faillit se cabrer. Elle cria quelque chose. Tout d’abord Tyra ne comprit pas ce qu’elle hurlait, puis les mots finirent par se frayer un chemin jusqu’à son cerveau :

— Victoria ! On a retrouvé Victoria !

Patrik Hedström était installé à son bureau au commissariat de Tanumshede, profitant du calme ambiant. Il était parti tôt le matin, laissant à Erica le soin d’habiller les jumeaux et de les emmener au jardin d’enfants, des rituels qui avaient pris l’allure de séances de torture depuis leur mutation. Après avoir été deux bébés adorables, ils ressemblaient maintenant à Damien dans le film La Malédiction. Comment deux êtres aussi petits pouvaient-ils se révéler aussi épuisants ? Le moment qu’il préférait désormais passer avec eux, c’était le soir quand il les regardait dormir, assis à leur chevet. Il pouvait alors s’abandonner à l’amour pur et sincère qu’il ressentait pour eux, sans être torturé par l’énorme frustration qu’il éprouvait quand ils hurlaient : “NOOON, VEUX PAS !”

C’était tellement plus simple avec Maja. Tellement simple que parfois il se sentait coupable de prêter trop d’attention à ses petits frères et pas assez à elle. Elle était si sage et si douée pour s’occuper toute seule qu’Erica et lui présumaient qu’elle était satisfaite. Malgré son jeune âge, elle semblait aussi posséder un don pour calmer ses frères pendant les crises les plus violentes. Mais ce n’était pas juste. Patrik décida que ce soir il consacrerait du temps à Maja, un instant privilégié rien qu’à eux deux, des câlins et une histoire pour dormir.

Au même instant, le téléphone sonna. Il répondit sur un ton absent, ayant toujours Maja en tête. Il fut cependant aussitôt tiré de ses rêveries et se redressa sur sa chaise.

— Qu’est-ce que tu dis ? D’accord, on arrive tout de suite.

Il enfila sa veste et se précipita dans le couloir en criant :

— Gösta ! Mellberg ! Martin !

— Eh ben quoi, y a le feu ? grogna Bertil Mellberg.

Une fois n’est pas coutume, il fut le premier à sortir de son bureau. Très vite, Martin Molin et Gösta Flygare le rejoignirent, ainsi qu’Annika, la secrétaire du commissariat, pourtant installée à l’accueil, assez loin du bureau de Patrik.

— Ils ont retrouvé Victoria Hallberg. Elle a été renversée par une voiture à l’entrée est de Fjällbacka, une ambulance l’emmène à l’hôpital d’Uddevalla. Gösta, toi et moi, on y va.

— Oh putain, dit Gösta.

Il courut à son bureau enfiler une veste, lui aussi. Personne n’aurait pris le risque de sortir sans vêtements chauds cet hiver, quelle que soit l’urgence de la situation.

— Martin, toi et Bertil, vous irez sur le lieu de l’accident, vous interrogerez le conducteur, poursuivit Patrik. Appelle la brigade technique aussi et demande-leur de vous rejoindre.

— C’est toi qui donnes des ordres maintenant ? marmonna Mellberg. Mais bon, tu as raison, en tant que chef de ce commissariat, c’est évidemment à moi d’aller sur le lieu de l’accident. Chacun son métier, et les vaches seront bien gardées.

Patrik soupira mentalement, sans faire de commentaires. Avec Gösta sur les talons, il se rua vers une des deux voitures de service, s’y engouffra et démarra le moteur.

Saleté de verglas, se dit-il quand la voiture dérapa dans le premier virage. Il n’osait pas conduire aussi vite qu’il aurait souhaité. La neige tombait de nouveau et il ne voulait pas risquer une sortie de route. Il frappa le volant avec impatience. On n’était qu’en janvier et vu les longs hivers suédois, cette calamité pouvait durer encore deux bons mois.

— Vas-y doucement, dit Gösta en s’agrippant à la poignée de maintien. Qu’est-ce qu’ils ont dit au téléphone ?

La voiture patina de nouveau sur la chaussée et Gösta inspira profondément.

— Pas grand-chose. Seulement qu’il y a eu un accident et que la victime est Victoria. Apparemment un témoin sur place l’a reconnue. Elle semble mal en point, malheureusement, et elle a d’autres lésions qui ne seraient pas dues à l’accident.

— Quels types de lésions ?

— Je ne sais pas, on verra sur place.

À peine une heure plus tard ils arrivèrent à l’hôpital d’Uddevalla et se garèrent devant l’entrée. À toutes jambes, ils se rendirent au service des urgences et trouvèrent rapidement un médecin qui, d’après le badge épinglé sur sa poitrine, s’appelait Strandberg.

— Ah, vous voilà, tant mieux. La jeune fille entre en salle d’opération, mais nous ne sommes pas sûrs de pouvoir la sauver. Nous avons appris par vos services qu’elle avait disparu. Les circonstances sont tellement particulières que nous préférons que ce soit la police qui avertisse la famille. Je suppose que vous avez déjà été en contact avec eux, peut-être régulièrement même ?

— Je vais les appeler, dit Gösta.

— Avez-vous des informations sur ce qui s’est passé ? demanda Patrik.

— Rien, à part qu’elle a été renversée par une voiture. Elle a d’importantes hémorragies internes, et une blessure à la tête dont nous ne connaissons pas encore la gravité. Nous la maintiendrons sous anesthésie après l’opération, pour limiter les lésions au cerveau. Si elle survit, je veux dire.

— On a cru comprendre qu’elle avait des blessures antérieures à l’accident.

— Oui… dit Strandberg à contrecœur. Nous n’avons pas encore déterminé lesquelles proviennent de l’accident et lesquelles sont plus anciennes. Euh… — Le médecin se concentra et sembla chercher ses mots. — Les deux yeux ont disparu. La langue aussi.

— Disparu ?

Incrédule, Patrik le fixa et perçut le regard tout aussi ahuri de Gösta.

— Oui, sa langue a été coupée et les yeux ont d’une façon ou d’une autre été… retirés.

Gösta plaqua sa main sur la bouche. Sa peau avait pris une teinte légèrement verdâtre.

Patrik ravala sa salive. Un instant il se demanda s’il était en plein cauchemar et s’il allait se réveiller avant de se retourner dans son lit et de se rendormir. Mais non, c’était bien la réalité. Une réalité nauséabonde.

— L’opération durera combien de temps, d’après vous ?

Strandberg secoua la tête.

— Difficile à dire. Les hémorragies internes sont massives. Deux, trois heures. Au moins. Je vais vous montrer où vous pouvez attendre.