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Elle chercha fébrilement les mots dans sa mémoire et prit son élan :

— This… this is my sister.

Elle montra Agneta, et l’homme de grande taille la salua également. Laila eut un peu honte de son anglais bancal, mais sa curiosité l’emporta sur sa timidité.

— What… what do you do ? Here ? In the circus ?

Il s’illumina.

— Come, I show you.

Il leur fit signe de le suivre puis partit sans attendre de réponse. Elles trottinaient derrière lui et Laila sentit son sang circuler à toute vitesse dans ses veines. Il passa devant les caravanes et le chapiteau qu’on montait, en direction d’une roulotte installée un peu à l’écart. C’était plutôt une cage, avec des barreaux de fer à la place des parois. Derrière les barreaux, deux lions allaient et venaient.

— This is what I do. This is my babies, my lions. I am… I am a lion tamer !

Un dompteur de lions !

Laila fixa les fauves. En elle, un nouveau sentiment germa, un sentiment effrayant et merveilleux à la fois. Sans réfléchir à ce qu’elle faisait, elle prit la main de Vladek.

Les murs jaunes de la cuisine du commissariat paraissaient plutôt gris dans la brume d’hiver qui enveloppait Tanumshede à cette heure matinale. Tout le monde était silencieux. Ils n’avaient pas eu beaucoup d’heures de sommeil et un masque de fatigue recouvrait leurs visages. Les médecins avaient vaillamment lutté pour sauver la vie de Victoria, mais en vain. À 11 h 14 la veille, le décès avait été déclaré.

Martin avait servi du café à tous et Patrik lui jeta un regard inquiet. Depuis la disparition de Pia, il ne souriait pratiquement jamais, et tous leurs efforts pour ressusciter l’ancien Martin avaient échoué. De toute évidence, Pia avait emporté une partie de lui dans la tombe. Les médecins avaient donné un an à sa femme, tout au plus, mais en réalité c’était allé beaucoup plus vite. Trois mois après l’annonce de sa maladie, elle était morte, et Martin se retrouvait seul avec leur petite fille. Putain de cancer, pensa Patrik, et il se leva.

— Comme vous le savez, Victoria Hallberg est décédée de ses blessures après s’être fait percuter par une voiture. Le conducteur du véhicule n’est soupçonné d’aucun crime.

— Je confirme, ajouta Martin. Je lui ai parlé hier. Il dit que Victoria a surgi d’un coup sur la route devant lui, il n’avait aucune chance de freiner à temps. Il a tout fait pour l’éviter, mais la chaussée était très glissante et il a perdu le contrôle de son véhicule.

Patrik hocha la tête.

— Il y a un témoin de l’accident. Marta Persson. Elle se promenait à cheval, elle a vu la jeune fille sortir de la forêt juste avant que la voiture ne la renverse. C’est elle qui a alerté la police et les secours, et qui a reconnu Victoria. Elle était sous le choc hier, si j’ai bien compris. Nous irons la voir aujourd’hui. Tu peux t’en charger, Martin ?

— Bien sûr, je m’en occupe.

— Il faut absolument qu’on progresse dans cette enquête, qu’on trouve celui ou ceux qui l’ont enlevée et qui lui ont fait subir des violences aggravées.

Patrik se frotta le visage. La vision de Victoria morte sur son chariot s’était imprimée sur sa rétine. Il était parti directement de l’hôpital au commissariat où il avait consacré quelques heures à étudier les éléments en leur possession : les entretiens avec la famille, avec ses copains et copines de l’école et du club d’équitation ; les tentatives d’établir une image claire de son entourage ainsi que des dernières heures avant sa disparition en quittant le centre équestre pour rentrer chez elle ; les informations qu’ils avaient reçues concernant d’autres filles qui avaient disparu ces deux dernières années. Évidemment, ils n’avaient aucune certitude, mais le fait que cinq jeunes filles du même âge et d’un physique semblable se soient volatilisées dans un périmètre relativement restreint ne pouvait pas relever du simple hasard. La veille, Patrik avait fait parvenir toutes les nouvelles données aux autres districts de police en leur demandant de l’informer à leur tour s’ils avaient du nouveau. Un élément avait pu passer inaperçu.

— Nous allons poursuivre la collaboration avec les districts de police concernés et unir autant que possible nos forces dans cette enquête. Victoria est la seule qui a été retrouvée. L’issue est tragique, c’est certain, mais elle pourra peut-être nous mener aux autres jeunes filles disparues. Et nous aider à mettre un terme à ces enlèvements. Un être humain capable d’une cruauté telle que celle que Victoria a subie… eh bien, il ne mérite pas d’être en liberté.

— C’est un malade, ce type, marmonna Mellberg.

Ernst, le chien, leva immédiatement la tête, inquiet. Comme d’habitude, il somnolait la tête posée sur les pieds de son maître, et détectait le moindre changement d’humeur.

— Que faut-il penser de ces mutilations ? demanda Martin en se penchant en avant. Qu’est-ce qui peut bien pousser quelqu’un à commettre de telles atrocités ?

— J’aimerais le savoir. J’ai envisagé de faire appel à un spécialiste qui nous dresserait un profil psychologique. Nous n’avons pas grand-chose pour servir de base, mais il y a peut-être un schéma intéressant, un lien entre les affaires qui nous échappe.

— Un profil psychologique ? Tu veux dire qu’un expert va venir nous expliquer comment faire notre boulot ? Un de ces spécialistes qui savent tout mieux que tout le monde sans jamais avoir été en contact avec de vrais criminels ?

Mellberg secoua la tête, et les quelques cheveux rabattus en haut de son crâne pour tenter de dissimuler sa calvitie retombèrent sur son oreille. D’une main sûre, il les remit promptement en place.

— Ça vaut le coup d’essayer, rétorqua Patrik.

Il connaissait par cœur la résistance de Mellberg à toute forme de nouveauté au sein de leur travail. En théorie, Bertil Mellberg était le chef du commissariat, mais il était de notoriété publique que c’était en réalité Patrik qui assurait tout le travail. Somme toute, c’était grâce à lui que des affaires criminelles avaient été résolues dans le district.

— Très bien, c’est toi qui seras tenu pour responsable si tout ça part en sucette et que les patrons se mettent à gueuler qu’on jette l’argent par les fenêtres. Moi, je m’en lave les mains.

Mellberg se renversa sur sa chaise et croisa les doigts sur son ventre.

— Je vais voir si je peux trouver une personne qui convienne, proposa Annika. Il vaut peut-être mieux se renseigner d’abord auprès des autres districts, ils ont pu faire réaliser ce genre de portrait en oubliant de nous tenir informés. Inutile de gaspiller du temps et des ressources.

— Tu as tout à fait raison. Merci !

Patrik se tourna vers le tableau blanc où ils avaient affiché une photo de Victoria et noté des renseignements personnels à son sujet.

Plus loin dans le couloir, une radio diffusait une chanson de variété entraînante. La mélodie et les paroles accrocheuses formaient un contraste violent avec la lourde atmosphère de la pièce. Le commissariat disposait d’une salle de conférences où ils auraient pu s’installer, mais elle était froide et impersonnelle, et ils préféraient de loin se réunir dans la cuisine accueillante. De plus, ici, le café était à portée de main, et il leur en faudrait des litres avant d’avoir fini.

Patrik s’étira et distribua les tâches après un instant de réflexion.

— Annika, tu constitueras un dossier avec tout le matériel que nous possédons sur Victoria, ainsi que toutes les données fournies par les autres districts. Tu pourras ensuite envoyer ce dossier à la personne qui nous dressera éventuellement ce portrait psychologique. Tu veilleras aussi à ce que le dossier soit régulièrement mis à jour.