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— Pas de problème, je note tout, répondit Annika, stylo et papier devant elle sur la table.

Patrik avait essayé de lui faire adopter un ordinateur portable, mais elle refusait. Et quand Annika ne voulait pas faire quelque chose, elle ne le faisait pas.

— Bien. Prépare une conférence de presse pour seize heures cet après-midi. Sinon, on va crouler sous les appels.

Du coin de l’œil, Patrik remarqua que Mellberg se lissait les cheveux d’un air satisfait. Rien, vraisemblablement, ne pourrait l’en tenir éloigné.

— Gösta, tu vois avec Pedersen quand nous pouvons espérer avoir les résultats de l’autopsie. Il nous faut tous les éléments factuels au plus vite. Tu peux aussi retourner voir la famille, des fois que quelque chose d’utile pour l’enquête leur serait revenu à l’esprit.

— Mais on les a déjà questionnés, et pas qu’une fois. On devrait les laisser en paix un jour comme aujourd’hui, non ?

Le regard de Gösta exprimait un certain découragement. Il avait eu la lourde mission de s’occuper des parents et du frère de Victoria à l’hôpital, et Patrik voyait bien qu’il était à bout.

— Certes, mais je suis sûr qu’ils tiennent aussi à ce qu’on poursuive les recherches et qu’on mette la main sur celui qui a fait ça. Tu prendras des gants. Nous allons devoir recontacter d’autres personnes que nous avons déjà entendues. Maintenant que Victoria est morte, ils oseront peut-être raconter des détails qu’ils ne voulaient pas révéler avant. La famille, ses amis, des personnes qui fréquentent le centre équestre… Quelqu’un a pu remarquer quelque chose au moment de sa disparition. Par exemple, Tyra Hansson, la meilleure amie de Victoria. Tu t’en charges, Martin ?

Martin marmonna un oui.

Mellberg émit un raclement de gorge signifiant : Et moi ? Comme d’habitude, il faudrait lui attribuer une mission anodine, une tâche qui lui donnerait l’impression d’être important, tout en lui évitant de causer trop de dégâts. Patrik réfléchit. Parfois, le plus sage était de garder Mellberg sous la main, afin de pouvoir le surveiller de près.

— J’ai eu Torbjörn au téléphone hier soir, l’examen technique n’a rien donné. La neige a compliqué le travail, ils n’ont pas trouvé d’empreintes de Victoria qui auraient pu nous renseigner sur l’endroit d’où elle venait. Ils n’ont plus de ressources à y consacrer. Du coup, je me suis dit qu’on allait rassembler des bénévoles qui chercheront dans une zone plus large. Elle a pu être maintenue prisonnière dans une vieille cabane ou une résidence secondaire dans la forêt. Elle a surgi pas très loin de l’endroit où elle a été vue pour la dernière fois, elle a peut-être été retenue tout près.

— J’y ai pensé, dit Martin. Ce qui laisserait supposer que le coupable vit à Fjällbacka ?

— Pas nécessairement, répondit Patrik. Pas si la disparition de Victoria est liée aux autres. Cela dit, nous n’avons pas encore trouvé de corrélation entre les autres lieux et Fjällbacka.

Mellberg se racla la gorge de nouveau et Patrik se tourna vers lui.

— J’ai pensé que tu pourrais m’aider là-dessus, Bertil. On ira dans la forêt, et avec un peu de chance on trouvera l’endroit où elle a été détenue.

— Ça me va, dit Mellberg. Mais avec ce foutu froid, ça ne sera pas une partie de plaisir.

Patrik ne répondit rien. Qu’il fasse froid ou pas était le dernier de ses soucis.

Sans enthousiasme, Anna triait le linge. Elle était en congé maladie depuis l’accident de voiture et les cicatrices sur son corps s’effaçaient peu à peu. À l’intérieur, en revanche, les blessures n’avaient pas encore guéri. Non seulement elle se débattait avec le deuil de l’enfant qu’elle avait perdu, mais elle devait aussi lutter contre une douleur dont elle était la cause.

Elle se sentait incroyablement fatiguée et la culpabilité la rongeait comme une nausée permanente. Chaque nuit, elle restait éveillée à ressasser ce qui était arrivé, à passer en revue ses motivations. Mais même quand elle essayait d’être indulgente envers elle-même, elle n’arrivait pas à comprendre comment elle avait pu se retrouver au lit avec un autre homme. Elle aimait Dan. Pourtant elle en avait embrassé un autre, elle avait laissé un autre homme la caresser.

Son estime de soi était-elle si faible, son besoin de reconnaissance si fort pour qu’elle ait cru que les mains et la bouche d’un autre homme lui donneraient ce que Dan n’arrivait pas à lui donner ? Elle ne le comprenait pas elle-même, alors comment Dan aurait-il pu ? Lui qui était la sécurité et la loyauté incarnées. On ne pouvait jamais tout savoir d’autrui, bien sûr, mais elle était certaine que Dan n’avait jamais songé à la tromper. Jamais il n’aurait touché une autre femme. Tout ce qu’il avait voulu, c’était l’aimer, elle.

Après la colère, les mots durs avaient été remplacés par le silence, ce qui était bien pire. Un silence lourd et étouffant. Ils se tournaient autour comme deux bêtes blessées, et Emma, Adrian et les filles de Dan étaient presque devenus otages dans leur propre maison.

Ses rêves de monter sa propre agence d’architecture intérieure, où elle imaginerait de jolis meubles et de beaux objets, étaient morts à l’instant où le regard humilié de Dan s’était arrêté sur elle. Ce fut la dernière fois qu’il posa ses yeux sur elle. Désormais, s’il était obligé de lui adresser la parole — au sujet des enfants ou pour une demande aussi banale que de lui passer le sel à table —, il murmurait, les yeux baissés. Elle aurait voulu crier, le secouer, mais elle n’osait pas. Si bien qu’elle aussi, elle gardait les yeux baissés. De honte plus que de douleur.

Les enfants ne saisissaient évidemment pas ce qui s’était passé. Ils ne comprenaient pas, mais souffraient des conséquences. Tous les jours, ils allaient et venaient dans le silence de la maison en essayant de faire comme si tout était normal. Il y avait longtemps, cependant, qu’elle n’avait pas entendu leurs rires.

Le cœur tellement empli de regrets qu’elle pensait qu’il allait éclater, Anna se pencha en avant, enfouit son visage dans le linge et pleura.

C’est ici que tout s’était déroulé. En faisant très attention, Erica entra dans la maison qui semblait prête à s’écrouler à tout moment. Exposée aux intempéries, elle était restée vide et abandonnée pendant des années, et aujourd’hui, peu de choses venaient rappeler qu’elle avait été habitée.

Erica se baissa pour éviter une planche qui pendait du plafond. Du verre brisé crissait sous ses grosses chaussures d’hiver. Pas un seul carreau aux fenêtres n’était intact. Le sol portait des traces de visiteurs. Sur les murs, des graffitis de prénoms et de mots qui n’avaient de signification que pour ceux qui les avaient écrits, des termes sexuels et des injures, beaucoup de fautes d’orthographe. Les personnes qui s’employaient à taguer des maisons abandonnées faisaient rarement preuve d’un grand talent littéraire. Le sol était jonché de canettes de bière, et un paquet de préservatifs vide traînait à côté d’une couverture tellement immonde qu’Erica en eut des haut-le-cœur. La neige s’était infiltrée à l’intérieur avec le vent et formait de petits tas par-ci, par-là.

La maison entière respirait la misère et la solitude. Erica ouvrit son sac et sortit les photos qu’elle avait apportées pour tenter d’avoir une autre vision des lieux. Elles montraient une maison différente, un intérieur agréable où des gens avaient vécu. Pourtant, elle frissonna, car elle y décelait aussi les traces de ce qui s’était passé. Elle examina la pièce du regard. Oui, on pouvait toujours distinguer la tache de sang sur le plancher. Et quatre marques au sol à l’emplacement du canapé. Regardant de nouveau les photographies, Erica essaya de se repérer. Elle parvint à se faire une idée de la pièce telle qu’elle était à l’époque, elle visualisa le canapé, la table basse, le fauteuil dans le coin, la télé sur son petit meuble, le lampadaire à gauche du fauteuil. C’était comme si tous les objets se matérialisaient sous ses yeux.