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La famille de Vladek l’accueillit à bras ouverts. Comme leur fille. Ils avaient l’intention de contacter Vladek, mais elle leur expliqua qu’il était mort d’un infarctus. Personne ne trouva cela étrange, il n’était pas le premier de la famille à avoir le cœur fragile. Elle avait eu de la chance avec ce mensonge, mais il était toujours possible qu’un habitant de Fjällbacka parle de Vladek et révèle ce qui s’était réellement passé. Pendant trois longues journées, elle marcha sur des charbons ardents, jusqu’à ce que le cirque plie bagage et quitte Fjällbacka. Alors elle put respirer, elle était sauve.

Ils lui posèrent des questions sur sa mère, si elle avait vraiment son autorisation de partir, vu qu’elle n’avait que quinze ans. Elle baissa la tête et réussit même à produire quelques larmes. Elle dit que Laila était morte d’un cancer plusieurs années auparavant. La belle-sœur de Vladek posa sa main noueuse sur sa joue et essuya ses larmes de crocodile. Après cela, ils ne posèrent plus de questions, ils lui montrèrent simplement où elle pouvait dormir et lui donnèrent des vêtements et à manger. Jamais elle n’aurait cru que ce serait aussi simple, et qu’elle deviendrait si rapidement un membre de la famille. Pour eux, les liens du sang étaient sacrés.

Elle attendit deux semaines avant d’aller trouver le frère de Vladek. Elle lui dit qu’elle voulait apprendre, elle voulait faire partie du cirque et poursuivre la tradition familiale. Tout le monde fut aux anges, comme elle s’y était attendue, et elle proposa de donner un coup de main avec les chevaux. Elle voulait prendre le même chemin que Paulina, la belle jeune femme qui à chaque représentation exécutait son numéro sur le dos des chevaux, vêtue d’un costume scintillant.

Elle devint l’assistante de Paulina. Elle la regardait s’entraîner et restait près des chevaux à toute heure du jour et de la nuit. Paulina l’avait immédiatement détestée, mais ne faisant pas partie de la famille, elle n’avait pas son mot à dire. Après que le frère de Vladek l’eut raisonnée, Paulina commença à la former, à contrecœur. Elle était une élève assidue. Elle comprenait les chevaux, et les chevaux la comprenaient. Il ne lui fallut qu’un an pour apprendre les bases, et après une autre année d’apprentissage elle était devenue aussi adroite que Paulina. Si bien que lorsque l’accident survint, elle put reprendre le flambeau.

Un matin, on avait trouvé Paulina morte près des chevaux. On supposa qu’elle avait glissé et s’était cogné la tête, ou qu’un des chevaux lui avait donné un coup de sabot malencontreux. C’était une catastrophe pour le cirque, mais heureusement, elle put endosser l’un des magnifiques costumes de Paulina et le soir même la représentation fut maintenue, comme si rien ne s’était produit. Dorénavant, c’était elle qui exécutait tous les soirs le numéro de Paulina.

Pendant trois ans, elle voyagea avec le cirque. Dans un monde où l’étrange et le fantastique se croisaient, personne ne remarquait sa différence. C’était l’endroit parfait. Mais maintenant la boucle était bouclée, elle était de retour. Le lendemain, le Cirkus Gigantus arriverait à Fjällbacka encore une fois, et il serait temps de s’attaquer aux choses trop longtemps repoussées. Elle s’était permis de devenir quelqu’un d’autre, une princesse de cirque sur des chevaux blancs ornés de panaches majestueux et aux mors scintillants. Elle avait vécu dans un monde imaginaire. Il était temps de revenir à la réalité.

— Je vais chercher le courrier.

Patrik glissa ses pieds dans ses grosses chaussures. Ces derniers jours, il n’avait pratiquement pas vu Erica. Tous les interrogatoires et examens supplémentaires les avaient occupés du matin au soir, ses collègues et lui. Mais ce vendredi, il avait posé une matinée de congé.

— Putain, quel froid ! dit-il en rentrant. Il a dû tomber un bon mètre de neige cette nuit.

— Oui, on dirait que ça ne va jamais s’arrêter.

Assise à la table dans la cuisine, Erica lui adressa un sourire fatigué. Il s’installa en face d’elle et examina le courrier. Erica cala sa tête entre ses mains et se perdit dans ses pensées. Il posa le tas d’enveloppes sur la table et l’observa, préoccupé.

— Comment ça va, toi ?

— Je ne sais pas trop. Je crois que j’hésite sur la façon de reprendre le livre. Je ne suis même pas sûre de le vouloir. Tu comprends, il y a une suite à l’histoire maintenant.

— Mais Laila veut que tu l’écrives ?

— Oui, j’ai l’impression qu’elle considère sa publication comme une sorte de mesure de sécurité. Elle imagine que Marta n’osera pas refaire surface si un livre apprend au grand public qui elle est et ce qu’elle a fait.

— Ce n’est pas plutôt l’inverse qui risque de se produire ? demanda Patrik prudemment.

Il ne voulait pas dire à Erica ce qu’elle devait faire ou ne pas faire, mais il trouvait désagréable qu’elle écrive un livre sur des gens aussi vicieux et dangereux que Jonas et Marta. Ils pourraient bien vouloir se venger un jour.

— Non, je crois que Laila a raison. Et au fond, je sais que je dois terminer ce livre. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter, dit Erica en croisant son regard. Fais-moi confiance.

— C’est en eux que je n’ai pas confiance. On ignore totalement où ils se trouvent, répondit Patrik, incapable de museler son angoisse.

— Ils n’oseront pas revenir, d’ailleurs il n’y a plus rien ici pour eux.

— À part leur fille.

— Ils se fichent de Molly. Marta ne l’a jamais aimée, et l’intérêt de Jonas semble s’être envolé dès qu’il a compris qu’elle n’était pas sa fille.

— Où peuvent-ils être allés ? Avec un avis de recherche national, ça paraît invraisemblable qu’ils aient réussi à quitter le pays.

— Aucune idée, dit Erica tout en ouvrant une des nombreuses enveloppes à fenêtre. Laila craint qu’ils n’essaient d’aller en Espagne pour retrouver Peter.

— Je comprends, mais à mon avis ils sont toujours en Suède, et tôt ou tard, on va leur mettre la main dessus. Et alors ils auront à répondre de leurs crimes. On a déjà réussi à identifier certaines filles sur les films. Parmi celles qu’Einar avait enlevées et parmi les victimes de Jonas et Marta.

— Comment vous avez pu supporter de regarder ça… ?

— C’était atroce, crois-moi.

Patrik songea aux images des DVD. Elles demeureraient probablement imprimées dans son esprit, comme un rappel des monstruosités dont les hommes sont capables.

— Pourquoi ont-ils choisi d’enlever Victoria ? demanda-t-il ensuite. Ça comportait un risque énorme.

Erica garda le silence un instant. Il n’existait pas de réponses évidentes. Jonas et Marta avaient disparu et les films montraient leurs actes sans révéler quoi que ce soit de leurs motivations.

— Je crois que Marta est tombée amoureuse de Victoria, mais que sa loyauté envers Jonas était inébranlable. Victoria était peut-être une sorte d’offrande à Jonas. Une manière de lui demander pardon.

— On a trop tardé à comprendre qu’elle y était mêlée, dit Patrik. C’est sans doute elle qui a enlevé Victoria.

— Comment auriez-vous pu soupçonner ça ? Les actes et les pulsions de ces gens sont incompréhensibles. J’ai essayé d’en parler avec Laila hier, elle non plus n’a aucune explication au comportement de Marta.

— Je sais, mais je m’en veux quand même. Et j’ai besoin de comprendre comment ils en sont arrivés là. Par exemple, pourquoi Marta et Jonas ont choisi de marcher sur les traces d’Einar ? Pourquoi ont-ils infligé les mêmes mutilations macabres à leurs victimes ?

Patrik déglutit. Les nausées l’envahissaient dès qu’il pensait aux films.