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— Fais pas l’idiot, avertit l’autre, Osha, en braquant sa pique. On est six contre un. Descends de cheval et jette l’épée. On te remerciera gentiment pour la bête et pour le gibier, et tu pourras partir avec ton frère. »

Il répondit par un sifflement, et l’on entendit vaguement crisser les feuilles mortes sous des pas moelleux, puis les branches basses se soulagèrent de leur faix neigeux, les fourrés s’ouvrirent, Eté et Vent Gris parurent, Eté huma l’air et se mit à gronder.

« Des loups… ! hoqueta Hali.

— Loups-garous », rectifia Bran, dûment initié par mestre Luwin et le maître-piqueux Farlen sur ce chapitre. Pour n’avoir encore atteint que la moitié de leur taille définitive, ils étaient déjà aussi grands qu’aucun loup commun, et nul œil exercé ne pouvait les confondre avec l’un de ceux-ci. Ils avaient, proportionnellement, les pattes plus longues, la tête plus forte, la truffe et la mâchoire incomparablement plus fines et plus prononcées. Enfin, quelque chose de farouche dans leur attitude, là, sous la valse lente des flocons si blancs, vous inspirait une terreur sourde. Les babines de Vent Gris dégouttaient de sang frais.

« Des chiens, déclara le grand chauve d’un air de souverain mépris. Mais je me suis laissé dire qu’y a rien de plus chaud, la nuit, qu’une peau de loup. » Il fit un geste sec. « Attrapez-moi ça.

Winterfell ! » cria Robb en piquant des deux, et le hongre dévala la berge sus à la bande qui se regroupait. Un homme armé d’une hache se précipita en vociférant, et mal lui en prit, l’épée le cingla en pleine figure, lui écrabouillant les pommettes et le nez dans un geyser vermeil. Le barbu tenta d’agripper la bride, y parvint… mais, au même instant, Vent Gris fondait sur lui, qui le projeta à la renverse dans le torrent. Une gerbe d’éclaboussures étouffa son cri, sa tête disparut, sa main seule émergeait, serrée sur son poignard, mais le loup plongea à son tour, et l’écume blanche se teignit de rouge dans le courant qui les emportait.

Au milieu du lit, Osha affrontait Robb à son tour et, de sa longue pique analogue à un serpent à tête d’acier, le visait sans relâche à la poitrine, mais il parait toujours, une fois, deux fois, trois, en détournant la terrible pointe. A sa quatrième ou cinquième tentative, cependant, elle se plaça si bien en surextension qu’une seconde à peine elle manqua perdre l’équilibre, et il en profita pour charger et lui passer sur le corps.

A quelques pas de là, Eté s’était rué pour mordre Hali, mais le couteau le blessa au flanc. Avec un grondement, il se déroba, repartit à l’attaque et, cette fois, ses crocs s’arrimèrent dans le mollet de l’adversaire. Brandissant son arme à deux mains, celle-ci frappa derechef, mais le loup-garou dut sentir venir le coup, car il l’esquiva d’un bond, la gueule pleine de cuir, d’étoffe et de chair sanglante, puis, comme la femme chancelait, s’affaissait, aussitôt il se jeta sur elle et, la plaquant sur le dos, entreprit de lui fouailler les tripes.

Au vu du carnage, l’un des brigands préféra s’enfuir mais, comme il escaladait la rive opposée, Vent Gris reparut, ruisselant, et, le temps de s’ébrouer, se lançait à ses trousses, lui tranchait le jarret d’un simple coup de dents puis cherchait sa gorge, tandis qu’avec un cri d’épouvante l’homme, lentement, glissait, recroquevillé, vers les flots.

Seul demeurait désormais le grand chauve, Stiv. Tranchant vivement le harnais de Bran, il l’empoigna par le bras, tira, le fit rouler à terre, ses jambes emmêlées sous lui, un pied ballant, insensible, dans le torrent glacial, et lui appliqua son poignard sur la gorge. La lame était froide. « Arrière ! cria-t-il, ou j’ouvre le gosier du gosse ! »

Aussitôt, Robb immobilisa son cheval et, haletant, laissa retomber son bras. La furie qui l’animait jusque-là fit place à l’appréhension.

A cet instant, le regard de Bran enregistra le moindre détail de la scène. Eté qui ravageait Hali, lui tirant du ventre de longs serpents à reflets bleus. Elle qui, les yeux grands ouverts, le contemplait faire. Vivante ? morte ? impossible à dire. Le barbu et l’homme à la hache qui gisaient, inertes. Osha qui, à genoux, elle, se traînait pour récupérer sa pique. Et Vent Gris qui, tout détrempé, s’approchait d’elle à pas feutrés. « Rappelle-le ! glapit l’homme. Rappelle-les tous les deux, ou le gosse est mort !

— Ici, Vent Gris. Eté, ici », dit Robb.

Les loups se détournèrent instantanément vers lui. Mais si Vent Gris vint le rejoindre d’un trot nonchalant, Eté ne bougea pas d’un pouce. Le museau barbouillé de rouge gluant, ses yeux flamboyaient, éperdument fixés sur Bran et sur l’homme qui le menaçait.

Osha, cependant, se relevait en s’appuyant pesamment sur le talon de sa hampe. La blessure que lui avait faite Robb au bas de l’épaule saignait pas mal. A la sueur qui lui dégoulinait sur le mufle, Bran comprit que Stiv n’était pas moins terrifié que lui. « Stark, grommela le chauve, putains de Stark. » Il éleva la voix. « Tue les loups, Osha, et prends son épée.

— Tue-les toi-même, répliqua-t-elle. ’cune envie, moi, d’approcher ces monstres. »

Un instant, Stiv demeura perplexe. Il tremblait si fort que Bran sentit son sang perler sous la vibration du poignard. Et l’odeur infecte qu’il répandait ne trompait pas non plus, il puait la peur. « Hé, toi, apostropha-t-il Robb, t’as bien un nom ?

— Je suis Robb Stark, l’héritier de Winterfell.

— Et çui-là, c’ ton frère ?

— Oui.

— S’tu veux qu’ vive, fais ce que j’ dis. Démonte. »

Une seconde, Robb hésita puis, posément, se résolut à mettre pied à terre et attendit, l’épée au poing.

« A présent, tue ces maudites bêtes. »

Robb ne bougea pas.

« Tue-les. C’est eux ou le gosse.

— Non ! » s’écria Bran, persuadé qu’une fois les loups morts Stiv les tuerait à leur tour tous deux.

De sa main libre, celui-ci l’empoigna par les cheveux et les lui tordit jusqu’à le faire sangloter. « La ferme, estropié, t’entends ? » Il accentua la torsion. «T’entends ? »

Une espèce de pincement grave, derrière, dans les fourrés, et Stiv émit un hoquet soufflé, tandis qu’un bon pan de dard acéré lui crevait, devant, la poitrine. Une flèche. D’un rouge aussi éclatant que si on l’avait peinte.

Et le poignard cessa d’oppresser la gorge de Bran, pendant que le chauve titubait quelques secondes avant de s’effondrer, face la première, dans le torrent qui, sous les yeux agrandis de l’enfant, emporta au fil capricieux du courant les débris de la flèche et des bulles de vie.

En voyant les gardes émerger du couvert, l’épée dégainée, Osha lança à l’entour un regard affolé puis, jetant sa pique, « Grâce, messire », dit-elle à Robb.

Les hommes de Père firent une drôle de tête en découvrant le spectacle. Ils n’osaient trop regarder les loups, et, lorsqu’Eté se réattabla devant le cadavre de Hali, Joseth laissa choir son arme et, d’un pas chancelant, gagna le sous-bois pour vomir. En émergeant de derrière un arbre, mestre Luwin lui-même sembla révulsé, du moins quelques secondes, et puis, branlant du chef, il pataugea péniblement jusqu’auprès de Bran. « Tu es blessé ?

— A la jambe, mais je n’ai rien senti. »

Comme le vieux s’agenouillait pour examiner la plaie, le petit tourna la tête et aperçut Theon Greyjoy qui, debout sous un vigier, souriait, son arc à la main. Ce sourire sempiternel… Une demi-douzaine de flèches gisait à ses pieds, sur le sol moussu, mais une seule avait suffi. « Beau à voir, énonça-t-il, un ennemi mort.

— Jon le disait toujours, que tu es un con ! riposta Robb à pleine voix. Je devrais t’enchaîner dans la cour et laisser Bran un peu s’entraîner à tirer sur toi.