Выбрать главу

– Explique-toi, mon garçon, commença M. Verduret, et lestement, s’il te plaît; pas de phrases.

– Voilà, bourgeois. Je ne sais pas quelles sont vos intentions, j’ignore vos moyens d’action, mais il faut en finir, frapper votre dernier coup, vite, très vite.

– C’est votre avis, maître Joseph?

– Oui, patron, parce que si vous attendez, si vous hésitez, si vous tergiversez, bonsoir la compagnie, vous ne trouverez plus qu’une cage vide, les oiseaux auront pris leur volée. Vous souriez?… Oui, je sais bien que vous êtes fort, mais ils sont roués, eux aussi.

– Tu ne les as donc pas recommandés là-bas, quand je t’ai écrit?

– Si, mais ils sont gens à glisser entre les doigts comme une anguille. Ils savent qu’ils ont du monde à leurs trousses.

– Mille diables! s’écria M. Verduret, on aura commis quelque maladresse.

Cette conversation était par trop transparente pour ne pas donner beaucoup à réfléchir à Prosper; aussi écoutait-il de toutes ses forces, tout en notant et la supériorité aisée de M. Verduret et la déférence très sincère, on le sentait, du domestique.

– On n’a pas été maladroit, reprit Joseph; la défiance de nos gaillards, vous en savez quelque chose, patron, date de loin. Ils se sont doutés de quelque chose le soir où vous vous êtes déguisé en Paillasse, et la preuve, c’est le coup de couteau qu’ils vous ont allongé. Depuis, ils n’ont dormi que d’un œil. Cependant ils commençaient, je crois, à se rassurer quand hier, ma foi! la mèche a été décidément éventée.

– Et c’est pour cela que tu m’envoyais des dépêches?

– Naturellement. Écoutez la chose. Hier matin, au saut du lit, c’est-à-dire sur les dix heures, voilà que mon honorable bourgeois s’avise de mettre de l’ordre dans ses paperasses qui sont renfermées dans un meuble du salon, un meuble à lui, lequel, entre parenthèses, a une serrure qui m’a donné bien du mal. Moi, pendant ce temps-là, je faisais semblant d’arranger le feu, et je le guignais. Patron, cet homme-là a l’œil américain! Du premier coup, il a vu, il a deviné plutôt, qu’on avait touché les damnés papiers. Il est devenu blanc comme un linge, et il a poussé un juron, mais un juron!…

– Passons, passons.

– Soit! Comment s’est-il aperçu de mes petites recherches? C’est un mystère. Vous savez comme je suis soigneux. J’avais tout remis en ordre avec une légèreté de main, une attention!… Alors, voilà que pour se convaincre qu’il ne s’abuse pas, mon marquis se met à examiner toutes les lettres une à une, à les tourner, à les flairer… j’avais envie de lui offrir un microscope. Il n’en avait pas besoin, le gredin. Tout à coup, paf, il se dresse avec des yeux flamboyants, d’un coup de pied, il envoie sa chaise à l’autre bout du salon, et il se précipite sur moi en hurlant: «On est venu ici, on a visité mes papiers, on a photographié la lettre que voici!…» Brrr! je ne suis pas plus lâche qu’un autre, mais tout mon sang n’a fait qu’un tour; je me voyais mort, haché, massacré. Même, je me suis dit: Fanfer… pardon, Dubois, mon garçon, tu es flambé. Et j’ai pensé à madame Alexandre…

M. Verduret était devenu sérieux. Il réfléchissait, laissant ce bon Joseph analyser et exposer ses sensations personnelles.

– Continue, dit-il enfin.

– J’en ai été quitte pour la peur, patron, le scélérat n’a pas osé me toucher. Il est vrai que, plein de prudence, je m’étais mis hors de portée et que nous causions avec la large table qui est au milieu du salon entre nous deux. Tout en me demandant comment il avait découvert le pot aux roses, je me défendais comme un beau diable. Je disais: «Ce n’est pas vrai, monsieur le marquis se trompe; ce n’est pas possible!» Bast! il ne m’écoutait pas; il brandissait une lettre en me répétant: «Cette lettre a été photographiée, et j’en ai la preuve.»

» Il ne se trompait pas, le cher homme. Et en même temps il me montrait sur le papier une petite tache jaunâtre. «Sens! me criait-il, sens! c’est du…, c’est de la…» Il m’a dit le nom, je l’ai oublié; c’est, paraît-il, une drogue dont les photographes se servent…

– Je sais, je sais, interrompit M. Verduret. Après?

– Après, patron, nous avons eu une scène, oh! mais une scène!… Il a fini par m’empoigner au collet et il me secouait comme un prunier, pour me faire dire qui je suis, qui je connais, d’où je viens… est-ce que je sais? Il m’a fallu lui donner l’emploi de mon temps, à une minute près, depuis que je suis chez lui. Ce brigand-là était né pour faire un juge d’instruction. Puis, il a fait venir le garçon de l’hôtel chargé de l’appartement et il l’a questionné, mais en anglais, en sorte que, vous comprenez, je n’ai pas compris… À la fin, pourtant, il s’est radouci, et quand le garçon a été parti, il m’a donné une pièce de vingt francs en me disant: «Tiens, je suis fâché de t’avoir brusqué, tu es trop bête pour le métier dont je te soupçonnais.»

– Il t’a dit cela?

– En propres termes, parlant à ma personne, oui, patron.

– Et tu crois qu’il le pensait?

– Positivement.

Le gros homme modula un petit sifflement qui indiquait nettement que telle n’était pas son opinion.

– Si tu le prends ainsi, prononça-t-il, Clameran avait raison, tu n’es pas fort.

Il était aisé de voir que cet excellent Joseph Dubois grillait d’envie de motiver son avis, cependant il n’osa pas.

– Dans le fait, répondit-il, tout déconcerté, c’est bien possible. Toujours est-il que, cette affaire arrangée, monsieur le marquis s’est habillé pour sortir. Seulement, il n’a pas voulu de sa voiture et je lui ai vu prendre un remise [8] dans la cour de l’hôtel. Là, franchement, j’ai bien cru que je ne le reverrais pas de longtemps et qu’il allait se donner de l’air. Erreur. Il m’est revenu sur les cinq heures, gai comme un pinson. Moi, pendant cette absence, j’avais couru au télégraphe…

– Comment, tu ne l’as pas suivi?

– Excusez, patron, un de nos… amis le «filait», je m’en étais assuré. C’est même par cet ami que je sais ce qu’a fait notre gaillard. Il est allé d’abord chez un agent de change, puis au Comptoir d’escompte, puis à la Banque. On voit bien que c’est un capitaliste! J’ai idée qu’il a pris ses dispositions pour un petit voyage.

– Et c’est tout?

– De ce côté, oui, patron. D’un autre, il est bon que vous sachiez que nos coquins ont essayé de faire coffrer administrativement, vous m’entendez, mademoiselle Palmyre. Par bonheur, vous aviez prévu le coup, et j’avais prévenu là-bas. Sans vous, elle était «emballée» raide.

Il s’arrêta, le nez en l’air, cherchant s’il n’avait pas autre chose encore à dire. Ne trouvant rien:

– Et voilà! s’écria-t-il. J’ose espérer que monsieur Patrigent va se frotter les mains ferme à ma première visite. Il ne s’attend pas aux détails qui vont grossir son dossier 113.

Il y eut un long silence. Ainsi que l’avait conjecturé ce bon Joseph, l’instant décisif était venu, et M. Verduret dressait son plan de bataille en attendant le rapport de Nina, redevenue Palmyre, lequel devait décider son point d’attaque.

Mais Joseph Dubois était impatient et inquiet.

– Que dois-je faire maintenant, patron? demanda-t-il.

вернуться

[8] Voiture de remise, de louage. (N. d. E.)