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Une triomphante exclamation de M. Verduret interrompit Mme Gypsy. Il était radieux.

– Hein! dit-il à Prosper, oubliant sa mauvaise humeur de tout à l’heure; hein! qu’avais-je annoncé?

– Il est certain, monsieur…

– Ce malheureux homme s’est défié de son premier mouvement, je l’avais prévu. Il cherche maintenant, il guette des preuves à l’appui de votre lettre. Et quand je dis des preuves… il doit en avoir déjà. Ces dames sont-elles sorties hier?

– Oui, une partie de la journée.

– Qu’a fait monsieur Fauvel?

– Il est resté seul; ces dames m’avaient emmenée.

– Plus de doute! s’écria le gros homme. Il aura cherché et trouvé, pardieu! des indices bien décisifs après votre lettre. Ah! Prosper, malheureux jeune homme! votre lettre anonyme nous fait bien du mal.

Les réflexions de M. Verduret éclairèrent d’une lumière soudaine l’esprit de Mme Gypsy.

– J’y suis! dit-elle, monsieur Fauvel sait tout.

– C’est-à-dire qu’il croit tout savoir, et ce qu’on lui a appris est plus affreux encore que la vérité.

– Alors, je m’explique l’ordre que monsieur Cavaillon prétend avoir surpris.

– Quel ordre?

– Monsieur Cavaillon soutient avoir entendu monsieur Fauvel commander à son valet de chambre, monsieur Évariste, sous peine de renvoi immédiat, de ne remettre qu’à lui seul toutes les lettres qu’on apporterait à la maison, d’où qu’elles arrivassent et quelle que fut leur adresse.

– Si c’est ainsi, observa Prosper – dominé par son égoïsme fort compréhensible – si c’est ainsi, tout va être découvert, et il vaudrait mieux avouer…

Une fois encore, un regard foudroyant de M. Verduret l’arrêta net.

– À quel moment, demandait-il, le jeune Cavaillon a-t-il entendu donner cet ordre?

– Hier, dans l’après-midi.

– Voilà ce que je redoutais! s’écria M. Verduret, il est clair qu’à cette heure son parti est pris, et que s’il dissimule, c’est qu’il veut se venger sûrement. Arriverons-nous à temps pour contrecarrer ses projets? Est-il encore possible de nouer sur ses yeux un bandeau assez épais pour qu’il puisse croire à la fausseté de la lettre anonyme?

Il se tut. La folie – excusable, d’ailleurs – de Prosper renversait le plan si simple que tout d’abord il avait conçu, et maintenant il demandait à son esprit alerte un suprême expédient.

– Merci de vos renseignements, ma chère enfant, prononça-t-il enfin, je vais aviser, car l’inaction serait horriblement dangereuse en ce moment. Vous, rentrez bien vite. Ne vous abusez pas, monsieur Fauvel suppose que vous êtes dans le secret. Ainsi, de la prudence, au moindre fait, si insignifiant qu’il soit, un mot.

Mais Nina, ainsi congédiée, ne se retirait pas.

– Et Caldas, monsieur? demanda-t-elle bien timidement.

C’était la troisième fois, depuis quinze jours, que Prosper entendait prononcer ce nom.

La première fois, c’était dans les couloirs de la préfecture de police: un homme d’un certain âge, à figure respectable, l’avait murmuré à son oreille en lui promettant aide et protection.

Une autre fois, le juge d’instruction le lui avait jeté à la face à propos de Gypsy.

Ce nom, il l’avait cherché parmi les noms de tous les individus qu’il avait connus et oubliés, et il lui semblait qu’il devait se trouver mêlé à quelque grave aventure de sa vie; mais laquelle?…

M. Verduret, lui, l’homme impassible, avait eu à ce nom un tressaillement nerveux aussitôt réprimé.

– Je vous ai promis de vous le faire retrouver, prononça-t-il; je tiendrai ma promesse… au revoir.

Il était midi, M. Verduret s’aperçut qu’il avait faim. Il appela Mme Alexandre, et la puissante souveraine du Grand-Archange eut bientôt disposé devant la fenêtre une petite table où prirent place Prosper et son protecteur.

Mais, ni un petit déjeuner fin cuisiné avec amour, ni les huîtres d’Ostende dignes du baron Brisse [9], ni l’excellent vin pris derrière les fagots ne purent dérider M. Verduret.

Aux questions empressées et câlines de Mme Alexandre, il ne savait que répondre:

– Chut! chut! laissez-moi.

Pour la première fois depuis qu’il connaissait le gros homme, Prosper surprenait sur son visage des traces d’inquiétude et d’hésitation, et les exclamations et les lambeaux de phrases qu’il laissait échapper trahissaient des incertitudes.

L’anxiété de Prosper en redoubla au point qu’il osa questionner.

– Je vous ai mis dans un terrible embarras, monsieur? hasarda-t-il.

– Oui, répondit M. Verduret, terrible est le mot. Que faire? précipiter les événements, ou les attendre? Et je suis lié par des engagements sacrés… Allons, je ne sortirai pas de là sans le juge d’instruction; il faut aller lui demander secours… Venez avec moi.

23

Ainsi qu’il était aisé de le prévoir, ainsi que l’avait annoncé M. Verduret, l’effet de la lettre anonyme de Prosper avait été épouvantable.

C’était le matin; M. André Fauvel venait de passer dans son cabinet pour ouvrir sa correspondance quotidienne.

Il avait déjà brisé le cachet d’une douzaine d’enveloppes et parcouru autant de communications ou de propositions d’affaires, lorsque la missive fatale lui tomba sous la main.

L’écriture lui sauta aux yeux.

Évidemment elle était contrefaite, et bien qu’en sa qualité de millionnaire il fût habitué à recevoir bon nombre de demandes ou d’injures anonymes, cette particularité le frappa, et même – il serait puéril de nier les pressentiments – lui serra le cœur.

C’est d’une main tremblante, avec la certitude absolue qu’il allait apprendre un malheur, qu’il fit sauter le cachet, qu’il déplia le papier grossier du café, et qu’il lut:

Cher monsieur,

Vous avez livré à la justice votre caissier, et vous avez bien fait puisque vous êtes certain qu’il a été infidèle. Mais si c’est lui qui a pris à votre caisse trois cent cinquante mille francs, est-ce lui aussi qui a volé les diamants de Mme Fauvel?

etc., etc…

Ce fut un coup de foudre pour cet homme dont la constante prospérité avait épuisé les faveurs de la destinée, et qui en cherchant bien dans tout son passé n’y eût peut-être pas trouvé une larme répandue pour un malheur réel.

Quoi! sa femme le trompait, et elle avait choisi précisément, entre tous, un homme vil à ce point qu’il s’était emparé des bijoux qu’elle possédait, et qu’il avait abusé de son ascendant pour la contraindre à devenir complice d’un vol qui perdait un innocent!…

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[9] Chroniqueur gastronome, auteur de guides culinaires. (N. d. E.)