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Mais quand elle voulut se lever, elle ne le put. Une invincible faiblesse et d’atroces douleurs la rejetèrent sur ses oreillers. Et c’est là, grelottant, et cependant baignée des sueurs de l’angoisse, qu’elle attendit le résultat.

Elle attendait, penchée sur le bord de son lit, l’oreille au guet, lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit. Madeleine, qui venait de la quitter, reparut.

L’infortunée était plus pâle qu’une morte, ses yeux avaient l’éclat du délire, elle frissonnait comme les feuilles du tremble au vent de l’orage.

Mme Fauvel comprit que le crime était découvert.

– Tu sais ce qui arrive, n’est-ce pas, ma tante? dit Madeleine d’une voix stridente. On accuse Prosper d’un vol; le commissaire est là qui va le conduire en prison.

Un gémissement fut la seule réponse de Mme Fauvel.

– Je reconnais là, poursuivait la jeune fille, la main de Raoul ou du marquis…

– Quoi! comment expliquer?…

– Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que Prosper est innocent. Je viens de le voir, de lui parler. Coupable, il n’eût pas osé lever les yeux sur moi.

Mme Fauvel ouvrait la bouche pour tout avouer: elle n’osa.

– Que veulent donc de nous ces monstres? disait Madeleine, quels sacrifices exigeront-ils? Déshonorer Prosper!… Mieux valait l’assassiner… je me serais tue.

L’entrée de M. Fauvel interrompit Madeleine. La fureur du banquier était telle qu’à peine il pouvait parler.

– Le misérable! balbutiait-il, oser m’accuser, moi!… Laisser entendre que je me suis volé… Et ce marquis de Clameran, qui semble suspecter ma bonne foi.

Alors, sans prendre attention aux impressions des deux femmes, il raconta tout ce qui s’était passé.

– Je pressentais cela hier soir, conclut-il; voilà où mène l’inconduite.

Ce jour-là, le dévouement de Madeleine pour sa tante fut mis à une rude épreuve.

La généreuse fille vit traîner dans la boue l’homme qu’elle aimait; elle croyait à son innocence comme à la sienne même: elle pensait connaître ceux qui avaient ourdi le complot dont il était victime, et elle n’ouvrit pas la bouche pour le défendre.

Cependant Mme Fauvel devinait les soupçons de sa nièce; elle comprit que la maladie était un indice, et bien que mourante, elle eut le courage de se lever pour le déjeuner.

Ce fut un triste repas. Personne ne mangea. Les domestiques marchaient sur la pointe des pieds et parlaient bas, comme dans les maisons où il est arrivé un grand malheur.

Sur les deux heures, M. Fauvel était renfermé dans son cabinet, quand un garçon de recette vint le prévenir que le marquis de Clameran demandait à lui parler.

– Quoi! s’écria le banquier, il ose…

Mais il réfléchit et ajouta:

– Qu’on le prie de monter.

Ce nom seul de Clameran avait suffi pour réveiller les colères mal apaisées de M. Fauvel. Victime d’un vol le matin, sa caisse se trouvant vide en face d’un remboursement, il avait pu imposer silence à son ressentiment; à cette heure, il se promettait bien, il se réjouissait de prendre sa revanche.

Mais le marquis ne voulait pas monter. Bientôt le garçon de recette apparut, annonçant que cet importun visiteur tenait, pour des raisons majeures, à parler à M. Fauvel dans ses bureaux.

– Qu’est-ce que cette exigence nouvelle? s’écria le banquier.

Et aussi irrité que possible, ne voyant nul motif de se contenir, il descendit.

M. de Clameran attendait, debout, dans la première pièce, celle qui précède la caisse. M. Fauvel alla droit à lui:

– Que désirez-vous encore, monsieur? demanda-t-il brutalement; on vous a payé, n’est-ce pas? J’ai votre reçu.

À la grande surprise de tous les employés et du banquier lui-même, le marquis ne sembla ni ému ni choqué de l’apostrophe.

– Vous êtes dur pour moi, monsieur, répondit-il, d’un ton de déférence étudiée, sans humilité cependant, mais je l’ai mérité. C’est même pour cela que je suis venu. Un galant homme souffre toujours quand il s’est mis dans son tort, c’est là mon cas, monsieur, et je suis heureux, que mon passé me permette de l’avouer hautement sans risquer d’être taxé de faiblesse. Si j’ai insisté pour vous parler ici et non dans votre cabinet, c’est qu’ayant été parfaitement inconvenant devant vos employés c’est devant eux que je vous prie d’agréer mes excuses.

La conduite de Clameran était si inattendue, elle contrastait tellement avec ses hauteurs accoutumées que c’est à peine si le banquier trouva au service de son étonnement quelques paroles banales.

– Oui, en effet, je l’avoue, vos insinuations, certains doutes…

– Ce matin, poursuivit le marquis, j’ai eu un moment d’excessif dépit dont je n’ai pas été le maître. Mes cheveux grisonnent, c’est vrai, mais quand je suis en colère je suis violent et inconsidéré comme à vingt ans. Mes paroles, croyez-le, ont trahi ma pensée intime, et je les regrette amèrement.

M. Fauvel, très emporté lui-même et excellent en même temps, devait mieux que tout autre apprécier la conduite de Clameran et en être touché. D’ailleurs une longue vie de scrupuleuse probité ne saurait être atteinte par un propos inconsidéré. Devant des explications si loyalement données, sa rancune ne tint pas.

Il tendit la main à Clameran en disant:

– Que tout soit oublié, monsieur.

Ils s’entretinrent amicalement quelques minutes, Clameran expliqua pourquoi il avait eu un si pressant besoin de ses fonds, et, en se retirant, il annonça qu’il allait faire demander à Mme Fauvel la permission de lui présenter ses hommages.

– Ce sera peut-être indiscret, fit-il avec une nuance visible d’hésitation, après le chagrin qu’elle a dû éprouver ce matin.

– Oh! il n’y a pas d’hésitation, répondit le banquier, je crois même que causer un peu la distraira, et moi, je suis forcé de sortir pour cette funeste affaire.

Mme Fauvel était alors dans le petit salon où, la veille, Raoul l’avait menacée de se tuer. De plus en plus souffrante, elle était à demi couchée sur un canapé, et Madeleine était près d’elle.

Lorsque le domestique annonça M. Louis de Clameran, elles se dressèrent toutes deux épouvantées comme par une effroyable apparition.

Lui avait eu le temps, en montant l’escalier, de composer son visage. Presque gai en quittant le banquier, il était maintenant grave et triste.

Il salua; on lui montra un fauteuil, mais il refusa de s’asseoir.

– Vous m’excuserez, mesdames, commença-t-il, d’oser troubler votre affliction, mais j’ai un devoir à remplir.

Les deux femmes se taisaient, elles paraissaient attendre une explication, alors il ajouta en baissant la voix:

– Je sais tout!

D’un geste, Mme Fauvel essaya de l’interrompre. Elle comprenait qu’il allait révéler le secret caché à sa nièce.

Mais Louis ne voulut pas voir ce geste. Il ne semblait s’occuper que de Madeleine, qui lui dit:

– Expliquez-vous, monsieur.