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Le badaud s’arrêta court, très vexé; son interlocuteur venait de le quitter.

– Si c’était lui, pensait M. Verduret, si l’effroi avait désorganisé ce cerveau si merveilleusement disposé pour le crime!…

Tout en poursuivant son monologue, il avait joué des coudes et avait réussi à pénétrer dans la cour de l’hôtel.

Là, au pied du grand escalier, M. Fanferlot, en compagnie de trois physionomies singulières, attendait.

– Eh bien!… cria M. Verduret.

Avec un louable ensemble, les quatre hommes tombèrent au port d’armes.

– Le patron!… dirent-ils.

– Voyons, fit le gros homme avec un juron, qu’y a-t-il?

– Il y a, patron, reprit Fanferlot d’un air désolé, il y a que je n’ai pas de chance, voyez-vous. Pour une fois que je tombe sur une vraie affaire, paf! mon criminel fait banqueroute.

– Alors, c’est Clameran qui…

– Eh!… oui! c’est lui! En m’apercevant ce matin, le gaillard a détalé comme un lièvre, d’un train, oh! mais d’un train… je croyais qu’il irait comme cela jusqu’à Ivry, pour le moins. Pas du tout. Arrivé au boulevard des Écoles, une idée subite le prend, et il accourt ici. Très probablement il venait chercher son magot. Il entre; que voit-il? Mes trois camarades ici présents. Cette vue a été pour lui comme un coup de marteau sur le front. Il s’est vu perdu, la raison a déménagé.

– Mais où est-il?

– À la préfecture, sans doute, j’ai vu des sergents de ville le ficeler et le porter dans un fiacre.

– Alors, arrive…

C’est, en effet, dans une de ces cellules particulières, réservées aux hôtes dangereux, que M. Verduret et Fanferlot trouvèrent Clameran.

On lui avait passé une camisole de force, et il se débattait furieusement entre trois employés et un médecin qui voulait lui faire avaler une potion.

– Au secours!… criait-il, à moi, à l’aide!… Ne le voyez-vous pas? Il s’avance, c’est mon frère, il veut m’empoisonner!…

M. Verduret prit le médecin à part, pour lui demander quelques renseignements.

– Ce malheureux est perdu, répondit le docteur; ce genre particulier d’aliénation ne se guérit pas, Il croit qu’on veut l’empoisonner, il repoussera toute boisson, toute nourriture… et, quoiqu’on tente, il finira par mourir de faim, après avoir subi toutes les tortures du poison.

M. Verduret frissonnait, en sortant de la préfecture.

– Madame Fauvel est sauvée, murmurait-il, puisque c’est Dieu qui se charge de punir Clameran.

– Avec tout cela, grommelait Fanferlot, j’en suis, moi, pour mes frais et pour mes peines; quel guignon!…

– C’est vrai, répondit M. Verduret, le dossier 113 ne sortira pas du greffe. Mais console-toi. Avant la fin du mois, je t’enverrai porter une lettre à un de mes amis, et, ce que tu perds en gloire, tu le rattraperas en argent.

25

Quatre jours plus tard, un matin, M. Lecoq – le Lecoq officiel, celui qui ressemble à un chef de bureau – se promenait dans son cabinet, interrogeant à chaque moment la pendule.

Enfin on sonna, et la fidèle Janouille introduisit Mme Nina et Prosper Bertomy.

– Ah! fit M. Lecoq, vous êtes exacts, les amoureux, c’est bien.

– Nous ne sommes pas amoureux, monsieur, répondit Mme Gypsy, et il a fallu les ordres exprès de M. Verduret pour nous réunir une fois encore. Il nous a donné rendez-vous ici, chez vous.

– Très bien!… dit le policier célèbre, alors, veuillez attendre ici quelques instants, je vais le prévenir.

Pendant plus d’un quart d’heure que Nina et Prosper restèrent seuls ensemble, ils n’échangèrent pas une parole. Enfin, une porte s’ouvrit, et M. Verduret parut.

Nina et Prosper voulaient se précipiter vers lui, il les cloua à leur place d’un de ces regards auxquels on ne résiste pas.

– Vous venez, leur dit-il, d’un ton dur, pour connaître le secret de ma conduite. J’ai promis… je tiendrai ma parole, quoiqu’il m’en coûte en ce moment, écoutez-moi donc.

» Mon meilleur ami est un brave et loyal garçon, nommé Caldas. Cet ami était, il y a dix-huit mois, le plus heureux des hommes. Épris d’une jeune femme, il ne vivait que par elle et pour elle, et, niais qu’il était, il s’imaginait que, lui devant tout, elle l’aimait…

– Oui! s’écria Gypsy, oui, elle l’aimait!…

– Soit. Elle l’aimait tant qu’un beau soir elle partit avec un autre. Sur le premier moment, Caldas, fou de douleur, voulait se tuer. Puis, réfléchissant, il se dit que mieux valait vivre et se venger.

– Mais alors!… balbutia Prosper.

– Alors, Caldas s’est vengé à sa manière. C’est-à-dire que sous les yeux de la femme qui l’a trahi, il a fait éclater son immense supériorité sur l’autre. Faible, lâche, inintelligent, l’autre roulait dans l’abîme; la puissante main de Caldas l’a retenu. Car vous avez compris, n’est-ce pas?… La femme, c’est Nina; le séducteur, c’est vous; quant à Caldas…

D’un geste violent, il fit sauter sa perruque et ses favoris, et la tête intelligente et fière du vrai Lecoq apparut.

– Caldas!… s’écria Nina.

– Non, pas Caldas, pas Verduret, non plus, mais Lecoq, l’agent de la sûreté…

Il y eut un moment de stupeur, après lequel M. Lecoq se retourna vers Prosper.

– Ce n’est pas à moi seul, dit-il, que vous devez votre salut. Une femme, en ayant le courage de se confier à moi, m’a rendu la tâche facile. Cette femme est mademoiselle Madeleine, c’est à elle que j’avais juré que monsieur Fauvel ne saurait jamais rien… Votre lettre a rendu mes combinaisons impossibles. J’ai dit…

Il voulut regagner sa chambre, mais Nina lui barra le passage.

– Caldas! disait-elle, je t’en conjure, je suis une malheureuse!… Ah! si tu savais, grâce, pitié!…

Prosper sortit seul de chez M. Lecoq.

Le 15 du mois dernier a été célébré, à l’église de Notre-Dame-de-Lorette, le mariage de M. Prosper Bertomy et de Mlle Madeleine Fauvel.

La maison de banque est toujours rue de Provence, mais M. Fauvel, comptant se retirer à la campagne, en a changé la raison sociale qui est maintenant: Prosper Bertomy et Cie.