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Ils allaient doucement, se donnant le bras, lorsqu’à un kilomètre environ de la forge, ils croisèrent un tout jeune homme, vêtu comme les ouvriers qui font leur tour de France, et qui en passant les salua.

Une commotion si terrible secoua Louis que Gaston en reçut le contre-coup.

– Qu’as-tu? demanda-t-il tout étonné.

– Rien. J’ai heurté du bout du pied une pierre qui m’a fait mal.

Il mentait, et le tremblement de sa voix eût dû le dire à Gaston.

S’il était si ému, c’est que, dans ce jeune ouvrier, il avait reconnu Raoul de Lagors.

De ce moment, Louis de Clameran fut anéanti.

La surprise, une épouvante instinctive paralysaient, anéantissaient absolument sa verve audacieuse et parleuse. Il n’était plus à la conversation.

Il disait:

– Oui. En effet. Vraiment! Peut-être.

Mais sans avoir conscience de ce qu’il disait.

Comment Raoul se trouvait-il à Oloron? Qu’y venait-il faire? Pourquoi se cachait-il sous un bourgeron d’ouvrier?

Depuis qu’il était à Oloron, Louis avait écrit presque tous les jours à Raoul, et il n’en avait pas reçu de réponse.

Ce silence que tout d’abord il avait trouvé naturel, il le jugeait maintenant extraordinaire, inexplicable.

Heureusement Gaston se sentait fatigué ce soir-là. Il parla de rentrer bien plus tôt que d’habitude, et, dès qu’il fut de retour à la maison, il regagna son appartement.

Louis était libre, enfin!…

Il alluma un cigare et sortit, disant au domestique de ne pas l’attendre.

Il savait bien que Raoul, si c’était lui toutefois, devait rôder autour de la maison, et guetter sa sortie.

Ses prévisions ne le trompaient pas.

Il avait à peine fait cent pas sur la route, qu’un homme sortit brusquement d’un taillis et vint se planter devant lui.

La nuit était fort claire, Louis reconnut Raoul.

– Qu’y a-t-il? demanda-t-il aussitôt, incapable de maîtriser son impatience, qu’est-il arrivé?

– Rien.

– Quoi! la position là-bas n’est pas menacée?

– En aucune façon. Je dirai plus, sans tes ambitions démesurées, tout irait au mieux.

Louis eut une exclamation, il faudrait presque dire un rugissement de fureur.

– Alors! s’écria-t-il, que viens-tu faire ici? Qui t’a permis d’abandonner ton poste, au risque de nous perdre?

– Ça, fit Raoul le plus tranquillement du monde, c’est mon affaire.

D’un geste brusque, Louis saisit les poignets du jeune homme, et les serrant à le faire crier:

– Tu vas t’expliquer, lui dit-il, de cette voix rauque et brève que donne l’imminence du danger, tu vas me dire les raisons de ton étrange caprice.

Sans effort apparent, avec une vigueur dont jamais on ne l’eût soupçonné capable, Raoul se dégagea de l’étreinte de Louis.

– Plus doucement hein! prononça-t-il du ton le plus provocant, je n’aime pas à être brusqué, et j’ai de quoi te répondre.

En même temps, il sortait à demi de sa poche et montrait un revolver.

– Tu vas te justifier, insista Louis, sinon!…

– Sinon, quoi? Renonce donc, une fois pour toutes, à l’espoir de me faire peur. Je veux bien te répondre, mais pas ici, au milieu de ce grand chemin, et par ce clair de lune; sais-tu si on ne nous observe pas? Allons, viens…

Ils franchirent le fossé qui borde la route, et s’éloignèrent à travers champs, sans se soucier des plants de maïs qu’ils foulaient aux pieds.

– Maintenant, commença Raoul, quand ils furent à une assez grande distance de la route, je puis, mon cher oncle, te dire ce qui m’amène. J’ai reçu tes lettres, et je les ai lues et relues. Tu as voulu être prudent, je comprends cela, mais tu as été si obscur en même temps que je ne t’ai pas compris. De tout ce que tu m’as écrit, un seul fait ressort clairement: nous sommes menacés d’un grand danger.

– Raison de plus, malheureux, pour veiller au grain.

– Puissamment raisonné. Seulement, oncle cher et vénéré, avant de braver le péril, je tiens à savoir quel il est. Je suis homme à m’exposer, mais j’aime à savoir quels risques je cours.

– Ne t’ai-je pas dit d’être tranquille.

Raoul eut ce geste narquois du gamin de Paris raillant la crédulité naïve de quelque bon bourgeois.

– Alors, fit-il, je dois avoir en toi, cher oncle, pleine et entière confiance.

– Certainement. Tes doutes sont absurdes, après ce que j’ai fait pour toi. Qui donc est allé te chercher à Londres, où tu ne savais que devenir? Moi. Qui donc t’a donné un nom et une famille, à toi, qui n’avais ni famille ni nom? Encore moi. Qui travaille en ce moment, après t’avoir assuré le présent, à te préparer un avenir? Moi, toujours moi.

Pour bien écouter, Raoul avait pris une pose grotesquement sérieuse.

– Superbe! interrompit-il, magnifique, splendide!… Pourquoi, pendant que tu y es, ne me prouves-tu pas que tu t’es sacrifié pour moi? Tu n’avais nul besoin de moi, n’est-ce pas, lorsque tu es venu me chercher? Allons, va, démontre-moi que tu es le plus généreux et le plus désintéressé des oncles; tu demanderas le prix Montyon [5] et j’apostillerai ta demande.

Clameran se taisait, il redoutait les entraînements de sa colère.

– Tiens, reprit Raoul, laissons là les enfantillages, cher oncle. Si je suis venu, c’est que je te connais; c’est que j’ai en toi juste la confiance que j’y dois avoir. S’il te paraissait avantageux de me perdre, tu n’aurais pas une seconde d’hésitation. En cas de danger, tu te sauverais seul et tu laisserais ton neveu chéri se débrouiller à sa guise. Oh! ne proteste pas, c’est tout naturel, et à ta place j’en ferais autant. Seulement, note bien ceci, je ne suis pas de ceux qu’on joue impunément… Et sur ce, laissons là les récriminations inutiles et mets-moi au fait…

Avec un tel complice, il fallait compter, Louis le comprit. Loin de se révolter, il raconta brièvement et clairement les événements survenus depuis qu’il était près de son frère.

Il fut presque franc sur tous les points, sauf cependant en ce qui concerne la fortune de son frère, dont il diminua l’importance autant que possible.

Quand il eut terminé:

– Eh bien! fit Raoul, nous sommes dans de beaux draps. Et tu espères t’en tirer, toi?

– Oui, si tu ne me trahis pas.

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[5] Prix de vertu, du nom de son créateur, J. -B. Montyon. (N. d. E.)