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Powhatan avait cessé de résister depuis une bonne minute mais il n’en continuait pas moins de respirer avec difficulté : il ne parvenait pas à retrouver son souffle. Son expression était lointaine… c’était celle d’un homme résigné. Lorsqu’il finit par répondre, sa voix parut se conformer à quelque étrange rythmique.

— Je ne voulais pas. Je leur ai dit que ce serait au-dessus de mes forces… trop vieux… ma vie est derrière moi… (Il prit une grande inspiration et la relâcha en un long soupir.) Je les ai suppliés de ne pas me faire ainsi. Pour finir comme ça… ? (Un voile passa sur ses yeux gris.) Il n’y a pas de fin pour ça… hormis la mort.

Il craque, se dit Gordon, horrifié de devoir assister à pareille humiliation. C’est un homme brisé. Quand je pense que j’ai abandonné Dena pour courir à la recherche de ce fameux héros…

— Je ne vous trouve pas drôle, châtelain, fit Macklin, glacial. Je ne vous conseille pas de poursuivre sur ce ton si vous avez quelque égard pour vos derniers instants.

Mais Powhatan était distrait ; il pensait à tout autre chose, se concentrait peut-être sur le souvenir de quelque chose, et n’entretenait la conversation que par pure politesse.

— J’ai pensé… que vous deviez être informé de certaines modifications apportées au programme… après l’époque où vous y avez participé.

Macklin secoua la tête et ses sourcils se rejoignirent.

— Qu’est-ce que vous me chantez là ?

Powhatan battit des paupières. Un tremblement le parcourut tout entier, amenant un sourire sur les lèvres de Macklin.

— Je veux dire que… qu’ils n’allaient pas renoncer à quelque chose d’aussi prometteur que l’« accroissement »… pour la simple raison qu’il y avait eu des bavures au cours des premières expériences.

— Ils avaient trop peur pour continuer, gronda Macklin. Trop peur de nous !

Powhatan cillait toujours. Il continuait de respirer à fond, en larges bouffées silencieuses.

Le regard de Gordon se fixa sur lui. Il arrivait quelque chose à cet homme. La sueur mouchetait ses épaules et sa poitrine de petites taches grasses qui scintillaient dans la lumière de la lampe. Une rafale de pluie vint les faire disparaître. Ses muscles frémissaient, comme pris de crampes.

Était-il en train de tomber dans les pommes ? se demanda Gordon.

La voix de Powhatan résonna enfin, lointaine, comme provenant d’ailleurs :

—… les sujets porteurs des nouveaux implants ne furent pas des phénomènes de taille et de puissance… l’« accroissement » venait plutôt compléter la pratique de certaines voies orientales… et travaillait dans le bio-feed-back…

Macklin renversa la tête en arrière et éclata d’un grand rire.

— Des « accrus » néo-hippies ? Superbe, Powhatan ! Ça, c’est du bluff !

Powhatan n’écoutait pas. Ses lèvres remuaient comme s’il se récitait quelque chose qu’il eût mémorisé jadis.

Gordon le regardait, clignait des yeux pour se débarrasser des gouttes de pluie qui l’aveuglaient puis regardait de nouveau. Des lignes s’ébauchaient sur ses épaules et sur ses bras, rayonnaient vers son cou et vers sa poitrine pour s’y entrecroiser. Son tremblement s’était accentué pour prendre un rythme régulier qui, maintenant, ne paraissait plus tant le fruit d’un désordre que d’une transmutation… délibérée.

— C’est un processus qui réclame aussi beaucoup d’air, dit George Powhatan sur le ton de la conversation.

Sans cesser de respirer profondément, il commença de se redresser. À présent, le holniste ne riait plus. Lui aussi rivait sur l’homme des yeux incrédules.

— Nous sommes prisonniers dans des cages similaires… poursuivit Powhatan… même si vous me semblez prendre plaisir à la vôtre. Il n’empêche que nous sommes tous deux pris au piège de l’ultime arrogance de ces temps arrogants…

— Non, vous n’êtes pas…

— Si, général. (Powhatan sourit sans malice à l’homme qui le tenait toujours au bout de son bras gauche.) Voyons, n’ayez pas l’air si surpris… Vous n’allez tout de même pas me dire que vous et votre génération pensiez être les derniers ?

Macklin dut parvenir au même instant que Gordon à la conclusion que George Powhatan cherchait à gagner du temps.

— Macklin ! hurla Gordon, mais le holniste n’en fut pas le moins du monde distrait.

En un clin d’œil, son long couteau en forme de machette fut dehors. Sa lame huilée brilla dans la lumière de la lampe tandis qu’elle s’abattait vers la main droite immobilisée du néo-hippy.

Quoique encore courbé, Powhatan réagit par une virevolte immédiate : le coutelas fendit l’air et laissa un sillage de lumière le long de son bras tandis que sa main libre s’abattait sur le poignet qui tenait l’arme.

Le général survivaliste poussa un cri et leur bras de fer commença. La lame ruisselante de pluie descendit, palier par palier.

Déportant son poids sur l’arrière, Powhatan tomba à la renverse, projetant le holniste par-dessus lui. Le général atterrit sur ses pieds sans avoir lâché prise et, à son tour, se tordit en arrière. Telle une roue à picots, ils s’entraînèrent l’un l’autre, prirent de la vitesse et finirent par disparaître dans les ténèbres au-delà du cercle éclairé. Il y eut un grand crac, puis un autre. Gordon croyait entendre des éléphants piétiner les broussailles.

Grimaçant sous la douleur que lui causait le moindre mouvement, il se traîna hors du cercle jusqu’à ce que ses yeux se fussent adaptés à l’obscurité. Puis il se redressa en position assise contre le tronc dégoulinant de pluie d’un cèdre rouge. Il scruta la direction dans laquelle les deux hommes avaient disparu. Seuls le fracas des branches et la fuite éperdue des petites créatures de la forêt lui permettaient de suivre le combat. Le météore humain dévastateur continuait sa progression.

Lorsque les deux lutteurs resurgirent dans la clairière, leurs vêtements étaient en lambeaux. Leurs corps étaient zébrés d’égratignures et d’entailles. Le couteau avait disparu mais, désarmés, les guerriers n’avaient rien perdu de leur mine redoutable. Ils avaient écrasé buissons et arbustes sur leur passage. Leur combat de titans ravageait la forêt. Il était dénué de tout rituel et de toute élégance. Le plus petit mais aussi le plus râblé des deux monstres se ruait farouchement sur son adversaire et tentait de l’accrocher au corps à corps. L’autre, plus grand, luttait pour maintenir la distance et décochait des coups qui fendaient l’air.

N’exagère pas, se dit Gordon. Ce ne sont que des hommes… et presque des vieillards, par-dessus le marché.

Une part de lui-même croyait tout à coup, à l’instar des peuples de l’Antiquité, aux géants et aux dieux : ces êtres de légende qui avaient figure humaine et dont les affrontements faisaient bouillonner les mers et surgir les montagnes. Les combattants disparurent à nouveau dans les ténèbres et Gordon se prit à éprouver une vague de cette sorte de perplexité qui s’insinuait dans son esprit au moment où il s’y attendait le moins. Avec détachement, il observa que l’« accroissement », comme tant d’autres progrès, avait d’abord trouvé son application dans la guerre. Il en avait toujours été ainsi… la chimie, l’aviation, le vol spatial avaient servi aux militaires avant que, plus tard, on en vînt à un usage réel.

Que se serait-il passé si l’Apocalypse ne s’était pas abattue sur le monde… si cette technologie avait eu le temps de se fondre avec les idéaux planétaires de la nouvelle renaissance et si elle avait été prise en charge par l’ensemble des citoyens ?