Выбрать главу

« Écoutez. » L’officier s’était calmé, à présent. « Je dois rester auprès de mes hommes. Je vais essayer de faire circuler la consigne, mais les communications sont merdiques, ici. Vous voulez vous porter volontaires pour retourner au quartier général, tous les deux ? Il faut que quelqu’un mette un terme à cette folie.

— Bien sûr que nous sommes volontaires », déclara Adi.

L’officier les regarda s’éloigner. « Bonne chance », leur lança-t-il, avant d’ajouter à voix basse : « Recommandez-moi auprès de Saint Pierre. »

Faire de la musique

Gueule de bois

J’occupe dans la Clio le siège du passager, tandis que Jane nous conduit vers Magdalene pour une garden party. Siegfried Idyll passe sur Classic FM et je sifflote la petite partie de hautbois qui sautille comme un diablotin entre les cordes.

« Je ne comprends absolument pas, dit Jane. Pourquoi Wagner n’y a-t-il pas pensé tout seul ? Le morceau avait absolument besoin d’un mugissement monocorde sans rythme, en ce point.

— Pardon. » Je m’arrête et j’y récolte un radieux sourire d’absolution.

« Ce n’est pas grave, P’tit Chiot, dit-elle en décochant sur ma cuisse deux solides claques. Tu fais de ton mieux.

— C’est drôle, finis-je par déclarer, que tu aimes Wagner.

— Hein ?

— Je veux dire, tu sais, comme tu es juive.

— Ah oui ?

— Le compositeur préféré de Hitler, tout ça.

— Ce n’est pas vraiment la faute de Wagner. Hitler aimait les chiens, aussi. Et je suppose qu’il adorait totalement les gâteaux à la crème.

— Les chiens et les gâteaux à la crème », répliquai-je, prompt comme la foudre, « ne sont pas antisémites.

— À la différence de Wagner ?

— Tu le sais bien. Tout le monde le sait.

— Mais je ne crois pas, P’tit Chiot, qu’il se serait planté à côté des fours pour encourager les assassins, pas toi ? Il parlait d’amour et de pouvoir. On ne peut pas avoir les deux. L’amour est plus fort, l’amour prime. Il l’a si souvent répété.

— Mouais. Mais quand même.

— Quand même, approuve-t-elle. Et je dois reconnaître que mon père détestait que je joue le Ring à plein volume dans ma chambre. Ça le rendait fou. »

Ça ne m’irrite pas réellement que Jane ait toujours des goûts artistiques un tout petit peu plus sérieux que les miens, mais ça me surprend toujours. S’il faut choisir un film, elle préfère l’art et essai aux choix évidents. Je peux regarder n’importe quel film à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et en tirer quelque chose, même quand je trouve que c’est une daube, mais je n’ai jamais vraiment cru Jane quand elle a dit qu’elle n’avait pas aimé Toy Story, pas plus que je n’ai la moindre idée de la raison pour laquelle elle n’a pas vomi pendant La Leçon de piano. La Liste de Schindler, elle a refusé de le voir, ce qui se défend.

« Est-ce que tu as perdu », demande-je, la gorge un peu serrée, parce que je ne lui ai encore jamais posé la question, « beaucoup de membres de ta famille dans les camps ? »

Elle me lance un coup d’œil surpris. « Plusieurs. La plupart des frères et des sœurs de mes grands-parents. Mes grands-oncles et grands-tantes, je suppose. Et des cousins, ce genre de parents.

— Où ça ? Je veux dire, dans quel camp ? Tu le sais ?

— Non. » Sa réponse a l’air de la surprendre quand elle la donne. « Non. Je ne sais pas. La famille de ma mère venait d’Ukraine, je crois. Mon père est originaire de Pologne. Donc, dans cette région, je suppose.

— Tu n’as jamais interrogé tes parents ?

— Ça ne se fait pas. On a tendance à éviter. D’ailleurs, il faudrait plutôt dire qu’eux n’ont pas interrogé les leurs. Mon père est né deux ans après la fin de la guerre.

— Bien sûr.

— Je crois que mon grand-père a écrit quelque chose. Des mémoires, un journal, un truc de ce genre. Pourquoi ?

— Oh, tu sais. Je me demandais, comme ça. Ce n’est pas un sujet dont je t’ai entendue parler.

— Qu’y a-t-il à en dire ?

— C’est vrai. »

Une petite pause de bon aloi.

Siegfried Idyll atteint sa fin en sourdine, et je passe sur One FM où Oasis s’éclate grave, à conseiller au monde de ne pas regarder derrière soi avec colère.

« Suppose, dis-je en surprenant sa grimace et en baissant un chouia le son, suppose que tu puisses remonter le temps jusqu’à, je ne sais pas, à Dachau, par exemple, Treblinka, Auschwitz, peu importe. Qu’est-ce que tu ferais ?

— Ce que je ferais ? Je serais gazée, j’imagine. Je ne crois pas qu’on me laisserait beaucoup le choix, en l’occurrence.

— C’est vrai. »

Nouvelle petite pause. Pas d’aussi bon aloi, mais plutôt amicale.

« Crois-tu, lui demande-je, qu’on pourra jamais remonter le temps ?

— Non.

— C’est scientifiquement impossible ?

— Logiquement, juste.

— Que veux-tu dire ?

— Hé bien », dit Jane, en faisant reculer la voiture en un créneau scientifiquement et logiquement impossible, « si c’était possible, alors à un moment donné dans le futur, quelqu’un serait revenu en arrière pour empêcher que se produisent des choses comme l’Holocauste, non ? Et ils auraient empêché l’autre cinglé d’entrer dans le gymnase de l’école, à Dunblane, en faisant feu de toutes ses armes. Et ils auraient prévenu les gens dans cet immeuble fédéral de l’Oklahoma qu’il y avait une bombe sur place. Ils auraient averti l’archiduc Ferdinand d’annuler sa visite à Sarajevo, conseillé à Kennedy de voyager dans une voiture fermée, suggéré à Martin Luther King de rester chez lui ce jour-là. Tu ne crois pas ? Et par-dessus tout, dit-elle en coupant la radio avec un claquement sec, par-dessus tout, ils seraient revenus à Manchester dans les années soixante-dix, séparer les frères Gallagher à la naissance et s’assurer qu’Oasis ne se formerait jamais. »

Tsk ! Y a des gens…

Double Eddie et James assistent à la réception, tout de blanc vêtus, coiffés de couronnes de laurier. Ce sont des mecs de ce genre qui donnent cette réception, et c’est une réception de ce genre.

« Mais c’est Toutou !

— Euh… Salut, tous les deux. Vous connaissez Jane Greenwood ? »

Ils lui prennent tous deux la main avec solennité.

« Bonjour, Jane Greenwood. Je suis Edward Edwards.

— Et moi, James McDonell. Et voilà.

— Vous êtes la copine de P’tit Chiot ? »

Jane opine avec gravité.

Double Eddie lui passe un bras autour des épaules. « Dites-moi, est-ce qu’il est merveilleux, au lit ?

— J’ai toujours vos CD, dis-je. Il faudra que je vous les rende, un de ces jours.

— C’est le cas, hein ? Oui ! Non ? Je parie que si. Dites-moi que si. »

Je m’éclipse, rose au-delà du rose, me dirigeant vers une grande fontaine centrale de punch, et je remplis un verre.

Nous partons après quelques verres. Les réceptions sont faites pour les jeunes.

De retour dans la maison d’Onion Row, Jane me soutient au-dessus des waters et observe, détachée et tout juste amusée, tandis que je retourne mes intestins comme une vieille chaussette.

« Je suppose », dis-je en essayant de déloger un filament de bave qui pendouille et danse comme un yoyo au-dessus de la cuvette, « qu’il va me falloir une paire de ciseaux pour me débarrasser de ça. On dirait qu’il est, genre, collé au fond de ma gorge.