— Si tu continues à faire cet horrible bruit de régurgitation pour le chasser, je quitte le pays définitivement, déclara Jane. Tu n’auras même pas une carte postale.
— C’est pas de la bave normale, ça. On dirait un élastique. Tu sais comme pour les sauts. Khkhkhya ! »
Mon imitation d’une machine à capuccino paraît efficace. Une masse de crachats se dégage de ma luette et le long filament se colle contre la cuvette. « C’est drôle », dis-je, me redressant en titubant, « je ne me souviens pas d’avoir mangé des peaux de prunes.
— Tu es un horrible petit garçon, déclare Jane. Tu es entré blanc comme un linge, et tu en ressors violet comme…
— Comme un linge violet.
— Tu as les cheveux trempés et collés au front, le nez et les yeux qui coulent, une odeur épouvantable, la sueur dans ce duvet de fesses sur ta lèvre supérieure…
— Un début de moustache », rectifie-je avec un reniflement qui propulse les acides de mon vomi au tréfonds de mes sinus.
« Du duvet de fesses.
— Enfin, bref », dis-je, avec les yeux qui me piquent. « Ce punch n’était pas normal.
— Bien sûr. Il se composait à 90 % de vodka. Comme tous les ans. Et tous les ans, tu te ridiculises avec ça. Tous les ans, je dois pratiquement te traîner jusqu’à la salle de bains et te regarder vomir.
— C’est donc une tradition. Sympa.
— Et je ne vois pas pourquoi tu te diriges vers la chambre.
— En fait, je me disais que j’allais me coucher tout de suite.
— Tu vas commencer par prendre une douche.
— Oh, pas faux. Bonne idée, sans doute. Une douche. Cool. Ouais. Judicieux. » Je rétrécis les yeux, avec un pétillement. « Ça va me réveiller et peut-être qu’on pourrait… » J’émets deux clappements au fond de ma bouche, comme un cavalier qui encourage sa monture, et je lance une œillade suggestive.
« Bon Dieu, soupire Jane. Tu ne serais pas en train de suggérer que nous fassions l’amour ?
— T’as tout pigé, ma cochonne.
— Plutôt nettoyer la cuvette des WC avec ma langue. »
Je m’éveillai avec un frémissement pour me retrouver au lit, avec Jane en train de ronfler doucement à côté de moi. Un ronflement qui ne manquait pas de charme, je me dois de préciser. Un ronflement léger, élégant. Je l’écoutai et regardai un moment avant de remarquer le réveil à côté d’elle.
Quatre heures dix.
Hum.
Nous étions rentrés tôt de la réception, pas plus de huit heures dix. Que s’était-il passé ensuite ?
J’avais vomi. Œuf corse.
Et après ?
Je supposai que j’avais pris une douche puis que je m’étais écroulé au lit. Pas étonnant que je sois éveillé. J’avais dormi presque huit heures.
Je me rendis compte que j’avais la langue collée au palais et qu’une grande soif me possédait. Voilà peut-être pour quelle raison mon corps m’avait réveillé.
Je glissai hors du lit et me rendis pieds nus à la cuisine, les os de mes pieds craquant sur le plancher.
La fenêtre au-dessus de l’évier donnait sur des champs, mais le ciel était déjà clair, si bien que je baissai pudiquement le store avant de me pencher pour passer par-dessus le bord et pisser dans la bonde. Une sensation délicieusement canaille, que je justifiai à mes yeux en me disant que ce pissou tranquille risquait moins de réveiller Jane qu’une grande cataracte se déversant dans les waters de la salle de bains. D’ailleurs, W. H. Auden pissait toujours dans l’évier. Et souvent, même quand la vaisselle y était empilée.
Je fis couler le robinet jusqu’à ce que l’eau soit glacée et plongeai sous le mélangeur pour boire. J’avalai, avalai, avalai. Jamais eau n’avait eu meilleur goût.
Pas besoin d’aspirine. Pas de mal de crâne, c’est la joie de la vodka.
Et non seulement pas de migraine, ceci dit. Je me sentais formidablement bien. Craquant comme des Frosties. Je vibrais littéralement de bien-être.
Je restai là, le souffle court, l’eau dégoulinant de mon menton sur mon torse.
Il y avait des éternités que je ne m’étais pas senti aussi seul. C’est quand le monde dort autour de vous que vous vous retrouvez vraiment seul. Il faut se lever tôt, bien sûr. Maintes fois, en travaillant sur ma thèse, j’étais resté debout aussi tard que maintenant et je me sentais misérable, seul ; mais en se levant tôt comme ceci, on se sent alors merveilleusement, positivement seul, la différence se situe là. Bien mieux. Hum.
J’allai à la huche à pain, savourant le claquement de mes pieds sur le carrelage. Ni trop chaud ni trop froid. Trop exactement ce qu’il fallait. Je rompis un quignon de pain et visitai le frigo.
Je ne sais pas pourquoi je trouve intensément érotique de me tenir nu devant un frigo ouvert, mais c’est le cas. Peut-être y a-t-il un rapport avec l’attente d’une faim bientôt satisfaite, peut-être est-ce le flot de lumière sur mon corps qui me donne l’impression d’être un stripteaseur professionnel. Peut-être ai-je vécu un épisode bizarre quand j’étais petit. Une sensation également inquiétante, remarquez, parce que toutes ces victuailles rassemblées vous mettent des idées en tête, quand vous êtes excité. Des suggestions de ce qu’on peut faire avec du beurre non salé, des melons mûrs ou du foie cru, se bousculent dans votre tête quand le sang commence à s’activer.
Je repérai une belle portion de Leicester rouge et en arrachait un morceau avec les doigts. Je restai là un moment à mâcher mon fromage, vibrant de contentement.
C’est alors que l’idée me vint, toute formée.
Sa puissance me laissa bouche bée. Un bout de pain mâché tomba de ma bouche ouverte, et le sang monta immédiatement vers le cerveau, où on avait besoin de lui, ne laissant à l’excitation qui frémissait plus bas que l’option de se ratatiner comme un escargot surpris.
De l’épaule, je refermai le frigo et me retournai en pouffant. Je ressentais un martèlement dans ma tête en gagnant le bureau sur la pointe des pieds. Toutes mes notes s’empilaient sur une étagère au-dessus de l’ordinateur. Je savais ce que je cherchais, et je savais pouvoir le trouver.
Je mentionne l’état d’excitation sexuelle qui a précédé la naissance de mon idée parce que j’ai rétrospectivement conçu la théorie qu’une zone subconsciente de mon cerveau, songeant à un genre de soulagement sexuel, avec ou sans emploi de beurre non salé, d’huile d’olive ou de foie cru, avait dérivé vers une association avec le sperme. L’idée de sperme avait créé une affinité (en rapport avec mon absence de mal de tête pendant que je buvais au robinet, sans doute), un lien dans ma mémoire qui avait alors provoqué une décharge de synapses en tous sens, jusqu’à ce que l’idée s’éveille en hurlant dans ma conscience. Simple théorie. À vous de juger.
Faire du cinéma
T.I.M.
SCÈNE 1 – ENTRÉE EN FONDU :
COLLEGE ST-MATTHEW – INT. MATIN
UN JARDINIER tond la pelouse de la cour dans Hawthorn Tree Court. Une cloche sonne l’heure.
SCÈNE 2 :
COLLÈGE ST-MATTHEW. DEVANT L’APPARTEMENT DE LEO – INTÉRIEUR MATIN
Michael se tient devant la porte du Professeur, tambourinant avec impatience contre le chêne. Il porte deux grands sacs de supermarché.
LEO
(voix off)
Entrez !
MICHAEL dépose laborieusement les sacs, ouvre la porte en grand, ramasse les sacs et entre, en tirant derrière lui la porte avec le pied pour la fermer.