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Un jeune Franconien exécuta un salut impeccable. « Le Gefreiter Hitler, mon commandant.

— Hitler ? Qui lui a permis de donner un tel ordre ?

— Non, mon commandant. Il n’a pas donné d’ordre, mon commandant. Il est dehors, mon commandant. Dans le Niemandsland. Il ramène le corps du Hauptmann Gloder, mon commandant.

— Gloder ? Le Hauptmann Gloder est mort ? Comment ? Quoi ?

— Il est sorti la nuit dernière récupérer le casque du colonel Baligand.

— Le casque du colonel Baligand ? Mais vous avez bu, soldat !

— Non, Herr Major{Le grade de Major allemand correspond au grade français de commandant (N.d.T.).}. Les Français ont dû s’en emparer au cours de l’attaque de jeudi plus loin sur la ligne, mon commandant. Le Hauptmann Gloder est parti le récupérer. Et il l’a fait et il a fauché une veste de mess de brigadier, par-dessus le marché. Mais un tireur a dû l’atteindre, mon commandant.

— Bonté divine !

— Oui, mon commandant. Et le Gefreiter Hitler est sorti récupérer le corps à présent, mon commandant. Le Stabsgrefreiter Mend nous a donné ordre de le protéger avec des fumigènes.

— Est-ce vrai, Mend ? »

Mend se mit au garde-à-vous. « Parfaitement exact, mon commandant. J’ai jugé que c’était la meilleure solution.

— Mais bon Dieu, les Français pourraient s’imaginer que nous les attaquons. »

Mend, trop abasourdi et horrifié pour réfléchir clairement, réussit pourtant à répondre. « Sauf votre respect, Herr Major, cela ne peut guère aggraver la situation. Tout ce qui arrivera est que les Franzmänner vont gaspiller quelques milliers de précieuses cartouches.

— Ma foi, tout ça n’est pas très orthodoxe. »

Pas autant que toi, connard de petit maître d’école, se dit Mend, avant de céder à des considérations plus inquiètes.

« Et où se trouve Hitler, à présent ? »

Schmidt beugla la réponse, derrière ses jumelles. « Il a atteint les barbelés, caporal ! Caporal, il va bien ! Il a trouvé le passage. Il a le corps. Et le casque, caporal ! Il a même le casque ! »

Un immense rugissement de joie monta des hommes et même le commandant Eckert s’autorisa un sourire.

Hans, dans son effarement, se répétait, encore et encore : Eckert n’en savait rien jusqu’à maintenant. Eckert ne savait rien ! Adi n’avait pas parlé à Eckert du casque du colonel, hier. Adi ne lui avait jamais demandé la permission d’effectuer un raid. Et pourtant, il nous a affirmé le contraire, à Rudi et moi. Pourquoi Adi avait-il menti ?

Hans sortit lentement de la tranchée au moment où le cadavre de Rudi y roulait. Adi le suivit, brandissant dans sa main droite le casque du colonel, l’aigle dorée qui y était frappée flamboyant au soleil.

Tandis que Hans s’éloignait, les vivats des hommes grandirent et enflèrent en lui jusqu’à se déverser par ses yeux en un flot de larmes brûlantes d’écœurement.

Faire acte de contrition

L’histoire d’Axel Bauer

Du revers de la main, Leo s’essuya les larmes des joues. Assis en silence dans le fauteuil, je tirais les crins en le regardant avec nervosité. Je n’avais encore jamais vu pleurer un adulte. En-dehors des films, je veux dire. Dans les films, les adultes pleurent tout le temps. Mais en silence. Leo pleurait avec de sonores sanglots et de grands hoquets pour reprendre son souffle. J’attendais que cette horrible tempête s’apaise.

Au bout de deux ou trois minutes, il avait retiré ses lunettes pour les lustrer avec le pan de sa cravate. Il cligna ses yeux humides en me regardant.

« Oh, je sais. Pourquoi est-ce que je ne vous en ai pas parlé plus tôt ? Pourquoi vous ai-je laissé croire que j’étais juif ? »

Je produisis un son, quelque part entre un grognement et un geignement, dans l’intention d’exprimer mon assentiment, ma tolérance, ma compréhension… Je ne sais pas, quelque chose de ce genre. Mais à la façon dont le bruit émergea, je parus suggérer que la balle se trouvait dans le camp de Leo ; à lui de parler, je réservais mon jugement.

Il dut le percevoir ainsi, lui aussi. « Vous devez le savoir, on ne parle pas si facilement d’une telle chose. En fait, je n’en ai jamais parlé avant. Sinon à moi-même. »

Je tâtonnai en cherchant un commentaire constructif. « Zuckermann, dis-je. C’est un nom juif, non ? Il y a un chef d’orchestre, ou un musicien, quelque chose comme ça ?

— Pinchas Zuckermann. Il est violoniste et chef d’orchestre. Il joue de la viole, également. Chaque fois que je vois son nom sur un disque, dans un journal, je m’interroge… »

Leo rechaussa ses lunettes et s’enfonça dans le fauteuil devant moi. Nous étions assis face à face comme au jour de notre rencontre. Ni café ni chocolat chaud, cette fois-ci. Rien que l’espace entre nous.

« De son vrai nom, mon père s’appelait Bauer, dit Leo. Dietrich Joseph Bauer. Il est né à Hanovre, en juillet 1904. Durant les années vingt, il s’est spécialisé en histologie et en radiologie et a accepté un poste de chercheur à l’Institut d’Anatomie de l’Université de Münster, sous la direction du professeur Johannes Paul Kremer, dont je vous reparlerai. Mon père s’est inscrit au Parti national-socialiste ouvrier allemand en 1932 et a été pendant deux ans Sturmarzt au Reiterstandart SS n°8.

— Sturmarzt ?

— Médecin. Chez les SS, à peu près tout commence par Sturm : tempête. Qu’a-t-on besoin de savoir d’autre sur eux quand on sait qu’ils baptisaient leurs médecins docteurs de tempête ? Docteurs de tempête ! » De nouvelles larmes jaillissaient de ses yeux et il secouait la tête d’avant en arrière. « La nature se révolte. »

Pour la première fois de ma vie, j’aurais bien aimé fumer. Je remarquai que ma jambe gauche montait et descendait de façon incontrôlable sur mon talon, une habitude que je croyais avoir perdue depuis mes tourments d’adolescent de seize ans.

« Enfin bref », déclara Leo, retirant ses lunettes pour s’essuyer de nouveau les yeux. « En 1941 mon père s’est enrôlé dans la réserve des Waffen-SS, avec le rang de SS-Hauptscharführer, un genre de sergent supérieur, quelque chose comme un sergent-major, je suppose, mais sans les devoirs d’entraînement et autres. Un rang honorifique. Tout cela, je l’ai appris par mes propres recherches.

— Alors, vous ne le connaissiez pas ? Votre père ?

— Nous y venons. En septembre 1942 il exerçait à l’hôpital SS de Prague et a reçu un message de Kremer, son ancien professeur qui l’avait au départ encouragé à entrer chez les SS et avait depuis été promu au rang de sous-officier, Untersturmführer, et travaillait à un poste provisoire dans une petite ville de Pologne du nom d’Auschwitz. Kremer voulait reprendre ses travaux universitaires et recommandait mon père comme successeur approprié. J’avais quatre ans. Ma mère et moi vivions encore à Münster. Je me prénommais Axel. Je n’ai aucun souvenir de cette époque. Nous avons reçu l’ordre de rejoindre Papa en Pologne en octobre 1942, et nous y sommes restés deux ans et demi.

— Dans Auschwitz même ?

— Grand Dieu, non ! En ville. Oui, la ville. Toujours en ville. »

Je hochai la tête.

« Vous demandez si je me souviens de mon père. Je vous dis ce que je me rappelle maintenant, des souvenirs qui me sont revenus après des années d’absence. Ça arrive quand on devient plus vieux, vous savez sans doute. Je me rappelle maintenant un homme qui me faisait sans cesse des piqûres. Contre la diphtérie, le typhus, le choléra. La ville d’Auschwitz a connu de fréquentes épidémies de fièvre, et il avait décidé que je ne devais pas périr. Je me souviens aussi d’un homme qui rentrait chaque soir à la maison avec des colis. Des bouteilles de vin de prune de Croatie, des perdrix et des lapins entiers fraîchement tués, des pains de savon parfumé, des pots de café moulu et, pour moi, du papier multicolore et des crayons de couleurs. Tout cela représentait des luxes suprêmes, vous devez comprendre. Une fois, il a même rapporté à la maison un ananas. Un ananas ! Il ne parlait jamais de son travail, sauf pour dire qu’il ne parlait jamais de son travail. C’est pour ça que j’emploie le mot travail. C’était le sien. Il était gentil et drôle à la fois et, à l’époque, je crois que je l’aimais de tout mon cœur.