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De l’eau, encore.

Un bus. Un drôle de petit bus.

Quelqu’un qui dit « Henry Hall ».

Oui, c’est bien ça, Henry Hall.

Maintenant, tout doux, mon garçon. Rassemble tes pensées. Souviens-toi d’elles. Un pas à la fois.

Un pas à la fois… quelqu’un a dit ça. La nuit dernière, si c’était la nuit dernière, quelqu’un a dit : « Un pas à la fois. » J’en suis sûr.

Steve… je capte le nom Steve. J’ai du mal à percer le voile, ma chère. Mais je capte un contact d’un dénommé Steve. Y a-t-il dans votre vie un disparu récent qui s’appelait ainsi ? Il veut que vous le sachiez, il est très heureux, en paix, maintenant.

Je reçois encore cet autre nom, aussi. Mikey.

Ils m’appellent tout le temps Mikey ? Pourquoi ? Personne ne m’appelle Mikey. Jamais.

Je tâte la bosse sur mon crâne et…

Bon Dieu…

Ah, ben, v’là autre chose. Un connard m’a coupé les cheveux !

Mes beaux cheveux… je ne les ai jamais portés, disons, genre hippie, mais ils se répandaient, vous voyez ? Ils étaient là. Et maintenant, ils sont tout aplatis, tout morts.

Merde, je ferais mieux de me lever.

Je ferais mieux de me lever et de…

…de quoi faire ?

Pour l’instant, nous allons me laisser étendu là, en train de me ré-assembler. Je ne sais pas vraiment si je raconte cette histoire par le bon bout. Je l’ai déjà dit, elle ressemble à un cercle qu’on peut aborder par tous les points. Comme un cercle, également, on ne peut l’aborder par aucun.

J’ai employé ces mots précis tout au début du cercle. En supposant que les cercles ont un début. Et je dois à présent les répéter.

En tant qu’historien, ai-je déjà dit, je devrais pouvoir proposer un compte-rendu propre et net des événements qui se sont déroulés le… Ah, quand se sont-ils déroulés, exactement ? Tout cela est hautement sujet à débat. L’énigme que j’affronte peut se définir par les déclarations suivantes :

A : Rien de ce qui va suivre n’est jamais arrivé.

B : Tout ce qui va suivre est entièrement vrai.

Et donc, me voilà couché à me demander, comme Keats. Était-ce une vision, était-ce un rêve ? La musique s’est envolée, suis-je endormi, suis-je éveillé ? Me demandant également pourquoi Jane n’est pas douillettement lovée à côté de moi, nom de Dieu. Non, je ne me le demande pas. Je connais la réponse, pour ça. Elle m’a quitté. Ça, je le sais. Au moins, ça, je le sais. Elle a fichu le camp. C’est de l’histoire ancienne. Alors, en me demandant où diable je peux bien être.

Au centre de mon cerveau plonge un puits obscur. Je continue d’essayer d’y envoyer des seaux, des seaux de mots, d’images et d’associations d’idées à même de remonter en surface des éléments familiers, une giclée claire et fraîche de mémoire. Peut-être que si j’amorce la pompe, tout va jaillir à la lumière, comme une immense fontaine.

Voyez-vous, je sais qu’il y a quelque chose à savoir, c’est ce qui m’horripile. Un élément dont me souvenir. Un élément capital. Mais lequel ? La mémoire est un saumon. Plus fort on l’empoigne et plus loin elle saute. Cette image-là me rappelle quelque chose, elle aussi.

Je dois me lever. Tout va me revenir quand je serai debout.

Holà ! J’ai peut-être mal à la tête, le ventre retourné, les jambes flageolantes, la gorge irritée, mais nous voilà debout, hop là ! Je n’ai pas vomi depuis des années, et je n’aime pas cette sensation.

Non. Ce n’est pas vrai. J’ai vomi, si, récemment. Au-dessus d’une cuvette de WC, avec un long filet de vomi qui pendait et s’accrochait au fond de ma gorge… La nuit dernière ? C’est pas vieux. Ça va me revenir.

D’ici là… je baisse les yeux vers moi et me demande, bon sang, c’est quoi, ce bazar, du côté tenue ? Je ne reconnais ni le short ni le t-shirt. Désolé, ça ne me dit rien du tout. Enfin, je veux dire, jamais je ne porterais un truc aussi… Je ne sais pas, si net, je suppose. Un short en coton gris ? Je jurerais même qu’on l’a repassé, malgré toutes les écailles de vomi séché qu’il arbore. Et un polo… un polo en coton des îles, nom de Dieu. Avec un genre de logo doré brodé sur le sein gauche. J’empoigne le côté de la chemise pour regarder ça de plus près. Un éléphant, je crois, difficile de dire, à l’envers, un éléphant dans un genre de hamac. Le type de balancelle qu’on emploie avec une grue pour transborder le bétail d’un navire vers la berge. Non, mais je vous demande, quel genre de nul fauché porte un short en coton repassé et des polos en coton des îles décorés d’éléphants brodés à la con ?

Les chaussures, je peux comprendre. Des baskets classiques, molles du talon du genre Timberland. Pas les miennes, en tout cas, même si elles me vont comme un… enfin, vous voyez ce que je veux dire. Simplement, il se trouve que je ne suis pas un client de Timberland. Je suis plutôt branché Sebago. Aucune raison précise, ça s’est toujours passé ainsi. Je crois.

Il est temps d’aller à la fenêtre, d’ouvrir les stores et de me remémorer où j’ai atterri et pourquoi.

Je n’ai jamais été très dégourdi avec les stores vénitiens. J’oublie toujours s’il faut tirer le cordon ou tourner la poignée. En cette occasion, je fais les deux et le coin du store en bas à droite monte à mi-hauteur avant de se coincer là, les lattes fermées pour me narguer. Je me penche pour regarder par le petit triangle dégagé de la fenêtre.

Holà…

Je ne pige rien du tout.

Un long bâtiment bas, droit devant. Du lierre qui pousse sur la façade de fenêtres à croisillons. Le Collège St-John, peut-être ? J’aurais passé la nuit à St-John ?

Je me détourne, riant presque tout seul. C’est tellement comique qu’on ne peut que suivre le mouvement.

Attendez une minute… On ne peut que suivre le mouvement. You gotta roll with it.

Les paroles d’une chanson d’Oasis. Ça me rappelle une blague.

LE CLIENT : Garçon, la soupe que je viens de manger…

LE GARÇON : Oui, monsieur ?

LE CLIENT : Hé bien, sur le menu, elle était baptisée « soupe Oasis ». Mais elle a un goût de soupe à la tomate tout à fait ordinaire.

LE GARÇON : C’est ça, monsieur. Une soupe à la tomate tout à fait ordinaire, monsieur.

LE CLIENT : Mais alors, pourquoi est-ce qu’on l’appelle soupe Oasis ?

LE GARÇON : Parce que (se met à chanter) You got a roll with it – vous avez un petit pain, avec.

Ta-dan… tchinggg !

Holà ! Et Oasis me rappelle quelque chose d’important. En rapport avec Jane.

Mais Jane est partie…

Je crois.

Non, quelque chose qu’elle a dit. Quelque chose… oh, et puis crotte. Je ferais mieux de retrouver le chemin de chez moi et de dormir pour cuver.

« Retrouver le chemin de chez soi » – jamais on n’a écrit paroles plus simples ni plus belles. L’Odyssée, L’Incroyable randonnée et Star Trek : Voyager. En fin de compte, tout se résume à retrouver le chemin de chez soi.

J’ai pris une douche – une bonne douche. Je lui accorde ça, une douche vraiment excellente, sans doute, au bilan, la meilleure douche que j’aie jamais prise de ma vie, une averse vraiment chaude, chuintante, grand-angle, qui me tombait sur les épaules comme une pluie bouillante. Sous cette douche, j’ai failli m’évanouir.

Je me sentais merdique à cause d’une gueule de bois et d’un coup sur la tête, d’accord. Mais vous savez, d’une certaine façon, je me sentais bien, aussi. J’avais l’air bien. J’ai passé le doigt autour de mes pecs, et je me suis dit que je commençais peut-être à avoir un peu une dégaine de beau gosse, finalement. J’ai baissé les yeux vers mes jambes et là, j’ai failli m’évanouir. Vous en auriez fait autant.