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J’ai troqué le short en coton et le polo contre… un autre polo et un autre short en coton gris, parce qu’il faisait chaud – même à cette petite heure de la journée et après une douche, on crevait de chaleur, et pas un seul T-shirt normal en vue – et j’ai ouvert la porte, après un dernier regard prolongé en arrière, perplexité et malaise.

Je me suis retrouvé, non pas dans le couloir que j’attendais, mais dans une autre pièce. Des rayonnages bourrés de livres, un genre d’ordinateur bizarre, d’autres posters de mannequins, de musiciens et de champions de sport, un petit frigo, un siège qui bordait une fenêtre en faux style gothique… le tout totalement inconnu. Je me suis à peine arrêté avant d’aller à une autre porte.

Là, il y avait un couloir, pas très différent d’un couloir d’hôtel, mais mieux éclairé et plus large ; plus sale, mais en même temps plus majestueux. Moins obsessionnellement passé à l’aspirateur, à l’encaustique et à la cire ; mais doté d’une construction plus riche, plus massive – d’une sorte d’aura. La porte qui me faisait face quand j’ai émergé dans ce couloir portait le numéro 300 et, sous ce chiffre, j’ai vu une plaque de cuivre, retenant une carte sur laquelle était calligraphié Don Costello. Je me suis retourné pour regarder la porte que j’étais en train de fermer, la porte de la chambre dont je venais d’émerger.

303

Michael D Young

Je me suis mis à courir, la sueur commençant déjà à me couler sous les bras et le long des flancs. Je suis passé devant d’autres chambres, certaines avec des portes largement ouvertes, leurs occupants assis sur le lit en train d’enfiler d’épaisses chaussettes blanches ou d’aller et venir avec des serviettes autour de la taille. J’ai atteint une porte vitrée au bout du couloir, je l’ai ouverte à la volée et je me suis rué dans un large escalier en pin brillant.

La chaleur, les odeurs inhabituelles, les grandes portes en verre, le grincement du bois, tout cela venait se condenser en un bloc pour suinter de mon esprit comme une poignée de glaise coule entre les doigts serrés. Je ressentais le picotement froid et humide du cauchemar du premier jour dans une nouvelle école. Cette sensation accablante de crainte tous azimuts. La certitude que les proportions et les dimensions des lieux que vous voyez actuellement se reconfigureront bientôt dans votre tête et que, sous peu, les perspectives, les angles et les points de fuite rétréciront. Vous pourrez, debout dans un couloir, invoquer l’image du premier surgissement de ce passage à vos yeux avant qu’il ne devienne sûr et connu, et vous vous ébahirez qu’il soit jamais apparu sous des aspects si terrifiants. Pourtant, tout du long, vous tirant vers le bas comme du plomb, la conscience que ce processus de familiarisation représente en réalité une corruption, une perte.

L’humidité, toutefois… Je ne pourrai jamais m’y accoutumer. En son cœur, un goût métallique évocateur de lointains orages bouillonnant au-dessus de l’horizon.

À mi-hauteur de l’escalier, j’ai entendu couiner des baskets sur du bois et la claque d’une paume contre la rambarde, tandis que quelqu’un s’élançait pour l’ascension.

Peu importe qui c’est, me suis-je dit, je vais lui poser la question aussi calmement que possible.

Je baissai les yeux et vis une masse de cheveux clairs monter en tressautant vers moi.

« Pardon, dis-je. Je me demandais si…

— Ouais, le monstre est vivant !

— Euh…

— Alors, comment ça va ?

— Je… »

Il me claqua de la main contre l’épaule, des yeux bleus inquiets interrogeant les miens. « Ooh, t’as encore l’air secoué. Bon sang, t’étais parti hier au soir. Je, euh, je passais juste prendre des nouvelles.

— Euh… où est-ce que je suis, exactement ?

— D’accord ! Bien sûr ! Je crois qu’on ferait mieux d’aller à la Tour prendre un café. »

Nous avons descendu l’escalier. C’était le jeune type de la veille, cela au moins, j’en étais sûr.

« Steve, c’est bien ça ?

— Bon, ça va, Mikey, arrête, tu veux ? C’est toujours pas drôle. Hooo. Je me suis pris plus ou moins une gueule de bois, moi aussi.

— Où va-t-on ?

— Comme j’ai dit, à la Tour… Non, à la réflexion, dans ton état, mieux vaut aller chez PJ. Histoire de te faire prendre un peu l’air. »

Je le suivis jusqu’à une porte au bas des marches, sur laquelle il poussa une seconde, en me considérant avec des yeux mi-clos et en secouant la tête d’un air navré comme l’instituteur regarde le seul élève de la classe dont il sait qu’il finira mal. Il avait également une mine perplexe, de la perplexité et presque un espoir, que je ne compris pas. Je n’ai compris ce coup d’œil que plus tard – beaucoup, beaucoup plus tard.

« Aïe aïe aïe… »

Il poussa un soupir et ouvrit la porte. De l’air chaud me gifla le visage en une vague humide, tropicale. Me frappa avec plus de force, un impact qui me coupa le souffle et tout espoir de santé mentale, la vision déployée devant moi d’une cour immense, d’une énorme série de cours. Des tours de collèges, des portails, des pelouses, des passages sous des arches, des places et des statues, s’étendaient dans toutes les directions. On aurait dit qu’un cancer s’était déclaré à St-Matthew et que d’extravagantes tumeurs mutantes avaient proliféré, des variations amples et délirantes sur le thème de Cambridge.

Je suis resté figé, jambes écartées comme un enfant.

« Quel est le problème ?

— Je… Je…

— Bon sang, y a vraiment quelque chose qui te travaille, non ? »

J’opinai sans mot dire.

« Viens ici, dit Steve. Regarde-moi. Regarde-moi, je te dis… » Il inspecta mes yeux avec inquiétude. Je soutins son regard, totalement paniqué.

« Tu as peut-être subi une commotion. Les pupilles sont normales, je crois. Je ne sais même pas en quoi une commotion les changerait. Allons-y. »

J’avançai à ses côtés dans un genre de rêve. Au-dessus de moi, de fausses flèches jacobéennes, de fausses tourelles médiévales et des gargouilles à la beauté incongrue me surplombaient. Sous mes pieds, des voies pavées serties dans du tarmac rose me menaient à travers le cœur de ce village immense et magnifique.

Le mot village suscita en moi la vision de Patrick McGoohan, le Prisonnier, s’éveillant dans sa petite chambre, au Village. La caméra effectuant des zooms frénétiques, à la mode de l’époque, entre des fontaines où dansent des balles de ping-pong et des coupoles en cuivre vert-de-grisé ; des palais miniatures coiffés de dômes, et des chérubins en pierre ricanant.

« Où suis-je ?

— Au Village.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis le Numéro Deux.

— Qui est le Numéro Un ?

— Vous êtes le Numéro Six.

— Je ne suis pas un numéro, je suis un HOMME LIBRE. »

Le bras de Steve passé sous le mien, nous avons franchi un portail de style ancien mais solide, propre et neuf, pour émerger dans une rue, avec beaucoup de circulation.

Il a fallu une seconde pour que le point important me frappe.

« Bon Dieu, j’ai dit. Les voitures…

— Hé, allez, Mikey. Calme-toi, tu veux ? Y a pas de raison de paniquer. On va traverser la rue un peu plus loin.