Das Kriegstagebuch von Rudolf Gloder
Rudi tenait un journal ! En tremblant, Hans passa à la page suivante. Deux mesures de musique tracées à la main occupaient le haut de la page et, en dessous, figuraient les mots :
Blut Brüderschaft schwöre ein Eid !
Wagner, supposa Hans. Un serment de fraternité par le sang. C’était impossible de teutonisme, magnifiquement Rudi.
Il choisit une page au hasard, au début. Dans son enthousiasme de jouvencelle, Hans espérait par-dessus tout trouver une référence à sa personne, aussi fugace soit-elle.
14 JANVIER 1917
Je trouve la transition de Leutnant à Oberleutnant pratiquement insignifiante. Ce sera la prochaine étape qui comptera. « Hauptmann Gloder ». Voilà qui sonnerait vraiment très bien. Certains officiers m’en veulent encore de mon ascension. Fort bien, qu’ils m’en veuillent. Gutmann, j’ai remarqué, est le seul officier à me saluer comme un frère, mais nous savons ce qui le motive. Ce Juif serait prêt à tout pour s’attirer les faveurs d’une compagnie au sang pur. Il me considère aussi, de façon insultante, comme un genre de frère par l’intellect. Il se fait de l’intellect une idée très éloignée de la mienne. Toutefois, il a son utilité. Il a une connaissance très profonde de l’histoire militaire et je lui permets de me considérer comme un ami.
Quatre membres d’un groupe de poseurs de barbelés ont été tués par un tireur d’élite, hier. J’ai adressé des lettres de condoléances à leurs familles, chez eux, la première fois que j’ai dû m’acquitter d’une telle tâche. Eckert m’a montré la lettre type qu’on emploie dans ces occasions. Insuffisante pour moi. J’ai écrit quatre lettres magnifiques et distinctes, en inventant toutes sortes de bêtises sur l’héroïsme de chaque soldat mort. Puis-je ajouter, d’un point de vue personnel, que la perte de Wolfgang n’est pas un deuil que pour vous ? Nous l’apprécions énormément, ici. Sa volonté, son courage, son humour et son charme sont pour nous irremplaçables, autant que son souvenir est sacré. Et ensuite, des citations de Goethe et de Hölderlin. Tout ça pour un bouseux, un garçon de ferme mal dégrossi sans assez de cervelle pour éviter les balles. Chacune de ces lettres trouvera sans doute sa place sous un cadre doré, accrochée quelque part sur un mur. Comme le dit si justement Puck :
Lord, what fools these mortals be !{« Messire, que ces mortels sont sots ! » – Le Songe d’une nuit d’été – (N.d.T.).}
Par ailleurs, une journée terne, affreusement froide.
Hans leva les yeux du livre, en fronçant les sourcils. Il n’avait pas compris la citation en anglais, qu’il supposait de Shakespeare, mais la référence à des bouseux mal dégrossis ne pouvait pas lui plaire. Ma foi, c’est vrai qu’il avait fait affreusement froid, ce jour-là ; tout le monde a ses jours de mauvaise humeur. Il avança vers le milieu du livre.
22 AVRIL 1918
Enfin, le printemps !
Enfin, en théorie. Si les tempêtes de l’hiver ont disparu, celles de l’artillerie sont toujours avec nous. Et si la douce lumière du printemps éclaire des brises légères, tièdes et charmantes, le souffle qui court dans les prés et les bois ne rit pas avec des yeux malicieux, mais nous adresse une sale grimace en crachant d’épaisses volutes de poison.
Hé oui, encore une attaque aux gaz par les Tommies. Deux morts ce matin, et Ernst Schmidt blessé. Mend et moi avons été les premiers à plonger pour attraper nos masques, mais Schmidt a insisté pour rester en haut et sonner l’alarme. Il a failli payer sa stupidité de sa vie. Dès que j’ai vu ce qu’il manigançait, je suis ressorti avec un masque pour lui et je me suis démené en tous sens comme un tigre pour rallier les hommes et soigner les blessés. Toutefois, c’est Schmidt qui a récolté toutes les louanges, et j’ai donc été le premier à lui administrer des tapes amicales comme au bête chien fidèle qu’il est, et j’ai promis de le recommander par une mention en haut lieu pour son « courage désintéressé ». Infiniment contrariant.
Hans sentit son cœur chavirer tandis qu’il continuait sa lecture.
Ai suivi les lignes pour transmettre de nouveaux ordres sur l’emploi des gramophones dans les abris. Que nos maîtres sont sages, qu’ils ont les priorités fermement en main ! La troupe ne parle que de la bravoure de Schmidt. Et nul plus haut que moi. Je plaisante sur le gaz empoisonné, parle du « gift » des Tommies, mais il n’y a pas assez de gens qui savent l’anglais pour comprendre le jeu de mots{En anglais, gift signifie cadeau ; en allemand, poison. (N.d.T.).}.
Arrivée de bonnes et de mauvaises nouvelles. Les bonnes ? Nous semblons tenir la côte de Messines et Armentières. Si nous parvenons à effectuer une poussée avant que les Américains prennent vraiment pied sur le front de l’Ouest, ce dernier assaut pourra réussir. La mauvaise nouvelle, et ce n’est pas une rumeur, cette fois-ci, mais un fait établi, veut que le Rittmeister von Richthofen ait été envoyé au tapis et tué hier par un pilote canadien débutant. Grande consternation générale. Deux années durant, j’ai envié « Den Roten Freihern », et l’adoration qu’il suscitait, mais en secret je savais que l’adoption de son mythe par Berlin serait fatale. Les Britanniques vont l’ensevelir avec tous les honneurs militaires. Certains se demandent apparemment si c’est le Canadien qui l’a abattu, ou des mitrailleurs australiens au sol. Il volait bas.
Dispute au mess après le repas du soir. Gutmann, apparemment, vénère Wagner, ce que je trouve absurde. Il a sur ses œuvres des théories désespérément confuses et, à mon opinion perverse, déformées. Dans toutes, il voit « des significations psychiques et politiques » en filigrane. Comme tous ceux de sa race, il refuse d’admettre qu’une chose est une chose. Qu’une œuvre d’art veut dire ce qu’elle dit, qu’elle est ce qu’elle est. Non, il faut qu’il décode ses filigranes de sottises embrouillées dans chaque phrase. Je me suis énervé et, sentant que le colonel s’ennuyait, j’ai décidé de m’amuser aux dépens de notre Hugo. J’ai dit qu’il ferait mieux de se souvenir de Mime et de Siegfried. Mime, le petit Nibelung contrefait, qui apprend à Siegfried à forger l’épée avec l’idée constante de le trahir. (J’ai bien vu que Gutmann comprenait à ma façon de dire « Niebelung » que je pensais « Juif », en réalité.) Mime le Juif, qui conspire pour exploiter l’intrépidité et la pureté de Siegfried afin d’obtenir l’anneau et de gagner le pouvoir sur le monde entier. Et qu’advient-il de Mime ? Hé bien, Siegfried tue le dragon et s’empare de l’anneau, avant de retourner son épée contre Mime. Ah ah ! Le nom de Mime est, somme toute, très proche du mot Memme, lâche, et il n’y a pas plus pleutre que les Niebelungen. Bien entendu, ils se vengent bassement en frappant Siegfried dans le dos. Mais ils n’ont pas l’anneau ! Jamais ils n’auront l’anneau.
« L’anneau qu’ils ont eux-mêmes fabriqué », a fait observer Gutmann, avec un air supérieur.
« Qu’ils ont fabriqué à partir de l’or qu’ils ont volé ! ai-je répliqué. Il ne leur appartiendra jamais. Jamais !