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J’ouvris de grands yeux. « La Philosophie ? Tu as bien dit philosophie ? Ouille ! »

Steve prit la cigarette qui avait échappé à mes doigts et l’écrasa dans le cendrier.

« Hé, attention, mon vieux.

— Mais je ne connais rien du tout à la philosophie !

— Fait numéro Un. Les cigarettes qu’on fume sans précautions peuvent te brûler. Fait numéro deux. Se brûler fait mal. La douleur est une mauvaise chose. Conclusion. Ne fume pas sans précautions. »

Jo-Beth arriva. « Deux petits-déjeuners du chef. Régalez-vous, les gars. »

Je considérai d’un œil incrédule la tour de pancakes qu’on plaçait devant moi. Une masse de beurre blanc vaguait en glissant au sommet de la pile. Arrangées plus bas, au rez-de-chaussée de l’assiette, pour ainsi dire, de fines tranches de bacon croustillant se lovaient autour de deux œufs au plat. Je suçai la cloque cuisante sur le côté de mon doigt et contemplai avec ébahissement la nature morte extra-terrestre empilée devant moi.

« Je suis censé manger tout ça ?

— C’est l’idée générale, répondit Steve en calant ses coudes sur la table.

— Et ça ? » demandai-je en brandissant deux sachets de sirop d’érable. « À quoi ça sert ? »

En réponse, il déchira deux de ses propres sachets et fit bruiner le contenu sur son bacon.

« Bacon et sirop d’érable ? demandai-je. Là, je sais pour de bon que je rêve. »

Et pourtant, après avoir fait l’effort d’essayer, je trouvai à ce petit déjeuner une saveur certaine. Une justesse inéluctable, comme si mon corps n’attendait rien de moins.

« Je n’arrive pas à croire », dis-je après avoir terminé, en allumant une nouvelle cigarette et en accueillant en moi ma dose obscure de fumée, « je n’arrive pas à croire que j’ai pu manger tout ça.

— Tu avais peut-être exactement besoin de ça, suggéra Steve en me versant du café d’un pot que Jo-Beth avait diligemment déposé en passant devant notre table.

— Et je mange ce genre de petit-déjeuner régulièrement ?

— Bien sûr, oui. À peu près chaque matin.

— Alors, comme se fait-il que je ne pèse pas quinze stone ?

— Comment ?

— Tu sais bien, pourquoi je ne fais pas… » Je levai les yeux vers le plafond et essayai à convertir les chiffres. « Pourquoi je ne fais pas dans les deux cents livres ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas gras ? »

Steve grimaça un sourire. « Faudrait poser la question au coach Heywood. »

Mon estomac fit une cabriole. « Oh mon Dieu, dis-je. Oh mon Dieu, non. Tu vas me dire que je pratique un sport, c’est ça ? Je le sens.

— Arrête ton char ! Le slider infernal de Mikey ?

— Le slider ?

— Allez. File-moi sept dollars et on partage. »

Je tirai mon portefeuille de mon short et j’en sortis de l’argent.

« Sept dollars, dis-je en étalant les billets devant moi. Ils ont tous la même taille.

— Exact, fit Steve en en cueillant plusieurs. Dingue, non ? »

Retour dans Nassau Street, le Disneyland gothique de l’université face à nous, Steve annonça que nous allions nous promener tout autour du campus.

Il expliqua que les étudiants passaient de l’année de freshman à celle de sophomore, de sophomore à junior, jusqu’à atteindre enfin l’année de senior, la quatrième et dernière. Nous nous trouvions tous deux, manifestement, à la fin de notre année de junior et on nous désignait par conséquent par notre année de « promotion », 1997, l’année où nous passerions nos examens. Steve avait la physique pour matière principale, mais il voulait faire autre chose que savant. Écrivain, peut-être, pensait-il. Il avait suivi des cours d’histoire et de poésie, et les trouvait chouettes.

Une grande quantité de connaissances des lieux me fut impartie au long de notre promenade.

Il indiqua du doigt un bâtiment élégant, drapé de lierre, devant nous. « Un des premiers gouverneurs du New Jersey, Jonathan Belcher, a joué un rôle déterminant pour amener ici l’université de Princeton. S’il n’avait pas été si modeste, Nassau Hall, là-bas, qui célèbre cette année son deux cent cinquantième anniversaire, s’appellerait en fait Belcher Hall, ce qui la ficherait plutôt mal{Belcher pourrait se traduire par roteur (N.d.T.).}. George Washington a chassé les Britanniques de Nassau Hall en 1777 et, cinq ans plus tard, Princeton est devenu la capitale des États-Unis pendant une brève période, et nous avons obtenu jusqu’à ce jour le rare privilège de pouvoir laisser flotter la bannière étoilée de nuit. Washington est revenu ici recevoir les remerciements du Congrès continental pour la façon dont il avait conduit la guerre, et le 31 octobre, c’est ici précisément qu’est arrivée la nouvelle de la signature du traité de Paris, qui mettait officiellement un terme à la Révolution américaine. Les visiteurs sont priés de ne pas marcher sur les pelouses. Il est interdit de prendre des photos au flash à l’intérieur. Merci de votre attention.

— Comment diable sais-tu tout ça ? lui demandai-je.

— J’étais guide de visites organisées, pendant mon année de sophomore. Il y a toujours des groupes dans le coin. Toi aussi, tu as fait ça.

— Moi ?

— Mais bien sûr. Des tas d’étudiants font ça. Un bon moyen de gagner un peu de fric. Là-bas, c’est la porte Stanhope. On la franchit le jour où l’on reçoit son diplôme, donc on considère que ça porte vraiment malheur de l’emprunter. C’est devenu une véritable superstition, si bien que personne ne sort par là, sauf le jour où l’on s’en va. »

J’ai dit que j’aurais préféré voir les bâtiments qui, à son avis, m’étaient les plus familiers.

« Ok, allons voir qui il y a à Chancellor Green, tu y passes pas mal de temps. On verra ce qui me revient en tête, sur le chemin. Ah, tiens, un truc qui va te plaire. Autrefois, on appelait les terrains qui entouraient l’université le yard ou le green, d’accord ? Et puis, vers la fin du XVIIIe siècle, le président de Princeton, Jonathan Witherspoon, il a décidé, parce qu’il avait une formation en lettres classiques, de baptiser les prés autour de Nassau Hall, le campus, c’est-à-dire les champs en latin, quoi, et voilà pourquoi tous les domaines universitaires s’appellent partout des campus. Épatant, non ? »

Je confirmai que c’était épatant. Mon allure calme parut le satisfaire.

« Bon, autre chose, ajouta-t-il. Il y a deux théories sur la raison pour laquelle on appelle les plus grandes écoles américaines Ivy League, la Ligue du lierre, d’accord ? D’abord, que c’est parce que chaque promotion de diplômés de Princeton avait coutume de planter du lierre sur la façade de Nassau Hall. Ils ont arrêté de le faire durant ce siècle-ci, vers 1941, lorsque tout le bâtiment a été recouvert. Alors maintenant, quand on reçoit son diplôme, on plante le lierre sous les plaques de la promotion, à l’arrière. Et donc, Ivy League, tu vois ? À cause du lierre.

— Ça se tient, acquiesçai-je. Mais tu disais qu’il y a deux théories ?

— Exact. La deuxième, c’est que, dès le départ, vers le milieu du XVIIIe siècle, par là, il y avait Harvard, Yale, Princeton et… une autre, Cornell ou Dartmouth, sans doute. Seulement quatre écoles. Et quatre en chiffres romain s’écrit avec les lettres I et V. Donc, c’était les écoles I-V. Aïe-vi, ivy, tu piges ?