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— Vous êtes en train de me dire que vous ne me croyez pas ?

— J’essaie juste de comprendre, mon vieux. Tout cela est un soupçon incohérent, non ? Il vaudrait beaucoup mieux en venir à la vérité, vous ne trouvez pas ?

— Mais qu’est-ce qu’il se passe, ici ? C’est un interrogatoire de police ? Enfin, damnation, j’ai rencontré ici des gens qui me connaissent. J’ai vu mon permis de conduire… bordel, mon permis de conduire, ma chambre à Henry Hall, mes cartes de crédit, la totale. Je me suis réveillé avec une bosse sur le crâne et un accent zarbi. Ça s’arrête là. Il me semblait que le but recherché, c’était que vous et tout le monde me disiez la vérité. Moi, j’ai ma mémoire en vrac. Tout ce que je demande, c’est de reprendre ma vie.

— C’est tout ce que vous voulez ? Oublier que tout ça s’est passé, reprendre votre vie et terminer vos tripos ?

— Oui ! Exactement. Je veux dire, je suis là pour ça, quand même !

— Et votre lecture ?

— La philosophie.

— Alors, là, voyez-vous, je suis vraiment perplexe. Aucune université au monde en dehors de Cambridge n’emploie le mot tripos pour parler de cours menant à un diplôme. Et à Princeton, nous n’employons certainement pas le terme lecture pour parler de matière. Tout cela est très difficile à comprendre.

— Hé bien, bravo, vous avez un cas qui peut vous bâtir une réputation. Où est le problème ?

— Le problème, vieille branche, c’est que rien de tout cela n’a de sens.

— Alors, vous pensez que je mens ? Vous croyez que je vous fais marcher ? Dans ce cas, super. Oui, vous avez tout à fait raison. Tout ça est une arnaque. Une blague. Un canular. Un gag. Je ne sais plus le mot correct. J’ai fait ça pour un pari. Je suis complètement rétabli, à présent. Ch’suis américain comme la tarte aux pôommz. Ah, pour sûr, partenaire, ch’suis un fi de garce d’américquîîn, et j’crois bîn, si zavez pas d’objectiûns, que j’va m’carapater su’l champ, j’vous remârcie bîn, bîn le bonsouère.

— Miséricorde ! » s’exclama Taylor, sourcils une fois de plus en plein mode stupeur, façon Alastair Sim.

« Et pisk’on parle de zarbi, d’où diable vous sortez tout ce cirque, vieille branche, mon jeune ami, le parapluie dans le cul, hein ? Aucun Anglais authentique ne parle de cette façon depuis trente ans. On dirait une version étranglée de Peter Sellers dans Docteur Folamour.

— Pardon ?

— Laissez tomber. Vous n’avez pas la moindre idée de ce dont je parle. Je suppose que vous n’avez jamais entendu parler de Peter Sellers, si ? »

J’ai compris à son expression ahurie que non.

Je pris subitement conscience qu’il devait y avoir des pans entiers du cinéma qui n’avaient jamais existé, des acteurs de cinéma que la guerre et les circonstances avaient poussés vers le statut de vedettes dans mon monde, mais qui étaient restés des inconnus ici. Folamour, Le jour le plus long… Grand Dieu, Casablanca… Casablanca n’existait pas !

Mais alors, réfléchis… songe à tous les films nouveaux que ce monde a tournés au cours des cinquante dernières années et que tu vas pouvoir rattraper.

Bon Dieu ! Je pouvais faire fortune. Écrire Casablanca ! Bon sang, je le connaissais quasiment par cœur, le dialogue, les images. Le Troisième homme ! Ça aussi, je pouvais l’écrire… Stalag 17, La grande évasion, L’espion qui venait du froid. Bon Dieu…

Taylor avait cessé d’arpenter la pièce et s’était rassis devant moi, balançant ses jambes qui s’ouvraient et se fermaient, si bien que je pouvais voir l’entrejambe froissé et taché de sueur de son pantalon de drap.

« Bon, écoutez-moi, Michael. Je vais vous parler en toute franchise. Ça vous paraît correct ? »

Je chassai de mon esprit mes rêves de gloire cinématographique et opinai avec circonspection.

« Je n’irai pas prétendre que je comprends exactement ce qui se passe dans votre tête. L’hypnose est une possibilité, bien entendu. L’autohypnose en est une autre.

— Vous suggérez que…

— Je dresse simplement l’inventaire des possibilités, vieille branche. On a pu vous hypnotiser, peut-être pour plaisanter, peut-être pour des raisons moins respectables. Il se peut que vous soyez le seul responsable, de façon accidentelle ou délibérée, difficile de le déterminer. Il se peut même que vous ne soyez pas qui vous prétendez être.

— Hein ?

— Il y a, bien entendu, différents tests que nous pourrions pratiquer.

— Ça vient forcément d’un coup sur le crâne. Je veux dire, ça arrive, non ?

— Pas à ma connaissance, Michael, non. Je crois que le mieux à faire, pour nous, c’est de vous garder en observation quelque temps.

— Mais je me sens bien. Ça s’en va. Je le sens.

— Je ne parle pas nécessairement de vous garder au lit. Si vous acceptez de vous soumettre à quelques tests au cours des quelques jours qui viennent, je crois pouvoir vous garantir la permission de rester en liberté. Il vaudrait sans doute mieux nous restituer votre permis de conduire, toutefois. Nous ne voudrions pas que vous partiez en balade. Après tout, j’ai la conviction que vous comprenez les… euh, les implications de tout ceci ?

— Les implications ? » répétai-je, parfaitement médusé. « Quelles implications ?

— Ce serait probablement une bonne idée de prendre contact avec vos parents. Vous ne leur avez pas téléphoné, pour votre part ?

— Je ne connais même pas leur… » commençai-je, avant de m’interrompre. « Enfin, je voulais dire, je ne sais même pas s’ils sont à la maison en ce moment. Je veux dire, ils doivent travailler. Je ne voulais pas les inquiéter.

— Malgré tout, je suis sûr qu’on va les contacter. À présent, si vous voulez bien attendre dehors, j’aimerais discuter avec Mr Burns. »

Je me retins juste à temps de demander avec des jurons américains colorés qui pouvait être ce Mr Burns, en comprenant qu’il parlait de Steve, et je regagnai la porte, avec la tête qui tournait, le long bras de Taylor sur mon épaule et mon permis de conduire dans sa main.

On prit des dispositions pour que, dès le lendemain matin, je me présente dans les laboratoires de la Faculté de Psychologie afin de subir des tests. D’ici là, Steve se retrouvait une fois de plus avec moi sur les bras.

Il parut songeur sur le chemin du retour à travers le campus.

« Qu’est-ce qu’il t’a dit ? demandai-je.

— Oh, rien, répondit-il, il m’a juste posé des questions. Tu sais, depuis combien de temps je te connaissais, ce genre de choses.

— C’est une vraie plaie, pour toi, non ? Tu sais, si tu veux me laisser tout seul, je vais très bien me débrouiller, je suis sûr.

— Impossible, Mikey. Tu te perdrais, et ce serait ma faute. D’ailleurs, ajouta-t-il avec tact, ce ne serait pas bien. Tu as besoin de quelqu’un. »

J’y réfléchis. « Merci, lui dis-je. Je sais, je n’arrête pas de te remercier, mais merci quand même. »

Il haussa les épaules.

« Mais de quoi parlait Taylor, m’enquis-je, quand il disait que tout ceci avait des implications ? »