Выбрать главу

« Dois-je vous dire comment je sais que j’ai raison ? Il existe une vieille règle de la guerre, de la politique, des échecs, des jeux de cartes, du gouvernement, et de toutes les sortes et formes d’engagement.

« N’agissez pas comme que vous souhaiteriez agir par-dessus tout : agissez seulement comme que votre ennemi souhaiterait le moins vous voir agir.

« Nous connaissons nos ennemis : les Juifs bolcheviques, les Juifs de la finance, les démocrates sociaux, les intellectuels de gauche.

« Que souhaiteraient-ils nous voir faire ?

« Ils souhaiteraient nous voir débattre entre nous de qui a l’âme allemande la plus pure, qui a les plus habiles idées, qui parle le mieux pour l’Allemand moyen.

« Si nous agissons ainsi, ils sont heureux, nos ennemis. Le travailleur isolé ne trouvant chez ses politiciens que schisme et dissension, s’inscrira donc aux syndicats financés par Moscou. Le paiement des intérêts continuera à se déverser dans les banques juives. L’Allemagne restera en leur pouvoir.

« Mais comment nos ennemis ne souhaiteraient-ils surtout pas nous voir agir ?

« Parler d’une seule voix. Émerger, un seul peuple allemand en un seul parti, pour contrôler notre propre destin. Nous occuper de nos propres travailleurs. Développer nos propres techniques, notre propre science, notre propre génie national dans un seul but, l’émergence de l’Allemagne comme un puissant état moderne, ne dépendant plus que de son propre peuple pour son avenir.

« Le juif bolchevique se voit privé d’influence. Le juif de la finance se voit indiquer la porte. L’intellectuel de gauche et le socio-démocrate sont anéantis par la honte.

« Il suffit de faire l’unité. L’unité, l’unité, l’unité.

« Mais cela n’arrivera jamais, n’est-ce pas ? Cela n’arrivera jamais, parce que nous voulons tous régner comme un coq sur notre petit tas de fumier. Nous échouerons à agir de la seule façon nécessaire.

« Parce que c’est dur. Tellement dur. Il faudra de la patience, du travail, des plans et des sacrifices. Il faudra l’unité à l’intérieur pour créer l’unité à l’extérieur. Il faudra un effort massif d’organisation.

« Je sais de quelle unité l’Allemand est capable. Je l’ai vue, et j’ai partagé son pouvoir sacré dans les tranchées de Flandres. Je connais la sorte de désunion dont il est capable. Je la vois à l’œuvre en ce moment dans une arrière-salle puante de Munich.

« Tels sont nos choix. Nous diviser et pleurer, ou nous unifier et rire.

« Pour ma part, je suis bavarois. J’adore rire.

« Voilà ! J’ai dit ce que j’avais à dire. Pardonnez-moi. En récompense, permettez-moi de payer une chope de bière à chacun des hommes présents. »

Rudi se pencha pour ramasser son manteau, le rejeta sur son épaule et regagna son siège.

Le silence précédant l’ovation lui rappela la pause, cette suspension du souffle, qui avait suivi les dernières notes du Götterdämmerung la première fois qu’il avait accompagné son père au festival de Bayreuth. Il avait cru, pendant un moment terrible, que le public n’avait pas approuvé et qu’ils allaient quitter le théâtre en silence. C’est alors qu’avaient éclaté les applaudissements.

Il alla de même à cet instant.

Un homme, de dix ans l’aîné de Rudi, se fraya un passage à la tête des autres, en tendant un tract sous couverture rose.

« Herr Gloder », clama-t-il par-dessus les cris d’Einheit ! Einheit ! et le martèlement des pieds. « Je m’appelle Anton Drexler. J’ai fondé ce parti. Nous avons besoin de vous. »

Histoire moderne

La Firestone

« J’ai besoin de toi, Steve. Il faut que tu m’aides à trouver une bibliothèque. »

Steve laissa tomber quelques billets sur la table trempée de bière et se hâta pour me suivre.

« Hé là, vieux, qu’est-ce qu’il te prend ?

— Où se situe la plus proche ?

— Bibliothèque ? Enfin, bon sang, on est à Princeton.

— Une bonne, n’importe laquelle. S’il te plaît ?

— D’accord, d’accord. Il y a la Firestone, sur le campus, juste de l’autre côté de la rue.

— Alors, viens ! »

Nous longeâmes au galop un bureau de poste, remontâmes Palmer Square par un côté et nous engageâmes sur Nassau, dans la traversée de laquelle je me jetai sans un seul coup d’œil latéral.

« Bon sang, Mikey. Traverser hors des clous, tu connais ?

— Désolé, mais il faut que je sache.

La bibliothèque Firestone était un bâtiment sobre, une cathédrale de pierre couronnée par une tour énorme entourée de contreforts étroits, qui s’élançait du toit comme une fusée. Je m’arrêtai sur le seuil pour demander à Steve : « Il y a tout, ici ? »

Steve secoua la tête avec une expression proche de la consternation. « Mikey, dit-il. Il y a plus de onze millions de livres sur le campus et la plupart sont ici.

— Et j’ai le droit d’y entrer ? »

Il hocha la tête avec un abattement résigné et ouvrit la porte d’une poussée.

« L’histoire, susurrai-je tandis que nous avancions vers un comptoir central massif. Où se trouve l’histoire européenne contemporaine ?

— Je crois qu’on devrait peut-être réserver un carrel, fut sa réponse.

— Un quoi ?

— Tu sais bien, un carrel… »

Je secouai la tête avec perplexité.

« Une étude », expliqua Steve avec agacement, en prenant un formulaire de papier blanc sur le comptoir. « Un box privé pour la lecture. Un carrel. Comment veux-tu appeler ça, autrement ? »

Au bout d’une demi-heure de retards bureaucratiques et d’un pillage murmurant des étagères, nous nous retrouvâmes dans un de ces carrels, une petite pièce carrée équipée d’un bureau, d’une chaise et de superbes estampes de Princeton au XVIIIe siècle sur les murs. Sur la table devant moi reposait notre butin : douze livres. Je m’assis, pris une Chronique de l’histoire mondiale, respirai profondément et allai à H comme Hitler. »

Rien.

« Tu n’es pas obligé de rester, assurai-je à Steve par-dessus mon épaule.

— Ça ne fait rien », répondit-il, en s’installant dans un coin en position du lotus, un ouvrage d’histoire militaire en images déployé d’un genou à l’autre. « Hé, je pourrais même apprendre quelque chose. »

Peut-être a-t-il appris quelque chose. J’étais trop absorbé pour m’en rendre vraiment compte.

Je me tournai vers N comme nazi et, après avoir fixé un moment ce nouveau nom inconnu, vers G comme Gloder. Mes doigts attrapèrent le papier, tournant les pages l’une après l’autre pour voir combien l’on en consacrait rien qu’à cet homme. Soixante-dix pages, réparties en différentes rubriques, chacune étant signée par un historien. La première rubrique se présentait comme une biographie chronologique.

GLODER, RUDOLF. (1894–1966) Fondateur et dirigeant du parti Nazi, Chancelier du Reich et guide spirituel du Grand Reich Allemand de 1928 jusqu’à son renversement en 1963. Chef d’État et commandant suprême des Forces armées, Führer des peuples allemands. Né à Bayreuth, en Bavière, le 17 août 1894, fils unique d’un hautboïste professionnel et professeur de musique, Heinrich Gloder [voir ce nom] et de sa seconde épouse, Paula von Meissner und Groth [voir ce nom], le jeune Rudolf fut encouragé par sa mère, qui estimait s’être mariée en dessous de sa condition, à considérer qu’il était issu d’une lignée aristocratique. On a beaucoup écrit sur les liens entre Paula et les aristocraties allemande et autrichienne (voir Gloder : l’Aristocrate, A. L. Parlange, Presses universitaires de l’État de Louisiane, 1972 ; Le Prince Rudolf ?, Mouton et Grover, Toulane, 1982 ; etc), mais peu d’éléments concrets témoignent d’autre chose que d’un milieu familial typique de la classe moyenne bavaroise de l’époque. Plus tard dans sa vie, durant son ascension vers le pouvoir, Gloder se donna beaucoup de mal pour souligner le caractère prolétaire de ses années de formation, suggérant même des périodes de pauvreté et de difficultés, mais ces déclarations résistent aussi mal à l’inspection que ses prétentions ultérieures à descendre de la lignée des Habsbourg.