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On ne peut douter que Rudolf enfant ait été un véritable prodige, se révélant musicien, cavalier, peintre, athlète et escrimeur accompli. À l’âge de quatorze ans, il savait lire et écrire en quatre langues, en plus du latin et du grec obligatoires pour n’importe quel élève de Gymnasium. Des comptes rendus fiables de l’époque montrent un élève populaire auprès de ses camarades de classe et des professeurs, et les documents relatifs à son entrée à l’académie militaire de Munich en 1910, à l’âge de seize ans, offrent des témoignages enthousiastes de la haute estime en laquelle le tenaient toutes ses connaissances.

Quand éclata la Grande Guerre de 1914, Gloder s’engagea au Seizième régiment d’infanterie de réserve bavarois, une décision qui consterna sa mère et surprit beaucoup de ses amis. La description qu’il donne de ses expériences de guerre (Kampfenparolen, Munich 1923, « Paroles de guerre », trad. Hugo Ubermayer, Londres 1924), un chef-d’œuvre de fausse modestie et de création d’une légende personnelle, affirme qu’il souhaitait combattre aux côtés des simples Allemands. On ne peut cependant douter que, s’il s’était engagé comme officier dans n’importe quel régiment plus élégant qui aurait accueilli à bras ouverts un cadet doté de références aussi impressionnantes, il n’aurait jamais pu établir le record sans équivalent de sa vertigineuse ascension dans les rangs, de Gemeiner de deuxième classe jusqu’à Commandant d’état-major, récoltant en route, entre autres décorations, la Croix de Fer de première classe, dans les ordres de la Feuille de chêne et du Diamant.

Je baissai un instant le livre et je fixai le mur qui me faisait face. Le Seizième régiment d’infanterie de réserve bavarois. Le régiment de List. Celui de Hitler.

L’Allemagne où revint Gloder fin 1918 après la signature de l’Armistice du 11 Novembre était une nation en proie au chaos politique. Assigné au rôle de Vertrauensmann par le colonel Karl Mayr de l’Unité de propagande de l’armée bavaroise, avec pour mission de garder à l’œil les dizaines d’organisations qui surgissaient presque quotidiennement dans le vide politique laissé par la révolution avortée de Munich en avril 1919, Gloder assista en septembre de la même année à une réunion de la faction minoritaire d’extrême-droite, le Deutsche Arbeiterpartei, le Parti ouvrier allemand, dirigé et fondé par Anton Drexler [voir ce nom], un régleur de machines aux chemins de fer de trente-six ans. Bien qu’il compte moins de cinquante membres, Gloder perçut que ce mélange apparemment contradictoire de socialisme anti-marxiste et de nationalisme anti-capitaliste réunissait exactement les ingrédients idoines pour un parti d’unité nationale. En six mois, Gloder avait rompu tout contact officiel avec la Reichswehr, démissionné de l’unité de propagande de Mayr, rejoint le DAP, chassé le « président national », un agitateur de la Société Thulé du nom de Karl Harrer [voir ce nom] et écarté Drexler lui-même, pour assumer la direction totale en tant que Führer ou dirigeant du parti.

En 1921, il ajouta le préfixe Nationalsozialistisch au titre officiel du DAP. Malgré sa haine du socialisme et des syndicats, Gloder reconnaissait le besoin pour son parti d’attirer des ouvriers ordinaires que le Marxisme ou le Bolchevisme auraient séduits, sinon. De la prononciation allemande des quatre premières lettres de son nom, le NSDAP acquit rapidement un sobriquet appliqué par tous, « Nazi », s’appropriant la Hakenkreuz, la croix gammée comme symbole personnel, au grand courroux d’autres groupes d’extrême-droite qui l’utilisaient depuis le siècle précédent dans leur littérature et sur leurs banderoles dans les rues.

Le sens de l’organisation et la démagogie de Gloder représentèrent ses plus grands atouts, aux premiers temps du parti. À cause de son humour caustique et vif, ses premiers rivaux ne le prirent pas au sérieux, mais il réussit à détourner ses peu charitables surnoms de Gloder, der ulkige Vogel, ou Rudi der Clown, en armes d’attaque rhétorique contre ses ennemis. Nul doute, cependant, que ce soit son charme qui lui ait valu le plus d’amis et au parti, le flot régulier de nouvelles recrues de toutes les classes de la société qui, au début des années 1920, s’était changé en marée. Doté par la Nature d’un physique avenant, d’une démarche athlétique et d’un sourire de vedette de cinéma, Gloder avait un don légendaire pour s’attirer l’admiration et la confiance d’ennemis politiques naturels. Industriels et militaires avaient foi en lui, l’homme de la rue l’admirait et l’enviait, et à travers toute l’Allemagne (voire plus loin) les femmes l’adoraient ouvertement.

Sur le chapitre de l’organisation, il regroupa le parti en sections qui devaient traiter de problèmes qu’il jugeait critiques pour la croissance de ce parti nouveau-né et, le moment venu, pour la croissance ultérieure de la grande Allemagne.

La propagande revêtait une importance extrême et l’adhésion au parti de Josef Göbbels [voir ce nom], un universitaire rhénan de stricte éducation catholique, réformé durant la guerre à cause d’une jambe estropiée par la polio, n’aurait pas pu mieux tomber. La crainte qu’avait Göbbels d’être considéré comme un « intellectuel bourgeois » et son propre sentiment d’infériorité physique l’avaient conduit à formuler une mythologie sentimentale à base de pureté nordique blonde et de vertus viriles spartiates ; aux yeux de Göbbels, Rudolf Gloder incarnait physiquement, spirituellement et intellectuellement tous ces idéaux aryens. Dès leur première rencontre, Göbbels mit entièrement au service de son Führer ses dons oratoires considérables et sa compréhension naturelle des techniques des actualités filmées et de la radio.

Pour Gloder, la propagande était le moyen d’obtenir et de conserver le pouvoir politique, mais il en vint au fil des ans à attacher une signification presque égale au potentiel de la science, au génie civil et à l’innovation technologique. Ravalant son antisémitisme naturel, Gloder s’efforça de courtiser les physiciens de l’Université de Göttingen et d’autres centres d’excellence scientifique, où les développements de la physique atomique et quantique prenaient une avance considérable sur des institutions comparables en dehors de l’Allemagne. Gloder avait la conviction, qui se révéla prophétique, que la bonne foi de la communauté scientifique était essentielle pour l’avenir de l’Allemagne. Cette opinion ferme s’opposait à l’instinct d’idéologues tels que Dietrich Eckart, Alfred Rosenberg et Julius Streicher [voir ces noms], voire de son proche ami Göbbels, qui estimait avec les autres que la « science juive » ne pouvait que polluer une nouvelle Allemagne. Dietrich Eckart, dont un titre de poème, « Deutschland Erwache ! », devint le premier slogan du Nazisme, avait aidé à financer l’achat du Völkischer Beobachter, le journal officiel du NSDAP, mais il se brouilla avec Gloder sur ce qu’il considérait désormais comme des tactiques de conciliation de la part de son chef vis-à-vis des Juifs, et ils ne s’adressèrent plus la parole jusqu’à la mort d’Eckart en 1923. À l’époque de l’enterrement d’Eckart, Gloder déplora auprès de Göbbels qu’Eckart n’ait jamais compris qu’inspirer de la peur aux Juifs et les chasser aurait été une erreur tactique. (Am Anfang, Rudolf Gloder, Berlin 1932, « Mes débuts » trad. Gottlob Blumenbach, New York 1933) Gloder utilisait l’antisémitisme comme un slogan unificateur auprès des ouvriers, mais pas au prix de perdre les ressources cruciales de la science et de la finance juives. Au cours de réunions secrètes avec la communauté juive tout au long de ces premières années, réunions dont même ses plus sûrs alliés ignoraient tout, Gloder réussit à convaincre des Juifs importants que l’antisémitisme de son parti n’était qu’une façade et que les Juifs allemands avaient moins à craindre de lui que des Marxistes et d’autres factions de droite.