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Hubbard leva les yeux vers Brown qui haussa les épaules et secoua la tête.

« C’est un film, expliquai-je. Enfin, c’était. Mais vous n’en avez sans doute jamais entendu parler. »

Je vis que Hubbard avait noté dans un calepin les mots Winninger et Dimsdale suivis de deux grands points d’interrogation. Je réprimai mon envie de rectifier l’orthographe et baissai le regard vers la table, qui avait l’éclat du neuf. Cependant, ce lustre avait une qualité qui me suggérait qu’elle n’avait rien de neuf, qu’elle était simplement très très peu utilisée.

« Mais vous n’avez pas répondu à ma première question, non, Mike ? Braunau. Dites-moi ce que vous savez de Braunau.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’en sais quoi que ce soit ?

— Vous ne savez rien ?

— Jamais entendu parler de ce coin.

— Hé bien, voilà, c’est un début, Mikey. Vous savez que c’est un lieu. Vous savez que ce n’est ni une personne ni une nuance de rose. Voilà un bon départ. »

Crotte ! Je suis tombé à pieds joints dedans, là !

« Il me semble que j’ai dû en entendre parler quelque part. Une leçon de géographie en classe, peut-être… » J’essayai, maladroitement, de rectifier la phrase selon une syntaxe plus américaine. « Je veux dire, je crois que j’ai entendu ça en cours de géo, vous voyez ? À l’école, quelque part. Il me semble, sapristi. » Je grimaçai intérieurement après ce dernier mot. J’en faisais un poil trop.

Hubbard, sans paraître rien remarquer d’anormal, poursuivit son interrogatoire en douceur. « Vraiment ? Alors, est-ce que vous vous souvenez où ça se trouve, Braunau ?

— En Allemagne ?

— Bien. C’est bien, Mike.

— Hé ! Vous voulez votre café noir ou avec du lait ?

— Du lait, s’il vous plaît », répondis-je en levant le nez de la table pour la première fois. Brown avait réussi à décoincer le couvercle de la cafetière et versait à présent avec délicatesse un café noir et épais dans de toutes petites tasses.

Un silence gênant prévalut pendant que se déroulait l’embarras commun de la distribution du sucre et des cuillères à café.

« Où est Steve ? demandai-je en jetant sur la pièce un coup d’œil circulaire. Il est ici ?

— Par là, répondit Hubbard en testant une petite gorgée de café.

— Je peux le voir ?

— Excellent, le café, Don. »

Brown hocha la tête avec satisfaction, comme s’il avait l’habitude de se faire complimenter sur la qualité de son kaoua.

« Je préfère ne plus rien dire tant que je ne l’aurais pas vu. Que je ne saurai pas de quoi il s’agit.

— Il s’agit de vous, de moi et de Mr Brown, qui sommes réunis ici pour un petit pow-wow, Mike. C’est tout. Pas de quoi s’inquiéter. Vous nous disiez que, selon vous, Braunau se trouvait peut-être en Allemagne ?

— Ben, le nom a l’air allemand, non ?

— Voyons ce que vous savez du nom Hitler, vous voulez bien ? Ça vous dit quelque chose ? Hitler ? »

Peut-être mes pupilles se sont-elles dilatées, ou rétrécies. Peut-être ai-je retenu mon souffle un instant. Ou que ma couleur a changé. Je sais que j’ai tenté de paraître nonchalant, et je sais que la tentative a échoué.

« Hitler ? ai-je dit en déglutissant. Ça se trouve où ? »

Hubbard a de nouveau levé les yeux vers Brown qui a hoché la tête et sorti une petite boîte chromée de sa poche de poitrine. Après avoir soigneusement déposé la boîte sur la table entre Hubbard et moi, Brown a repris sa position debout au bout de la table, plaçant les mains derrière le dos comme un acolyte qui vient d’exécuter un rituel cérémoniel de grande importance.

Je fixai la boîte comme si je m’attendais à ce qu’elle se mette à parler. Ce qui finalement n’était pas idiot de ma part parce que, après que Hubbard eut pressé un interrupteur sur le côté, c’est exactement ce qu’elle a fait.

Il y avait des bruits de fond, un froissement de cellophane, le tintement de verres, le chuintement d’une allumette, le flot lointain de la circulation et autres bruits d’extérieur supplémentaires, mais, pour l’essentiel, la boîte se mit à parler. Voici ce qu’elle dit, avec deux voix. Celle de Steve et la mienne.

MOI : Tu vas me prendre pour un cinglé, je sais, mais je suis extrêmement heureux, en ce moment.

STEVE : Ah bon ? Comment ça se fait ?

MOI : Tu ne comprendrais pas si je te le disais.

STEVE : Essaie toujours.

MOI : Je suis heureux, parce que, quand je t’ai posé la question tout à l’heure, tu m’as dit que tu n’avais pas entendu parler d’Adolf Hitler.

STEVE : Et ça te rend heureux ?

MOI : Tu n’as aucune idée de ce que ça représente. Tu n’as jamais entendu les noms de Hitler ou de Schickelgruber, ou de Pölzl. Tu n’as jamais entendu parler de Braunau, tu n’as jamais…

STEVE : Braunau ?

MOI : Braunau-am-Inn, en Haute-Autriche. Ce n’est même pas un nom, pour toi, et ça fait de moi le plus heureux des hommes qui vivent.

STEVE : Hé bien, tant mieux pour toi.

MOI : Tu n’as jamais entendu parler d’Auschwitz ni de Dachau. Tu n’as jamais entendu parler du parti nazi. Tu n’as jamais entendu…

Hubbard pressa de nouveau l’interrupteur.

« Bon, voilà, on commence à arriver quelque part. Braunau ne se trouve pas en Allemagne, mais dans une région d’Allemagne. En Autriche. Et même en Haute-Autriche. Ça cadre un peu les choses, vous ne trouvez pas ?

— Si vous saviez depuis le début que je sais où se trouve Braunau, fis-je, pourquoi m’avez-vous baladé comme ça ?

— Hé bien, en fait, je crois que je pourrais formuler la question différemment, Mikey. Si vous, vous saviez depuis le début où se trouve Braunau, pourquoi nous avez-vous baladés comme ça ?

— Donc, match nul, non ? »

Hubbard me regarda dans les yeux. Je soutins son regard et dans leur brun chocolat, j’essayai de discerner le motif et l’intention qui pouvaient s’y cacher.

« Et Hitler, dit-il. Vous savez que Hitler n’est pas un nom de lieu. Vous savez que c’est un nom d’homme. Adolf Hitler, avez-vous dit. Qui est donc Adolf Hitler ? »

Je secouai la tête.

« Et Auschwitz ? Qu’est-ce que c’est ? Un endroit, une personne, une marque de bière ? »

J’eus un geste vague. « À vous de me le dire. »

L’expression de tristesse dans les yeux de Hubbard s’intensifia.

« Ce n’est pas une bonne réponse, Mikey, dit-il. C’est une très mauvaise réponse. Nous voulons votre aide. Nous voulons que vous nous disiez ce que vous savez. C’est à ça que nous voulons en venir. Pas à vous voir essayer de faire le malin.

— Et ce que nous voulons savoir, ajouta la voix plus dure de Brown en bout de table, c’est votre satanée identité. »

Mon cœur commença à marteler lourdement ma poitrine. « Mais vous la connaissez. Je suis Michael Young. Vous le savez.

— Le sait-on, Michael ? » La voix de Hubbard devenait songeuse, comme celle d’un universitaire en train de méditer sur le sens du sens. « Le sait-on vraiment ? Nous savons que vous ressemblez à Michael Young, mais nous savons bigrement bien aussi que vous n’avez pas la même voix. Nous savons bigrement bien que vous ne vous comportez pas comme lui. Alors, vous voyez : peut-on savoir ? Savoir pour de bon ?