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Je secouai la tête, abasourdi par tout ça, comme si je continuais de m’éveiller.

Mon père se pencha en avant et me saisit le bras. « Pour l’amour du Ciel, Michael. Combien de fois faudra-t-il que je te dise de parler correctement ? Pourquoi toujours dire truc, filer, cool, les types ? Tu étudies à Princeton, tu ne peux donc pas arriver à prononcer une phrase cohérente en bon anglais ?

— Mon gamin fait pareil, commenta Hubbard. Et il est à Harvard.

— Il est à Harvard et il sait parler ? lui dis-je sur un ton incrédule. Vous devez en être très fier, monsieur. »

La tension dans la pièce se dissipa un peu, je le sentis.

Leo avait fui St-Matthew à Cambridge pour Venise. Venise pour Washington. En ce moment, il se trouvait ici, à Princeton. J’en avais la conviction, autant que je pouvais en avoir une sur quoi que ce soit.

Il se pouvait très bien, sûrement, qu’il ait pris le train pour New York au cours du mois écoulé ? Mon amnésie couvrirait toutes les failles de mon histoire. Hubbard et Brown auraient du mal à démontrer que j’avais tout inventé. Ils pouvaient le soupçonner, mais quel danger est-ce que je posais, à quiconque ou à quoi que ce soit ?

— Qu’est-ce qui vous amenait à New York, Mikey ? » demanda Hubbard.

Je haussai les épaules. « Que voulez-vous que ce soit ? Les Yankees.

— Vous êtes un supporter des Yankees ?

— Vous devriez voir sa chambre, glissa mon père. Il a des draps rayés noir et blanc.

— Ah ouais ? Moi, je suis fan des Dodgers de Brooklyn.

— Il en faut », répondis-je.

Brown prit la parole pour la première fois. « L’homme du train. Vous dites que ses yeux vous ont impressionné.

— Ils m’ont filé la chair de poule, oui.

— Il semble curieux, continua Brown, que les yeux d’un homme en train de dormir aient un tel effet.

— Il s’est réveillé en arrivant à New York », dis-je, tandis que ma mémoire s’évertuait à se rappeler un détail que Steve avait mentionné plus tôt. Pas Grand Central, non, la gare ne s’appelait pas comme ça. C’était bien la peine… Oh ! Ça y est. « Quand nous nous sommes arrêtés à Penn Station, il s’est levé, et j’ai vu ses yeux. Et vous savez, en plus de ce, disons, ce monologue qu’il avait sorti…

— Il ne portait pas de lunettes, alors ? » Brown paraissait surpris.

« Non, dis-je avec conviction. Quoique, à la réflexion… » Je fermai les paupières comme si j’essayais de me représenter la scène. « À la réflexion, il avait une paire de lunettes dans la poche poitrine de son veston. Ouais, j’en suis presque sûr.

— Et de quelle couleur étaient ces yeux remarquables ?

— Le bleu le plus lumineux que vous ayez jamais vu. Ils faisaient un peu plus jeune que son teint, si vous voyez ce que je veux dire. Un bleu de cobalt vraiment perçant.

— Et avait-il une barbe blanche ou grise ? »

La barbe ! Double crotte…

Voilà qui posait problème. Il portait la barbe à Cambridge quand je le connaissais, mais c’était dans une autre vie. Il s’appelait alors Leo Zuckermann, et vivait sous l’identité que lui avait laissée son père. C’était une identité juive et Leo l’avait interprétée à fond. Mais portait-il la barbe, à présent ? Très peu des gens plus âgés que j’avais vus à Princeton portaient la barbe. Il allait chercher à se fondre autant que possible dans la masse, certainement. Par contre, s’il était rasé de près en Allemagne, peut-être s’était-il laissé pousser la barbe comme élément de sa nouvelle identité aux États-Unis. Épineux problème.

« La question est simple, mon ami, répéta Brown. Avait-il une barbe grise ou blanche ?

— Ah, oui, assez simple, c’est sûr, dis-je en fronçant les sourcils avec perplexité. Mais voyez-vous, j’essaie de comprendre si vous me tendez un piège parce que vous pensez que je mens, ou si le type dont nous parlons portait vraiment la barbe quand vous l’avez connu, et s’il y a juste maldonne. Parce que le type dont je parle, il était rasé. Il avait des cheveux plutôt gris argent, poivre et sel, je crois qu’on appelle ça. Dégarni à peu près jusque là.

— Et si nous vous montrions des clichés de quelques personnes, vous seriez capable de le reconnaître parmi elles ?

— À coup sûr », affirmai-je, toute mon assurance retrouvée. « Ce n’était pas un visage que j’oublierai de sitôt. »

Pour la première fois, Brown s’assit à la table. « Bon, fiston, fit-il, je vous avais entendu parler de Braunau, je n’avais pas la moindre idée de ce que vous alliez raconter. Le professeur Simon Taylor, comme vous l’avez sans doute deviné, il nous a parlé de vous. Il a dit qu’il y avait peut-être là du louche, qui pouvait mériter notre attention. Nous avons pris la liberté de passer et de vous suivre en ville hier après-midi. Quand je vous ai entendu parler des Hitler, de Braunau-am-Inn et du reste, tranquille, en plein air, comme ça, je dois le dire : j’ai failli sauter hors de mon falzar. Ça semblait incroyable qu’un jeune étudiant puisse connaître ces noms en demeurant réglo. Mais je suppose que votre explication est la seule solution sensée. Vous avez écouté un vieil homme parler dans son sommeil. J’aurais sans doute dû y penser moi-même. Comme disait Sherlock Holmes, lorsqu’on a éliminé l’impossible, alors ce qu’il reste, aussi invraisemblable que ce soit, doit tout bêtement être la vérité. »

À son tour, Hubbard se leva. Il écarta les rideaux et la blanche lumière crue de l’aube emplit la pièce, me blessant les yeux. Mon père se remit debout lui aussi, mal assuré.

« Donc, nous pouvons ramener notre fils à la maison, à présent ?

— Vous pouvez faire de lui tout ce qu’il vous chante, mon colonel. Je regrette seulement de vous avoir fait perdre tant de temps. Mais vous avez entendu l’histoire que j’ai dû raconter, il valait mieux vérifier.

— Je comprends.

— Et vous, Mikey, vous comprenez, n’est-ce pas, le serment que vous avez prêté ? »

Je hochai la tête tout en me levant à mon tour et en m’étirant. Mes cuisses se couvraient de chair de poule dans l’air frisquet. Je n’arrivais pas à croire que je portais toujours le fichu short en coton que j’avais enfilé la veille au matin.

Une idée soudaine me frappa. « Et Steve ? demandai-je. Qu’avez-vous fait de lui ?

— Ce qu’on en a fait ? Nous n’en avons rien fait, Mikey. Il a regagné depuis des heures sa résidence universitaire sur le campus.

— Vous vous trompez complètement sur son compte, vous savez, fis-je. Cette histoire d’homosexualité dont vous le soupçonnez. Je ne sais pas d’où vous sortez ça, mais ce n’est pas vrai. Pas vrai du tout. »