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Aussi, je criai à M. de Chagny: «C’est le mirage!… c’est le mirage!… ne croyez pas à l’eau!… c’est encore le truc de la glace!…» Alors il m’envoya, comme on dit, carrément promener, avec mon truc de la glace, mes ressorts, mes portes tournantes et mon palais des mirages!… Il affirma, rageur, que j’étais fou ou aveugle pour imaginer que toute cette eau qui coulait là-bas, entre de si beaux innombrables arbres, n’était point de la vraie eau!… Et le désert était vrai! Et la forêt aussi!… Ce n’était pas à lui qu’il fallait «en faire accroire»… il avait assez voyagé… et dans tous les pays…

Et il se traîna, disant:

«De l’eau! De l’eau!…»

Et il avait la bouche ouverte comme s’il buvait… Et moi aussi, j’avais la bouche ouverte comme si je buvais…

Car non seulement nous la voyions, l’eau, mais encore nous l’entendions!… Nous l’entendions couler… clapoter!… Comprenez-vous ce mot clapoter?… C’est un mot que l’on entend avec la langue!… La langue se tire hors de la bouche pour mieux l’écouter!…

Enfin, supplice plus intolérable que tout, nous entendîmes la pluie et il ne pleuvait pas! Cela, c’était l’invention démoniaque… Oh! je savais très bien aussi comment Érik l’obtenait! Il remplissait de petites pierres une boîte très étroite et très longue, coupée par intervalles de vannes de bois et de métal. Les petites pierres, en tombant, rencontraient ces vannes et ricochaient de l’une à l’autre, et il s’ensuivait des sons saccadés qui rappelaient à s’y tromper le grésillement d’une pluie d’orage.

… Aussi, il fallait voir comme nous tirions la langue, M. de Chagny et moi, en nous traînant vers la rive clapotante… nos yeux et nos oreilles étaient pleins d’eau, mais notre langue restait sèche comme de la corne!…

Arrivé à la glace, M. de Chagny la lécha… et moi aussi… je léchai la glace…

Elle était ardente!…

Alors nous roulâmes par terre, avec un râle désespéré. M. de Chagny approcha de sa tempe le dernier pistolet qui était resté chargé et moi je regardai, à mes pieds, le lacet du Pendjab.

Je savais pourquoi, dans ce troisième décor, était revenu l’arbre de fer!…

L’arbre de fer m’attendait!…

Mais comme je regardais le lacet du Pendjab, je vis une chose qui me fit tressaillir si violemment que M. de Chagny en fut arrêté dans son mouvement de suicide. Déjà, il murmurait: «Adieu, Christine!…»

Je lui avais pris le bras. Et puis je lui pris le pistolet… et puis je me traînai à genoux jusqu’à ce que j’avais vu.

Je venais de découvrir auprès du lacet du Pendjab, dans la rainure du parquet, un clou à tête noire dont je n’ignorais pas l’usage…

Enfin! je l’avais trouvé le ressort!… le ressort qui allait faire jouer la porte!… qui allait nous donner la liberté!… qui allait nous livrer Érik.

Je tâtai le clou… Je montrai à M. de Chagny une figure rayonnante!… Le clou à tête noire cédait sous ma pression…

Et alors…

… Et alors ce ne fut point une porte qui s’ouvrit dans le mur, mais une trappe qui se déclencha dans le plancher.

Aussitôt, de ce trou noir, de l’air frais nous arriva. Nous nous penchâmes sur ce carré d’ombre comme sur une source limpide. Le menton dans l’ombre fraîche, nous la buvions.

Et nous nous courbions de plus en plus au-dessus de la trappe. Que pouvait-il bien y avoir dans ce trou, dans cette cave qui venait d’ouvrir mystérieusement sa porte dans le plancher?…

Il y avait peut-être, là-dedans, de l’eau?… De l’eau pour boire…

J’allongeai le bras dans les ténèbres et je rencontrai une pierre, et puis une autre… un escalier… un noir escalier qui descendait à la cave.

Le vicomte était déjà prêt à se jeter dans le trou!…

Là-dedans, même si on ne trouvait point d’eau, on pourrait échapper à l’étreinte rayonnante de ces abominables miroirs.

Mais j’arrêtai le vicomte, car je craignais un nouveau tour du monstre et, ma lanterne sourde allumée, je descendis le premier…

L’escalier plongeait dans les ténèbres les plus profondes et tournait sur lui-même. Ah! l’adorable fraîcheur de l’escalier et des ténèbres!…

Cette fraîcheur devait moins venir du système de ventilation établi nécessairement par Érik que de la fraîcheur même de la terre qui devait être toute saturée d’eau au niveau où nous nous trouvions… Et puis, le lac ne devait pas être loin!…

Nous fûmes bientôt au bas de l’escalier… Nos yeux commençaient à se faire à l’ombre, à distinguer autour de nous, des formes… des formes rondes… sur lesquelles je dirigeai le jet lumineux de ma lanterne…

Des tonneaux!…

Nous étions dans la cave d’Érik!

C’est là qu’il devait enfermer son vin et peut-être son eau potable…

Je savais qu’Érik était très amateur de bons crus… Ah! il y avait là de quoi boire!…

M. de Chagny caressait les formes rondes et répétait inlassablement:

«Des tonneaux! des tonneaux!… Que de tonneaux!…»

En fait, il y en avait une certaine quantité alignée fort symétriquement sur deux files entre lesquelles nous nous trouvions…

C’étaient des petits tonneaux et j’imaginai qu’Érik les avait choisis de cette taille pour la facilité du transport dans la maison du Lac!…

Nous les examinions les uns après les autres cherchant si l’un d’entre eux n’avait point quelque chantepleure nous indiquant par cela même qu’on y aurait puisé de temps à autre.

Mais tous les tonneaux étaient fort hermétiquement clos.

Alors, après en avoir soulevé un à demi pour constater qu’il était plein, nous nous mîmes à genoux et avec la lame d’un petit couteau que j’avais sur moi, je me mis en mesure de faire sauter la «bonde».

À ce moment, il me sembla entendre, comme venant de très loin, une sorte de chant monotone dont le rythme m’était connu, car je l’avais entendu très souvent dans les rues de Paris:

«Tonneaux!… Tonneaux!… Avez-vous des tonneaux… à vendre?…»

Ma main en fut immobilisée sur la bonde… M. de Chagny aussi avait entendu. Il me dit:

«C’est drôle!… on dirait que c’est le tonneau qui chante!…»

Le chant reprit plus lointainement…

«Tonneaux!… Tonneaux!… Avez-vous des tonneaux à vendre?…»

«Oh! oh! je vous jure, fit le vicomte, que le chant s’éloigne dans le tonneau!…»

Nous nous relevâmes et allâmes regarder derrière le tonneau…

«C’est dedans! faisait M. de Chagny; c’est dedans!…»

Mais nous n’entendions plus rien… et nous en fûmes réduits à accuser le mauvais état, le trouble réel de nos sens…