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— Cela n’est pas possible ! dit Semacgus. Regardez comme les muscles et les chairs se distendent.

— Oh ! j’ai vu pire que cela ! gronda Raccard. Des possédés qui s’allongeaient tellement qu’ils arrivaient à en gagner le quart de leur taille.

— Est-ce là illusion ou faux-semblant ? Sommes-nous soumis à une influence qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes ?

— Que non ! Il s’agit de phénomènes inquiétants, spectaculaires, mais bien réels, devant lesquels nous devons conserver la tête froide.

Il prit son étole qu’il passa sur le visage de la Miette. Les mains de la jeune fille, repliées comme des pattes griffues, tentèrent de la saisir. Les ongles crissèrent sur la soie du tissu, égratignant au passage une croix surbrodée d’argent. Le corps retomba lourdement sur le lit.

— Cela te fait de l’effet, hein, coquine ? dit l’exorciste. N’aie crainte, nous allons te soulager de ton visiteur.

Nicolas admirait le calme de l’officiant qui, dans ces circonstances hallucinantes, conservait sang-froid, humour et courage. Seuls, les yeux mobiles, perçants, demeuraient en perpétuelle surveillance, comme ceux d’un chasseur sur le qui-vive qui traque un gibier dangereux et anticipe ses tours et détours.

— Vous deux, tenez-la fermement en pesant sur elle de tout votre poids. Peu importe qu’elle se débatte et soit un peu froissée. Évitez surtout qu’elle échappe à votre étreinte.

Semacgus et Nicolas se disposèrent de chaque côté de la Miette. Sa chair parut glacée à Nicolas, qui la supposait brûlante de fièvre. Elle gémit doucement. Le père remit son étole et reprit le rituel. Il éleva la voix après plusieurs minutes de prière silencieuse.

— Seigneur, Dieu de vertu, recevez les prières que nous vous offrons, quoique indigne, pour votre servante Ermeline, afin que vous daigniez lui accorder la rémission de ses péchés et l’arracher au démon qui l’assiège et l’opprime. Dieu saint, père éternel, jetez un regard propice sur votre servante en proie à une douloureuse affliction...

Un râle profond venu de l’intérieur de la Miette se fit entendre. Par extraordinaire, il se confondit un instant avec le gémissement précédent, puis s’enfla, le surmontant en puissance. À l’effarement des assistants, le corps en souffrance produisait deux cris différents, l’un grave et l’autre aigu. Le père Raccard vit ses aides au bord de la panique. Il reprit ses aspersions d’eau bénite.

— Recule, recule, bête immonde, rentre dans ton antre ! Arrière, arrière, arrière !

Il regarda Nicolas et Semacgus.

— Et vous, ne vous troublez pas, il ne s’agit que de quelques-uns de ses tours préliminaires qui viennent battre nos défenses, user notre volonté et abuser notre foi. Souvenez-vous que le règne, la puissance et la gloire sont en nous !

Maintenant, la Miette n’émettait plus aucun cri, mais une bave abondante, qui rappela à Nicolas l’image incongrue des escargots plongés dans les orties par Catherine en sa cuisine de la rue Montmartre, coulait comme un fleuve ininterrompu et inondait peu à peu sa pauvre poitrine.

— Je t’adjure, démon, reprit Raccard, par Celui qui est ressuscité le troisième jour, d’avoir à sortir et à fuir de cette servante de Dieu, avec toutes tes iniquités, tes maléfices, tes incantations, tes ligatures et toutes tes actions. Ne demeure point ici, esprit immonde. Il est venu pour toi le jour du jugement éternel où toi et tes anges apostats seront précipités dans un brasier ardent pour l’éternité.

Soudain, les deux amis furent rejetés contre les murs de la mansarde. Les deux bras fluets de la Miette, ayant acquis la rigidité de l’acier, s’étaient gonflés sous leurs doigts, et ils avaient senti une force invraisemblable les écarter.

— Il résiste, il résiste ! hurlait Raccard.

Bien que son existence ait été pourtant fertile en drames et spectacles d’horreur, la scène qui suivit allait demeurer à jamais dans la mémoire de Nicolas, qu’elle hanterait jusqu’à sa mort. Le père Raccard ahanait comme un bûcheron entamant un grand arbre, luttait et mettait toute sa force à maîtriser et à chasser le démon qui possédait la Miette. Il semblait que les muscles et les tendons se multipliaient et cuirassaient le corps de la servante. Le visage du prêtre était écarlate, la sueur lui coulait dans les yeux, les veines du front et des tempes gonflaient, bleuâtres, prêtes, semblait-il, à éclater. Et, tout au long de ce combat, la chose déversa d’une voix grinçante un flot d’obscénités qui laissèrent Raccard impavide, mais qui épouvantèrent Nicolas et Semacgus. Maintenant, le prêtre hurlait pour couvrir la voix du démon.

— Qui que tu sois, être superbe et maudit, qui, malgré l’invocation du Nom divin, ne cesses tes vexations contre cette créature et vomis des ordures, ne te crois pas à l’abri de la colère du Très-Haut, car le feu, la grêle, la neige, la glace et l’esprit des tempêtes seront ta part de calice !

La Miette ahanait désormais comme une bête à bout de souffle, aux abois. Le père Raccard redoubla d’efforts. Il lui tendit le crucifix. Au fur et à mesure que l’objet sacré approchait de son visage, la servante s’enfonçait dans sa couche, sifflant et crachant comme un chat, en répandant une odeur infecte.

— Je t’exorcise, esprit immonde ! Sors de cette créature de Dieu ! Ce n’est pas moi, pécheur, qui te commande, mais l’agneau immaculé. Ils accourent, triomphants de toi, les archanges et les anges, les apôtres, les martyrs, les confesseurs et les vierges. Tes forces diaboliques s’effondrent. Rends à ta victime la force de ses membres et l’intégrité de ses sens. Ne surviens ni dans sa veille ni dans son sommeil et ne la trouble pas dans sa recherche de la vie éternelle. Satan maudit, reconnais ta sentence. Je te chasse et t’extirpe du corps de cette servante. Dieu tout-puissant, faites que ce corps obsédé du démon soit, par votre grâce, entièrement délivré dorénavant de la méchanceté diabolique. Par Jésus-Christ, Notre-Seigneur, qui viendra juger les vivants et les morts et le siècle par le feu. Amen.

Le père Raccard, épuisé, se laissa aller en arrière contre le mur. Les assistants éprouvèrent comme le passage d’un souffle brûlant et fétide. Le carreau de la petite fenêtre éclata et le silence retomba sur la mansarde. La Miette reposait, apaisée, apparemment délivrée de l’oppression qui avait été son ordinaire depuis des jours. Les excrétions dont elle avait été couverte au paroxysme de sa crise disparaissaient comme évaporées. Nicolas nota que le tambour de Naganda avait cessé de battre de son rythme obsédant. La Miette bougea soudain, les yeux fermés. Le corps rigide, elle se leva et, sans un regard vers les trois hommes, ouvrit la porte, s’engagea sur le palier et descendit l’escalier. Nicolas saisit un bougeoir et se précipita à sa suite, engageant les autres à l’accompagner et marquant d’un doigt sur ses lèvres d’avoir à observer le plus grand silence. Il entendait éviter de troubler ce qui maintenant apparaissait comme une crise de somnambulisme, sans doute consécutive à la possession ou à ce qui en avait tenu lieu.