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— Les minéraux ? Les diamants surtout, je présume.

— Ils sont nés pour couler en rivière, monsieur le maréchal.

— Tout un programme ! Qu’en dit Choiseul ?

— Il fronce son vilain nez !

— Savez-vous, reprit Richelieu, que le bon Chauvelin a abandonné son logement au château et que Sa Majesté a eu la bonté de l’accorder au maréchal d’Estrées ? Chauvelin n’a pas perdu au change en reprenant celui de la marquise de Durefort. Il est vrai qu’il a eu le geste de lui rembourser la dépense des améliorations qu’elle y avait faites, afin que l’ensemble reste dans toute sa parure.

La comtesse se tourna vers Nicolas, qui frémit sous le feu de son regard. On entendait la voix enrouée du roi qui commentait les coups heureux et se moquait de Chauvelin.

— Monsieur, dit-elle, on m’a dit pouvoir compter sur votre dévouement, que rien n’était égal à votre ardeur à servir le roi et ceux... qui lui sont proches.

— C’est trop d’indulgence, madame.

— On me dit qu’une certaine dame vous appréciait fort et que vous lui rendîtes des services que l’on ne peut mesurer qu’à l’aune de votre fidélité.

— Madame, le service du roi est un.

— Je suis convaincue, monsieur le marquis, du désir que vous aurez un jour de faire quelque chose qui me soit agréable.

— Je tiens tout de Sa Majesté, madame. Aussi pouvez-vous compter sur mon zèle et mon attachement pour tous ceux qui lui sont chers.

Les favorites se succédaient, pensa-t-il, mais elles croyaient toutes s’acquérir des mérites auprès de lui en lui donnant un titre auquel il avait renoncé et qui ne lui était rien. La soirée passa comme un rêve et le récompensa de ses efforts. Le roi lui parla plusieurs fois en particulier avec cette ouverture bienveillante qui le faisait tant aimer de ses proches. Nicolas aurait souhaité faire partager son bonheur à la France entière. Quand il se retrouva dans la voiture de Sartine, il crut revivre une scène déjà vécue dix ans avant. Le lieutenant général de police qui, sous sa froideur courtoise, sentait les choses, sourit et lui dit à l’oreille :

— Puisse le destin nous offrir toujours de ces retours heureux de Versailles !

Nantes, 18 août 1770

Un long coup de sifflet suraigu accompagna la descente par Nicolas de l’échelle de coupée de L’Orion. Il s’arrêta un instant ; la yole qui devait le ramener à quai plongeait dans le flot au gré des vagues. Il choisit le moment où la plate-forme et le plat-bord étaient au même niveau pour sauter dans l’embarcation. Naganda, accoudé au bastingage, ses longs cheveux flottants dans le vent, agitait la main. Bientôt, un bosquet d’arbres d’un îlot de la Loire masqua le vaisseau.

Depuis la conclusion de l’affaire de la rue Saint-Honoré, les événements s’étaient précipités. Charlotte Galaine et Marie Chaffoureau, convaincues des crimes qui leur étaient reprochés, allaient bientôt, selon la procédure, subir le dernier interrogatoire avant jugement sur la « sellette d’infamie ». La rigueur des lois ne leur laissait aucune chance d’échapper à la potence après amende honorable. Les autres acteurs du drame avaient été mis hors cause. Charles Galaine sur lequel pesaient de lourdes présomptions de complicité, passive ou non, subit la question sans desserrer les dents. Il est vrai qu’il perdait connaissance avant même que le bourreau l’approchât et commençât son travail. Ses pairs de la corporation des marchands pelletiers s’étaient entremis et, faute de preuves, on le remit en liberté. Il s’était immédiatement embarqué pour la Suède où il comptait rattraper le fil de ses affaires et restaurer son négoce.

Mme Galaine, déshonorée, avait rompu tout commerce avec son époux et s’était retirée à Compiègne, dans un couvent. Le pécule amassé par sa coupable industrie lui avait ouvert les portes d’une retraite paisible où, à l’abri du monde, elle surveillerait l’éducation de sa fille. Aux interrogations et à la question, Camille Galaine avait opposé d’incohérents discours. Elle végétait désormais dans la maison de la rue Saint-Honoré. Son caractère étrange s’était accentué. Elle recueillait les chats par dizaines et, dans les fétides remugles de leurs déjections, elle parlait au démon, égarée dans sa solitude. La Miette ne paraissait pas devoir recouvrer la raison, et son avenir se bornerait aux horreurs d’une maison de force. Dorsacq avait promis de reconnaître son enfant. Frappé d’une terreur superstitieuse par les événements extraordinaires de la maison Galaine, il se disait touché par une grâce efficace et souhaitait réparer sa légèreté.

Quant à Naganda, désormais libre, il avait choisi de regagner le Nouveau Monde afin de succéder à son père à la tête de la confédération des tribus micmacs. M. de Sartine s’était étonné que Nicolas n’ait pas suffisamment poussé son avantage en pressant tout de suite l’Indien pour qu’il dévoile des informations qui, selon lui, auraient fait accélérer le dénouement de l’enquête. « Comment, s’était exclamé le lieutenant général, vous tenez sous la main un témoin essentiel et vous le laissez agir à sa guise dans une soupente dont il s’extrait à volonté, comme un chat de gouttière ! » Nicolas eut beau jeu de rétorquer que la procédure étant exceptionnelle et l’affaire baignant dans le déraisonnable et l’irrationnel, un suspect trop brutalement bousculé n’était pas forcément d’un bon rendement, et que sa présence dans la maison Galaine était un des éléments déterminants de l’alchimie compliquée des causes et des conséquences de ce drame domestique. Son chef consentit à en convenir en maugréant. Il ajouta avec un sourire acide un commentaire sibyllin dont Nicolas retint que « quoi qu’on fasse on reconstruit toujours le monument à sa manière ».

Par extraordinaire, le roi, qui n’oubliait rien et dont la curiosité avait été piquée par le récit du commissaire, ordonna qu’on lui présentât l’Indien. Nicolas se souviendrait longtemps de ce dialogue étonnant entre le souverain et le Micmac qui se considérait toujours comme son sujet, en dépit des traités. Le jeune dauphin était présent. À la grande surprise de son grand-père, il sortit de son mutisme habituel et, sans timidité, multiplia les questions à Naganda, faisant montre de réelles connaissances géographiques et cartographiques.

D’un mot aimable, il remercia aussi Nicolas de son enquête sur la catastrophe du 30 mai.

Une seconde audience avait suivi, en la seule présence de Nicolas, dans le cabinet secret du roi. Peu après, Sartine lui communiquait les décisions, provoquées par cet étonnant concours de circonstances. Charmé par ses talents, le roi avait décidé d’utiliser les services de Naganda. Il embarquerait sur un vaisseau en qualité d’écrivain du bord, et serait secrètement débarqué sur la côte du golfe du Saint-Laurent. Louis XV entendait, en effet, demeurer informé de la situation de l’ancienne possession. Des liens devaient être maintenus avec des tribus fidèles dont certaines, comme les Micmacs, poursuivaient la lutte contre l’Anglais. Un commis des Affaires étrangères initia Naganda aux subtils arcanes du chiffrement, et un code personnel lui fut attribué. Un calendrier approximatif de rendez-vous fut fixé pour faciliter les contacts réguliers avec un bateau de la flotte de pêche qui fréquentait le banc de Terre-Neuve. Enfin, le roi offrit à Naganda son équipement et une tabatière avec son portrait. Celui-ci s’était lancé avec fougue dans ses préparatifs, tout à la joie de pouvoir servir encore le vieux pays.