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— Le gomte Nosferoutard, rectifia sèchement une voix de femme.

— Et sœur Donne… J’veux dire la comtesse Nosferoutard, évidemment…

— Enjantée, fraiment », dit la voix tandis que la petite femme boulotte assise à côté du petit comte boulot tendait une main alourdie de bagues. Quant au comte, il gratifia Vindelle d’un sourire gêné. Il avait l’air de porter un costume d’opéra coupé pour un homme de plusieurs tailles plus grand que lui.

« Et frère Crapahut… »

La chaise était vide. Mais une voix grave, depuis les ténèbres en dessous, lança : « B’soir.

— Et frère Lupin. » Le jeune homme musclé et velu aux longues canines et aux oreilles en pointe tendit une main cordiale à Vindelle.

« Et sœur Drulle. Et frère Morfale. Et frère Ixolite. »

Vindelle exécuta une série de variations sur le thème de la poignée de main.

Frère Ixolite lui tendit un petit bout de papier jaune. Un seul mot y était écrit : OuuuIiiiOuuuIiiiOuuuIIIii.

« Je suis désolé qu’on soit aussi peu nombreux ce soir, dit monsieur Soulier. Je fais de mon mieux, mais certains m’ont l’air lents à se décider, j’en ai peur.

— Euh… certains morts, vous voulez dire ? demanda Vindelle, les yeux toujours fixés sur le bout de papier.

— De l’indifférence, moi, j’appelle ça, fit amèrement monsieur Soulier. Comment notre mouvement peut-il se développer si tout le monde reste les bras croisés ? »

Lupin se mit à effectuer des signes frénétiques – Ne le lancez pas là-dessus – derrière la tête de monsieur Soulier, mais Vindelle ne put s’arrêter à temps.

« Quel mouvement ? demanda-t-il.

— Les droits des morts, répondit aussi sec monsieur Soulier. Je vais vous donner une de mes brochures.

— Mais, euh… les morts n’ont pas de droits, tout de même ? » s’étonna Vindelle. Du coin de l’œil, il vit Lupin se plaquer la main sur le front.

« Tout juste, et on ne va pas en mourir », fit le jeune homme velu en gardant son sérieux. Monsieur Soulier lui jeta un regard noir.

« De l’indifférence, répéta-t-il. C’est toujours pareil. Vous faites des pieds et des mains pour vos semblables, et ça les laisse froids. Vous savez que les vivants peuvent dire tout ce qui leur passe par la tête sur votre compte et s’emparer de tous vos biens, uniquement parce que vous êtes mort ? Et ils…

— Moi, je croyais que la plupart des gens, quand ils mouraient, ils… vous savez bien, quoi… ils mouraient et puis voilà, fit Vindelle.

— C’est de la fainéantise. Ils ne veulent pas faire d’efforts. »

Vindelle n’avait jamais vu mine plus abattue. Raymond Soulier avait l’air rétréci de plusieurs pointures.

« Depuis gombien de temps êtes-fous mort-fivant, Findelle ? demanda Donne avec une gaieté forcée.

— Depuis très peu, répondit un Vindelle soulagé par le changement de ton. Je dois avouer que je m’attendais à autre chose.

— On s’y fait, commenta d’une voix lugubre Arthur Clindieux alias le comte Nosferoutard. C’est ça, quand on est mort-vivant. Aussi facile que de tomber du haut d’une falaise. On est tous des morts-vivants, ici. »

Lupin toussa.

« Sauf Lupin, précisa Arthur.

— Je suis davantage que ce qu’on pourrait appeler un mort-vivant honoraire, dit le jeune velu.

— C’est un loup-garou, expliqua Arthur.

— C’est ce que je me suis dit dès que je l’ai vu, reconnut Vindelle en opinant.

— À chaque pleine lune, fit Lupin. Réglé comme du papier à musique.

— Vous vous mettez à hurler et vos poils poussent », dit Vindelle.

Tous firent non de la tête.

« Euh… non, rectifia Lupin. Disons plutôt que je m’arrête de hurler et qu’une partie de mes poils tombe provisoirement. C’est vachement embarrassant.

— Mais je croyais qu’à la pleine lune, normalement, les loups-garous…

— Le broplème de Loupine, dit Dorine, z’est qu’il prozède dans l’autre zens, voyez-fous.

— Techniquement, je suis un loup, expliqua Lupin. De quoi rire, vraiment. À chaque pleine lune, je me transforme en homme-garou. Le reste du temps, je suis un… un loup, quoi.

— Bon sang, fit Vindelle. C’est une situation affreuse.

— Les pantalons, c’est le pire.

— Euh… Ah bon ?

— Oh, ouais. Voyez, pour les loups-garous humains, ça va. Ils gardent leurs vêtements, et puis voilà. Je veux dire, leurs vêtements se déchirent peut-être un peu, mais au moins ils les gardent sur eux, c’est pratique, non ? Tandis que moi, si je vois la pleine lune, aussitôt je me mets à marcher, à parler, et je risque de gros ennuis vu que je suis un peu léger du côté pantalon. Je suis donc obligé d’en garder un planqué en permanence quelque part. Monsieur Soulier…

— … Appelez-moi Raymond…

— … me permet d’en laisser un en dépôt à son travail.

— Je travaille à la morgue de la rue de l’Orme, dit monsieur Soulier. Je n’en ai pas honte. Ça vaut la peine de sauver un frère ou une sœur.

— Pardon ? fit Vindelle. De sauver ?

— C’est moi qui épingle la carte sous le couvercle, expliqua monsieur Soulier. On ne sait jamais. Qui ne risque rien n’a rien.

— Ça marche souvent ? » demanda Vindelle. Il fit des yeux le tour de la pièce. Le ton de sa voix laissait entendre que la salle était plutôt grande pour seulement huit personnes ; enfin, neuf si l’on comptait la voix sous la chaise qui devait sans doute avoir un propriétaire.

Dorine et Arthur échangèrent un regard.

« Z’a marché bour Artoure, fit Dorine.

— Excusez-moi, reprit Vindelle, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander… Vous ne seriez pas deux… euh… vampires, par hasard ?

— Tout jus’, répondit Arthur. Pas d’bol.

— Hah ! Vous ne defriez pas barler gomme za, fit Donne avec hauteur. Vous afez des manières de proute. Vous defriez être fier de fotre nople lignée.

— De prout ? fit Arthur.

— Vous vous êtes fait avoir par une chauve-souris, un truc comme ça ? demanda bien vite Vindelle qui ne tenait pas à semer la zizanie dans le ménage.

— Non, répondit Arthur, par un notaire. J’ai reçu une lettre, voyez. Avec un pâté de cire dessus et tout, très chic, quoi. Blablabla… arrière-grand-oncle… blablabla… seul parent encore en vie… blablabla… les premiers à vous offrir nos félicitations les plus… blablabla. Avant ça, j’étais Arthur Clindieux, grossiste en fruits et légumes plein d’avenir, et d’un coup je me retrouvais comte Nosferoutard, propriétaire de cinquante arpents de falaise à pic où une chèvre tiendrait pas debout, d’un château que même les cafards avaient déserté et d’une invitation du bourgmestre à descendre le voir au village un de ces quatre pour discuter des trois siècles d’arriérés d’impôts.

— Je les déteste, les notaires », fit la voix sous la chaise. Une voix au timbre triste et caverneux. Vindelle tâcha de rapprocher ses jambes un peu plus de sa propre chaise.

« Z’était un bon jâteau, dit Dorine.

— Un foutu tas de cailloux pourris, oui, voilà ce que c’était, répliqua Arthur.

— La fue était cholie, fit observer Dorine.

— Ouais, à travers tous les murs, lâcha Arthur comme une herse en travers du chemin que prenait la conversation. J’aurais dû m’en douter avant même d’aller y jeter un coup d’œil. Alors j’ai fait faire demi-tour à la voiture, comprenez ? Je me disais, voilà quatre jours de perdus, en pleine saison. Je fais une croix dessus. Et après, je me réveille dans le noir, je me retrouve dans une boîte, je finis par dénicher des allumettes, j’en gratte une et je vois une carte au-dessus de mon nez. Elle disait…