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« Est-ce qu’il reste des sortilèges à quelqu’un ? » demanda-t-il.

Ils réfléchirent fiévreusement.

« Je crois que je m’en rappelle un, fit l’économe d’une voix hésitante.

— Allez-y, mon vieux. On a plus rien à perdre. »

L’économe tendit une main. Il ferma les yeux. Il marmonna quelques syllabes à voix basse.

Il y eut un bref soubresaut de lumière octarine et…

« Oh, fit l’archichancelier. Et c’est tout ?

— “Le Bouquet Surprise d’Eringyas”, commenta l’économe, les yeux brillants et le corps agité de mouvements convulsifs. Je ne sais pas pourquoi, mais celui-là, je l’ai toujours réussi. Un don, j’imagine. »

Ridculle contempla le gros bouquet de fleurs que serrait désormais le poing de l’économe.

« Mais pas franchement utile dans le cas présent, si j’peux m’permettre », ajouta-t-il.

L’économe regarda les murs qui se rapprochaient et son sourire mourut sur ses lèvres.

« Pas franchement, non, dit-il.

— Quelqu’un d’autre a une idée ? » demanda Ridculle.

Pas de réponse.

« Jolies roses, remarquez », fit le doyen.

« Vous avez fait vite, dit mademoiselle Trottemenu lorsque Pierre Porte revint au tas de moyettes en traînant une bâche derrière lui.

— OUI, HEIN ? » marmonna-t-il évasivement tandis qu’elle l’aidait à tirer la toile sur la meule puis à la lester de pierres. Le vent se prit dedans et tenta de la lui arracher des mains ; autant vouloir renverser une montagne.

La pluie balayait les champs, au milieu de lambeaux de brume qui miroitaient d’énergies électriques bleutées.

« Jamais vu une nuit pareille », fit mademoiselle Trotte-menu.

Un autre coup de tonnerre lui répondit. Un éclair en nappe flottait sur l’horizon.

Elle saisit le bras de Pierre Porte. « Ce serait pas… quelqu’un sur la colline ? fit-elle. J’ai cru voir… une forme.

— NON, CE N’EST QU’UN APPAREIL MÉCANIQUE. »

Un autre éclair.

« À cheval ? » répliqua mademoiselle Trottemenu.

Une troisième nappe déchira le ciel. Cette fois, il n’y avait aucun doute. Une silhouette à cheval se dressait au sommet de la colline la plus proche. Encapuchonnée. Tenant une faux aussi fièrement qu’une lance.

« DE LA FRIME. » Pierre Porte se tourna vers mademoiselle Trottemenu. « DE LA FRIME. MOI, JE N’AI JAMAIS RIEN FAIT DE PAREIL. QUEL INTÉRÊT ? À QUOI ÇA RIME ? »

Il ouvrit la main. Le sablier doré apparut.

« Il vous reste combien de temps ?

— PEUT-ÊTRE UNE HEURE. PEUT-ÊTRE QUELQUES MINUTES.

— Venez, alors ! »

Pierre Porte ne bougea pas, les yeux fixés sur le sablier.

« Je vous ai dit de venir !

— ÇÀ NE MARCHERA PAS. J’AVAIS TORT DE CROIRE QUE ÇA MARCHERAIT. MAIS ÇA NE MARCHERA PAS. IL Y A DES CHOSES AUXQUELLES ON NE PEUT PAS ÉCHAPPER. ON NE PEUT PAS VIVRE ÉTERNELLEMENT.

— Et pourquoi donc ? »

Pierre Porte eut l’air secoué. « COMMENT ÇA ?

— Pourquoi vous ne pouvez pas vivre éternellement ?

— JE NE SAIS PAS, MOI. LA SAGESSE COSMIQUE ?

— Qu’est-ce qu’elle y connaît, la sagesse cosmique ? Alors, vous venez, oui ou non ? »

La silhouette sur la colline n’avait pas bougé.

La pluie avait délayé la poussière en boue fine. Ils glissèrent le long de la pente, traversèrent en hâte la cour et s’engouffrèrent dans la maison.

« J’AURAIS DÛ MIEUX PRÉPARER MON AFFAIRE. J’AVAIS PENSÉ…

— Mais y avait la moisson.

— OUI.

— On a p’t-être moyen de barricader la porte, quelque chose ?

— EST-CE QUE VOUS SAVEZ CE QUE VOUS DITES ?

— Ben, vous avez qu’à trouver une idée, vous ! Y a jamais rien qui vous a arrêté ?

— NON », répondit Pierre Porte avec un soupçon de fierté. Mademoiselle Trottemenu jeta un coup d’œil par la fenêtre avant de s’écarter et de se plaquer contre le mur dans un mouvement théâtral. « D est parti !

— C’EST PARTI, rectifia Pierre Porte. CE N’EST PAS ENCORE UN INDIVIDU.

— C’est parti. Ça peut être n’importe où.

— ÇA PEUT PASSER À TRAVERS LE MUR. »

Elle se décolla précipitamment du mur, puis lui jeta un regard noir.

« TRÈS BIEN. ALLEZ CHERCHER LA PETITE. JE CROIS QU’IL FAUT PARTIR. » Une idée lui vint. Il s’égaya un peu. « IL NOUS RESTE PEU DE TEMPS. QUELLE HEURE EST-IL ?

— J’sais pas. Vous arrêtez les pendules pour un oui pour un non.

— MAIS IL N’EST PAS ENCORE MINUIT ?

— D’après moi, il est pas plus d’onze heures et quart.

— ALORS ON A TROIS QUARTS D’HEURE DEVANT NOUS.

— Comment vous pouvez être sûr ?

— À CAUSE DU CÔTÉ THÉÂTRAL, MADEMOISELLE TROTTEMENU. LE TYPE DE MORT QUI PREND LA POSE SUR LA LIGNE D’HORIZON À LA LUMIÈRE DES ÉCLAIRS, expliqua Pierre Porte d’un ton désapprobateur, NE FAIT PAS SON ENTRÉE À ONZE HEURES ET VINGT-CINQ MINUTES S’IL PEUT LA FAIRE À MINUIT. »

Elle hocha la tête, toute pâle, et disparut à l’étage. Elle redescendit au bout d’une ou deux minutes en portant Sal enveloppée dans une couverture.

« Elle a l’sommeil lourd, dit-elle.

— CE N’EST PAS DU SOMMEIL. »

La pluie avait cessé, mais la tempête faisait toujours rage autour des collines. L’air grésillait et produisait toujours l’effet d’une fournaise.

Pierre Porte passa en tête devant le poulailler où Cyril et son harem sur le retour se tapissaient dans le noir tout au fond et tâchaient d’occuper les mêmes centimètres de perchoir.

Une lueur vert pâle planait autour de la cheminée de la ferme.

« On appelle ça le feu de Bassan, dit mademoiselle Trotte-menu. C’est un présage.

— UN PRÉSAGE DE QUOI ?

— Hein ? Oh, me demandez pas. Rien qu’un présage, m’est idée. De la présagerie toute bête. Où on va ?

— AU VILLAGE.

— Pour se rapprocher de la faux ?

— Oui. »

Il disparut dans la grange. Au bout d’un moment, il ressortit en conduisant Bigadin, sellé et harnaché. Il l’enfourcha, puis se pencha et hissa d’un coup la vieille demoiselle et la fillette endormie devant lui sur le cheval.

« SI JE ME SUIS TROMPÉ, ajouta-t-il, CE CHEVAL VOUS EMMÈNERA OÙ VOUS VOULEZ.

— Tout ce que j’voudrai, c’est rentrer chez moi !

— OÙ VOUS VOULEZ. »

Bigadin se lança au petit trot lorsqu’ils virèrent sur la route qui menait au village. Le vent arrachait les feuilles des arbres ; elles les dépassaient en virevoltant et filaient sur la route. De temps en temps, un éclair fouettait encore le ciel.

Mademoiselle Trottemenu regarda la colline au-delà de la ferme. « Pierre…

— JE SAIS.

— … c’est revenu…

— JE SAIS.

— Pourquoi ça nous court pas après ?

— ON NE RISQUE RIEN TANT QU’IL RESTE ENCORE DU SABLE.

— Et quand y en aura plus, vous mourrez ?

— NON. QUAND IL N’Y AURA PLUS DE SABLE, JE SERAI CENSÉ MOURIR. JE ME TROUVERAI DANS L’ESPACE ENTRE LA VIE ET LA VIE FUTURE.

— Pierre, on aurait dit que sa monture… J’ai cru que c’était un cheval normal, juste très maigre, seulement…

— C’EST UN SQUELETTE DE COURSIER. IMPRESSIONNANT MAIS GUÈRE PRATIQUE. J’EN AI EU UN COMME ÇA, MAIS LA TÊTE EST TOMBÉE.

— La Mort au p’tit cheval, comme qui dirait.