Выбрать главу

Pârvati Nanda chasse la cuisinière maussade, accueille sa mère avec l’adéquate ferveur filiale, puis demande à la balayeuse de porter ses bagages dans la chambre d’amis et de l’y installer.

« Je vais te préparer une véritable tasse de châï, nous irons la prendre sur le toit. »

Mme Sâdhurbhaï se ramollit comme une sculpture en ghî à un melâ.

La balayeuse annonce que la chambre est prête. Pendant que sa mère va inspecter la pièce et défaire ses bagages, Pârvati s’active avec la bouilloire, essuie, range, efface les restes de son humiliation au match de cricket.

« Tu ne devrais pas avoir à faire ça, dit Mme Sâdhurbhaï en s’imposant près de Pârvati devant la bouilloire. Le moins qu’on puisse attendre d’une cuisinière est de savoir préparer une tasse de châï. Et cette balayeuse t’escroque. C’est une fille extrêmement paresseuse. Tous ces moutons que j’ai trouvés sous le lit ! Il faut se montrer ferme avec le personnel. Tiens. » Elle pose sur le comptoir un paquet de thé à l’emballage criard. « Quelque chose qui a vraiment de l’arôme. »

Elles s’installent dans l’ombre légère d’une charmille de jasmin. Mme Sâdhurbhaï inspecte les travaux, puis les toits avoisinants.

« Ce n’est pas très isolé, ici », commente-t-elle en se tirant le dupattâ sur la tête. En ce début d’heure de pointe, les klaxons des voitures font concurrence à leur conversation. Une radio bêle des tubes depuis un balcon situé de l’autre côté de la rue. « Ce sera bien quand ça aura poussé un peu. Tu auras davantage d’intimité. Bien entendu, tu ne peux pas t’attendre à en avoir autant qu’avec les grands arbres du Cantonnement, mais ce sera plutôt agréable le soir, si tu es encore là.

— Mère, demande Pârvati, que fais-tu ici ?

— Une mère ne peut pas rendre visite à sa propre fille ? C’est une nouvelle mode de la capitale ?

— Même à la campagne, l’usage veut qu’on prévienne.

— Prévenir ? Je suis quoi, une crue subite, une invasion de criquets, une attaque aérienne ? Non, je suis venue parce que je m’inquiétais pour toi, dans cette ville, étant donné la situation actuelle… oh, tu m’envoies tous les jours des messages, mais je sais ce que je vois à la télévision, tous ces soldats, ces tanks, ces avions, et ce train en feu, épouvantable, vraiment. Et ici, en levant les yeux, je vois ces choses. »

Des avions-aeais patrouillent aux limites de la mousson et leurs ailes blanches reflètent la lumière du couchant quand ils virent et tournent à plusieurs kilomètres d’altitude au-dessus de Vârânacî. Ils peuvent rester là-haut des années, avait dit Krishân à Pârvati. Sans jamais toucher le sol, comme les anges des chrétiens.

« Mère, ils sont là pour nous protéger des Awadhîs. »

Elle hausse les épaules.

« Ach. C’est ce qu’on veut te faire croire, mais je sais ce que je vois.

— Mère, que veux-tu ? »

Mme Sâdhurbhaï remonte le pallav de son sari.

« Je veux que tu rentres à la maison avec moi. »

Pârvati lève les mains au ciel, mais Mme Sâdhurbhaï coupe court à ses protestations en reprenant la parole.

« Pârvati, pourquoi prendre des risques inutiles ? Tu te dis en sécurité, ici, et tu l’es peut-être, mais si toutes ces merveilleuses machines échouaient et que les bombes tombaient sur ton adorable jardin ? Ce risque n’est peut-être pas plus gros qu’un grain de riz, mais pourquoi le prendre ? Rentre avec moi à Kotkhaï, les machines de guerre awadhîes ne t’y trouveront jamais. Juste un moment, jusqu’à la fin de ces frictions. »

Pârvati Nanda repose son verre de châï. Le soleil, bas sur l’horizon, la force à s’abriter les yeux pour lire l’expression sur le visage maternel.

« Quelle est la vraie raison ?

— Je ne suis pas sûre du tout de savoir de quoi tu parles.

— Du fait que tu n’as jamais été persuadée que mon mari me respectait suffisamment.

— Oh, mais pas du tout, Pârvati, pas du tout. Tu t’es mariée dans notre jâtî et c’est un trésor sans prix. Ça me chagrine juste que des femmes ambitieuses… non, ce soir, nous dirons les choses comme elles sont : des resquilleuses de caste, voilà, c’est dit, cela me chagrine que des resquilleuses de caste fassent étalage de leur fortune, de leur mari et de leur situation sociale auxquels elles ont moins le droit que toi. Ça me blesse, Pârvati…

— Mon mari est un important fonctionnaire très respecté. Je ne connais personne qui parle de lui avec le plus infime manque de respect. Je ne manque de rien. Tu vois ce beau jardin ? Cet appartement gouvernemental est l’un des plus recherchés.

— Oui, mais c’est un appartement gouvernemental, Pârvati.

— Je n’ai pas la moindre envie de m’établir dans le Cantonnement. Ce que j’ai ici me satisfait. Je n’ai pas la moindre envie non plus de repartir avec toi à Kotkhaï dans une espèce de stratagème pour que mon mari fasse davantage attention à mes besoins parce que tu estimes qu’il ne m’apprécie pas à ma juste valeur.

— Pârvati, je n’ai jamais…

— Oh, pardonnez-moi. » Les deux femmes se taisent en entendant cette troisième voix. Krishân se tient en haut des escaliers, vêtu de sa meilleure tenue pour le cricket. « J’ai besoin de, euh, de vérifier la micro-irrigation.

— Mère, je te présente Krishân, mon jardinier-paysagiste. Tout ceci, il l’a fait de ses mains. »

Krishân salue d’un namasté.

« Une transformation remarquable, lâche Mme Sâdhurbhaï à contrecœur.

— Les jardins les plus beaux poussent souvent sur les terrains les moins prometteurs », répond Krishân avant de s’éloigner pour triturer inutilement tuyaux, robinets et régulateurs.

« Il ne me plaît pas », murmure Mme Sâdhurbhaï à sa fille. Pârvati croise le regard de Krishân qui, le ciel perdant de sa luminosité, allume des petites lampes à huile en terre cuite le long des plates-bandes. Les flammes minuscules tremblent et oscillent dans le vent apparu sur les toits. Le tonnerre gronde à l’est dans l’obscurité. « Il se montre familier. Il regarde en douce. Ce n’est jamais bon quand ils vous regardent en douce. »

Il est venu me voir, pense Pârvati. Il m’a suivie jusqu’ici pour être avec moi, me protéger des langues des resquilleuses de caste, être fort pour moi quand j’en ai besoin.

Le jardin est transformé en une constellation de lampes. Krishân s’incline devant les dames de la maison.

« Je vous souhaite une bonne nuit et espère vous retrouver en bonne santé demain matin.

— Tu aurais dû lui faire ramasser ces noyaux d’abricots, jette Mme Sâdhurbhaï dans le dos de Krishân qui redescend les escaliers. Ça risque d’attirer les singes. »

33

Vishram

Marianna Fusco a vraiment des mamelons superbes, pense Vishram en la regardant se hisser hors de la piscine et gagner sa chaise longue en dégoulinant sur le carrelage. Il les regarde sous le lycra mouillé : ronds, se logeant au creux de la paume, les pores plissés en petits sous-mamelons, veloutés, substantiels. L’eau froide les a fait se dresser comme des bouchons de champagne.