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« Ah, mon Dieu, c’est génial », déclare Marianna Fusco en secouant ses cheveux trempés avant de se nouer un châle en soie autour de la taille. Elle se laisse lourdement tomber sur son siège près de Vishram, s’allonge, met des lunettes de soleil. Vishram fait signe au garçon de servir le café.

Il n’avait pas fait exprès de s’installer dans le même hôtel que sa conseillère juridique. La guerre avait donné une grande valeur aux suites : dans chaque hôtel de Vârânacî, le parking débordait de camionnettes satellite et le bar de correspondants étrangers se racontant des bribes de leur ennuyeuse existence entre les conflits. Il ne s’était même pas aperçu qu’il s’agissait du même hôtel auquel il l’avait déposée après ce désastreux trajet en limousine le soir de leur arrivée, avant de la voir arriver en ascenseur dans le grand hall de verre de l’hôtel. Il reconnaîtrait n’importe où la coupe de ce tailleur.

La suite est d’un confort irréprochable, mais Vishram n’arrive pas à y dormir. Les motifs de vrille hypnagogiques peints sur le plafond de sa chambre lui manquent. Le réconfort érection-du-matin des gravures érotiques de Shanker Mahal lui manque. Les relations sexuelles lui manquent. Vishram observe la sueur perler sur le bras de Marianna avant même que les gouttes d’eau aient séché.

« Vish. » Elle ne l’a encore jamais appelé ainsi. « Je risque de ne plus rester bien longtemps. »

Vishram repose sa tasse de café en prenant soin qu’aucun cliquetis ne trahisse son désarroi.

« À cause de la guerre ?

— Le siège social m’a appelée : les Affaires étrangères conseillent à tout détenteur d’un passeport britannique de partir s’il peut se le permettre, et ma famille s’inquiète aussi, surtout après les émeutes…» Sa famille, cette querelleuse constellation de remariages ou concubinages brassant cinq races différentes dans des maisons mitoyennes en brique rouge du sud de Londres. Le devant de son maillot a séché au soleil, mais la partie près du siège, encore humide, continue à lui coller au corps. Vishram a toujours eu un faible pour les maillots une pièce. Dissimuler pour séduire. Le tissu moite et moulant met en valeur les courbes et la musculature de la région lombaire de Marianna Fusco. Vishram sent sa bite se réveiller dans son slip en soie de Vârânacî. Il adorerait la prendre là puis dans la piscine, leurs jambes entremêlées dans l’eau clapotante, avec le vrombissement de la circulation à l’heure de pointe du matin qui monte de la rue par-dessus le mur.

« Il faut que je te dise, Vish, je ne voulais pas vraiment de cette mission. Je travaillais sur d’autres projets.

— Ce n’est pas vraiment le boulot que j’avais en tête non plus, réplique Vishram. J’avais entamé une bonne carrière d’humoriste. J’étais drôle. Je faisais rire les gens. Ce n’est pas quelque chose qu’on balaye d’un geste : dis donc, Vishram, tu fais quoi comme bêtises en ce moment ? Eh bien arrête tout de suite et viens, il faut que tu t’occupes de trucs importants ici. Et tu sais ce qu’il y a de pire, ce que j’ai le plus de mal à avaler ? J’adore ça. J’adore ça, bordel. J’adore cette société, les gens qui y travaillent, ce qu’ils essayent de faire, ce qu’ils ont dans ce centre de recherches. Et ça m’embête vraiment, que ce salaud n’ait rien eu à foutre de mes sentiments et qu’il ait vu juste depuis le début. Je me battrai pour sauver cette compagnie, avec ou sans toi, et si c’est sans toi, si tu me quittes, j’ai besoin de te dire deux ou trois trucs, le premier étant que j’adore voir tes mamelons sous ce maillot, et le deuxième, qu’il n’y a pas un instant, que ce soit pendant une réunion, un briefing, au bureau ou au téléphone, où je ne pense pas à ce que nous avons fait à l’avant d’un BhâratAir 375. »

Les mains de Marianna Fusco sont posées à plat sur les accoudoirs. Elle semble morte, les yeux ainsi cachés par ses lunettes de soleil italiennes.

« Monsieur Ray. »

Oh putain.

« Viens, alors. »

Marianna Fusco est assez professionnelle et assez excitée pour ne pas s’ébahir de la taille de la suite avec terrasse qu’occupe Vishram au moment où ils en franchissent le seuil tout tremblants de désir. Il se souvient tout juste de se déshabiller comme il faut, à la manière des gentlemen, en commençant par le bas, puis elle arrache son sarong en soie et s’approche de Vishram en tordant le tissu translucide en une corde sur laquelle elle pratique une série de gros nœuds, comme ferait un thug. Le tissu extensible du maillot de bain résiste, mais c’est ce qu’elle veut et Vishram s’empresse de lui rendre ce service, il adore le contact du lycra dans ses poings quand il le déchire pour dénuder la jeune femme. Il essaye de se glisser dans son vagin, mais elle s’écarte en disant non non non, je ne laisse pas entrer ce truc là-dedans. Elle le laisse insérer trois doigts dans ses deux orifices, blasphème et s’agite violemment sur le tapis au pied du lit. Elle l’aide ensuite à insérer doucement en elle le châle en soie, nœud après nœud, puis l’enfourche, ses gros mamelons se détachant sur la lumière jaune de la tempête, le branle jusqu’à ce qu’il ait joui et se remet ensuite sur le dos pour qu’il lui masturbe le clitoris avec la base de son gros orteil, et quand elle se met à jurer et à taper des poings sur le tapis, elle se place dans la posture charrue du yoga, il enroule l’extrémité libre du châle autour de sa main libre pour le ressortir doucement, un blasphème et une convulsion de tout le corps accompagnant chaque nœud.

Le temps qu’ils retrouvent l’usage de la parole, il est onze heures vingt sur l’horloge murale rétro datant de la première décennie du siècle. Allongés côte à côte sur le tapis, ils boivent à la bouteille du whisky pur malt trouvé dans le minibar, tressaillent à chaque éclair et grognement de l’orage qui approche.

« Je ne pourrai plus jamais, jamais regarder ce châle de la même manière, avoue Vishram. Où as-tu appris ça ?

— Qui dit qu’il a fallu l’apprendre ? » Marianna Fusco roule sur le flanc. « Vous autres Indiens, il vous faut toujours un gourou. »

Un éclair plus fort emplit la pièce d’une lumière bleue de flash. Vishram repense à la photographie qu’il a vue ce matin-là en une de son site d’actualités : les visages blanchis par le flash de l’appareil, celui de l’homme bouche bée, celui du neutre à la beauté extraterrestre et asexuée avec des billets dans la main. Que font-ils ? se demande-t-il. Que pensent-ils pouvoir faire ? Et quoi qu’ils puissent faire, cela mérite-t-il de détruire la carrière et la famille d’un homme ? Il a toujours considéré et pratiqué les relations sexuelles comme un tout, un seul ensemble d’actions et de réactions, quelle que soit l’orientation sexuelle, mais alors qu’il se trouve là sur le sol avec Marianna Fusco, avec autour d’eux les lambeaux de son maillot une pièce et du serpent à nœuds du châle qu’il lui a amoureusement sorti du côlon, il s’aperçoit que c’est une nation comptant de nombreuses zones érogènes et réactions, autant de langues et de cultures que l’Inde.

« Marianna, dit-il, les yeux fixés sur le plafond, ne pars pas.

— Vish. » À nouveau le surnom. « Cette fois, il y a vraiment quelque chose qu’il faut que je te dise. » Elle s’assied. « Vish, je t’ai raconté que j’avais été engagée par ton père pour superviser la passation de pouvoir.

— Engagée, ah, d’accord, alors qu’est-ce que cela fait de ce qu’on vient de faire ?

— Tu sais, les véritables comiques que j’ai connus n’essayent pas d’être drôles dans la vraie vie. Vish, j’ai été engagée par une autre compagnie. Par Odeco. »

Vishram a l’impression de tomber à travers le plancher. Ses muscles se détendent, ses mains s’ouvrent, un involontaire âsana du cadavre.