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Des panneaux de données surgissent, couverts de manifestes flottants qui démontrent que l’attaque du Drone de Défense Aérienne 7132 sur le sundarban Badrinâth correspond au trou inexplicable dans les archives militaires. M. Nanda suit tout cela des yeux, mais il pense au professeur Naresh Chandra, très choqué d’apprendre les circonstances du décès de ses collègues. La plus grande partie de son équipe assurait des prestations de consultant à l’extérieur – c’est dans la nature des financements de recherche –, mais un sundarban… Il lui avait docilement ouvert leur bureau. M. Nanda avait déjà appelé l’unité de fouille. Il avait fait la moue devant leurs nombreuses cafetières – un mélange différent pour chaque occasion, apparemment – pendant que les flics Krishna parcouraient les fichiers. M. Nanda aurait beaucoup aimé pouvoir boire du café sans avoir l’impression que son estomac se dissolvait. Ils n’avaient mis que quelques minutes à trouver le lien.

Les graphiques peuvent bien chatoyer et séduire, tout ordre d’excommunication réussi atteint un point où les machines échouent et où les poursuites reposent sur l’élément humain. M. Nanda sort de la poche de sa veste à la Nehru un mouchoir de soie qu’il déplie. Il lève, noirci par le feu, l’image-disque d’un cheval blanc en train de se cabrer.

« Kalkî, annonce-t-il. Le dixième avatar de Vishnu, qui termine l’Âge de Kâlî. Un nom approprié, comme nous le verrons, pour une alliance contre nature entre une entreprise privée, Odeco, l’université et le sundarban Badrinâth. Odeco finance même certaines recherches de Ray Power. Mais qu’est-ce qu’Odeco ? »

Derrière lui, le globe virtuel se déploie en une projection de Mercator de la planète. Villes, nations, îles se dressent sur la surface, comme arrachées à la gravité : des flèches bleues apparaissent entre elles, traçant des arcs de cercle dans la stratosphère virtuelle. C’est la piste de l’argent, les sociétés-écrans imbriquées, les bureaux-devantures, les holdings et les cartels. La toile lumineuse enveloppe la carte, la projection se réduit à une sphère tandis qu’un rayon de lumière monte des Seychelles pour plonger en parabole vers Vârânacî : un jyotirlingam inversé, la lumière créatrice de Shiva qui jaillit de la terre de Kâshî, de retour après avoir longé la courbure de l’univers.

« Odeco est un fonds de capital-risque domicilié dans des paradis fiscaux, poursuit M. Nanda. Ses méthodes sont… peu orthodoxes. Il possède une petite vitrine à Kâshî, mais préfère opérer par l’intermédiaire d’un réseau de systèmes de négociation aeais. L’excommunication de Tikka-Pasta impliquait justement un système de ce genre, involontairement transmis par Jashwant. Il avait été hybridé par Badrinâth pour gérer un système de paris illégal, mais son noyau opérationnel ne cessait de fonctionner pour Odeco, de négocier pour lui en tâche de fond.

— Dans quel but ? demande Arora.

— À mon avis, financer la création de Kalkî, une intelligence artificielle de Génération Trois. »

Des murmures des haut gradés du Ministère. M. Nanda lève la main, et la sphère d’informations s’effondre sur elle-même. Les hommes du Ministère clignent des yeux dans l’éclat du soleil.

« Impressionnante présentation, Nanda, encore une fois, commente Arora en enlevant son hoek.

— Une présentation stimulante mais précise est le moyen le plus efficace d’établir les faits. » M. Nanda pose le disque d’ivoire sur la table.

« Le sundarban Badrinâth a été détruit, dit Sudarshan.

— Oui, par l’aeai Kalkî, pour effacer ses traces, d’après moi.

— Vous avez indiqué qu’Odeco finançait aussi Ray Power. Jusqu’où cela va-t-il ? Suggérez-vous que nous nous en prenions à Ranjît Ray ? Ce type est quasiment devenu un Mahâtmâ.

— Je suggère une enquête approfondie sur son plus jeune fils, Vishram Ray, qui a pris la tête de la division Recherche & Développement.

— Avant de vous attaquer à un Ray, vous avez intérêt à avoir quelque chose de sacrément solide.

— Monsieur, il s’agit d’une enquête sur une aeai de Génération Trois. Toutes les possibilités doivent être envisagées. Odeco a aussi financé une installation médicale extraterritoriale dans la Zone Franche de Patna, par l’intermédiaire d’une compagnie de gestion d’actifs américaine du Midwest. Il faut aussi enquêter là-dessus. Pour le moment, je n’exclus rien.

— Odeco est votre première cible », dit Arora. Dans son dos, le lourd front nuageux se brise comme une vague noire sur les fenêtres panoramiques.

« Je crois qu’il ne nous reste plus d’autre lien avec la Génération Trois. J’ai besoin d’une unité de soutien tactique aéroportée complète, avec renfort policier, et d’un embargo immédiat sur toute circulation d’informations en provenance ou à destination d’Odeco. Je demande aussi…

— Monsieur Nanda, notre pays est sur le point de livrer une guerre.

— J’en ai conscience, monsieur.

— Nos ressources militaires sont occupées à plein temps à protéger notre nation des menaces qui pèsent sur elle.

— Monsieur, il s’agit d’une aeai de Génération Trois. D’une entité dix mille fois plus intelligente que chacun de nous. C’est là, je crois, une menace pour notre nation.

— Il va falloir que je convainque le ministre de la Défense, dit Arora. Et il y a le problème des kârsevaks… Ils pourraient à nouveau exploser n’importe quand. » Il avait le visage de qui a avalé un serpent. « Nanda, à quand remonte notre dernière demande d’une unité de soutien tactique complète ?

— Comme vous le savez, monsieur…

— Mon collègue Sudarshan ne le sait peut-être pas.

— À la capture et l’incarcération en haute sécurité de J.P. Anreddy.

— Expliquez à mon collègue Sudarshan.

— M. Anreddy était un datarâja notoire, le huit de pique dans le paquet de cartes des personnes les plus recherchées par le FBI. Il s’était déjà évadé deux fois en se servant de microrobots pour infiltrer sa prison. J’ai demandé une unité de soutien militaire complète pour le recapturer et l’incarcérer dans une unité panoptique à surveillance maximale spécialement conçue.

— Voilà qui a dû coûter cher, marmonne Sudarshan.

— Monsieur Nanda, vous ne le savez peut-être pas encore, mais J.P. Anreddy a porté plainte contre vous pour harcèlement. »

M. Nanda cille.

« Je l’ignorais, monsieur.

— Il affirme que vous l’avez interrogé sans représentation légale, que vous avez eu recours à des tortures psychologiques et que vous l’avez exposé à la menace d’une mise en danger physique de sa vie.

— Si je puis me permettre, monsieur, je ne me soucie guère des allégations de M. Anreddy pour le moment. Qu’est-ce que…

— Nanda, il faut que je vous pose la question : tout va bien, à la maison ?

— Monsieur, met-on en cause mon professionnalisme ? »

Mais c’est comme si une balle à chemise d’acier lui avait arraché la moitié de la colonne vertébrale et que seul le choc de la mort le tenait encore debout.

« Vos collègues ont remarqué que vous vous absorbiez dans votre travail… que vous vous y absorbiez trop. Il me semble qu’ils ont dit : de manière intense.

— Un homme ne doit-il pas s’occuper sérieusement de son travail ?