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Le siège social d’Odeco est situé dans un modeste immeuble de bureaux au milieu d’un labyrinthe de boutiques vendant des uniformes scolaires et des saris. La pilote fait tourner l’ARB pour le glisser dans la rue étroite : les ailes éraflent les balcons et les poteaux électriques quand elle le pose sur le carrefour. Le souffle des réacteurs renverse des rangées de bicyclettes de l’autre côté de la rue. Une vache s’écarte tranquillement. Les commerçants s’accrochent à leur marchandise qui claque et ondule. Le train d’atterrissage se déploie, embrasse le béton. M. Nanda rejoint le détachement militaire et son équipe d’excommunication : Râm Lalli, Prasâd, Mukul Dev, Vik mal à l’aise dans son armure antiémeute par-dessus son accoutrement de rock-boyz StarAsia.

L’ARB s’enfonce sur ses amortisseurs. Rien ne bouge, rien ne s’agite sinon le vent en limite de la mousson, emportant dans les ruelles étroites papiers et lambeaux d’affiches de filmis. Un chien errant aboie. La passerelle descend au moment où les réacteurs s’éteignent. Les ARB se posent précisément aux deux autres endroits prévus, le quatrième pivote dans les airs face aux tours de néon de New Vârânacî, bondit de l’autre côté de l’immeuble de bureaux et positionne ses moteurs pour un vol stationnaire. Le rugissement dans les ruelles évoque le choc d’armées védiques dans le ciel. Son ventre s’ouvre, lâche des sowars aéroportés bhâratîs qui glissent au bas de filins. Sur l’affichage de casque de la pilote, ils descendent en rappel dans un canyon béant de dieux. Des charges creuses ouvrent le toit comme une boîte de ghî. Communiquant par signes, les sowars fixent maintenant leurs mousquetons au panneau solaire, puis plongent.

M. Nanda traverse un cimetière de bicyclettes. Il touche son oreille droite pour activer son hoek et Indra, dieu de la pluie et de l’éclair, fait son apparition au-dessus du quartier des merciers de l’ancienne Kâshî. Monté sur son vâhana, l’éléphant aux quatre défenses Airâvata, il brandit de la main droite le vajra du jugement. M. Nanda pose la sienne sur son arme. De véritables éclairs zèbrent le ciel derrière le corps d’un rouge translucide d’Indra : M. Nanda lève les yeux. De la pluie. Sur son visage. Il s’arrête, essuie les gouttes sur son front, les regarde avec émerveillement. Au même moment, Indra fait volte-face et il sent l’arme le viser.

Les robots bondissent hors de la galî non éclairée, dans le pépiement de leurs pieds et leurs griffes minuscules sur le sol. Robots-singes robots-chats robots comme des oiseaux sans ailes ou des insectes à grandes pattes, une vague de mouvement cliquetant déferlant en direction de la rue principale. M. Nanda lève son arme, tire, vise tire vise tire vise tire. Les grandioses contrepoints de Bach résonnent dans ses oreilles. Il ne manque jamais sa cible. Indra le guide de manière fiable et sûre. Les robots tournoient sur eux-mêmes, se heurtent, se cognent aux portes et aux murs tandis que les grosses gouttes tombant ici ou là deviennent pluie. M. Nanda remonte la galî, le pistolet braqué devant lui, trouvant infailliblement ses cibles de son œil laser rouge, les envoyant virevolter fumantes et brûlantes dans des pulsations précises de rayonnement électromagnétique. Les robots-singes escaladent les câbles, les affiches de mag-chatis et les panneaux publicitaires métalliques vantant une eau minérale ou une école de langue, se ruent vers les toits et les câbles téléphoniques. Indra les abat à coups d’éclairs. Derrière M. Nanda, les agents du Ministère, en rang, abattent ceux qui parviennent dans la zone d’excommunication. M. Nanda fait taire Jean-Sébastien et lève la main.

« Cessez le feu ! »

Les lignes électriques crépitent sous la surcharge tandis qu’on expédie au rebut les derniers évadés. Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, M. Nanda lit le dégoût sur le visage de Vik qui se débat avec son gros fusil d’assaut multifonctions. C’est ce que tu voulais, pense M. Nanda. Participer à l’action. Le flingue et l’équipement.

La pluie tombe, lumineuse dans les projecteurs ventraux de l’ARB en vol stationnaire. Le souffle des réacteurs et la tempête en approche font tourbillonner les gouttes en voiles brillants.

« Il y a quelque chose de pas normal », annonce M. Nanda d’un ton tranquille, et la mousson éclate alors sur Vârânacî. En un instant, M. Nanda se retrouve trempé jusqu’aux os, le costume gris colombe collé au corps. Il s’efforce d’essuyer ses yeux aveuglés par la pluie. Insensible à la mousson, Indra se dresse dans les éclairs et les trombes d’eau au-dessus de Kâshî, cité vieille de cinq millénaires.

Les sowars traversent le toit et s’écrasent sur les tables, les meubles de rangement et les ventilateurs tombés du plafond, renversant écrans, tasses de châï et distributeurs d’eau. Armes braquées, ils quadrillent le bureau paysager avec leurs visions nocturnes. C’est un bureau sans vie et plongé dans l’obscurité au milieu d’un déluge. La pluie se déverse par les trous qu’ils ont pratiqués à l’explosif dans le toit. La subedâr-chef fait signe à ses sowars de protéger les preuves. Tandis qu’ils font glisser cubes et piles de processeurs à l’abri du déluge, elle appelle M. Nanda par son micro de gorge. Une autre mudrâ et ses troupes se redéploient, activant leur batterie de détecteurs à la recherche de traces d’activité aeai. Les éclairs lui font un visage effrayant. Elle entend monter les javâns de la police régulière dans les niveaux inférieurs. Elle fait signe à ses guerriers de prendre position. Il n’y a rien. L’esprit qui demeurait à cet endroit a fui.

M. Nanda indique à son équipe de se rapprocher.

« Qu’est-ce qui n’est pas normal ? » demande Vik. Il a les cheveux divisés en mèches plaquées au crâne, le nez et les plis de ses amples vêtements qui dégoulinent. Il lève les yeux vers Indra, là-haut au-dessus de la chaotique ligne de toits de Kâshî.

« C’est un leurre. » M. Nanda donne un coup de pied au cadavre d’un robot de maintenance, recroquevillé comme un poing serré. « Ce n’est pas la Génération Trois se divisant en sous-aeais pour s’échapper. C’est délibéré. Ils veulent que nous détruisions tout. » Il parle dans son gant-palmeur. « À toutes les unités, cessez le feu, n’engagez pas le combat. »

Mais les deux sections au nord et à l’ouest sont trop occupées à pourchasser les robots-singes par-dessus les balles de soie de sari et entre les présentoirs d’uniformes d’écolières, tandis que les propriétaires lèvent les mains au ciel en se lamentant à voix haute et que les pulsations électromagnétiques effacent la mémoire de leurs tiroirs-caisses. Dans leurs tenues de combat qui prennent la couleur des saris devant lesquels ils passent, les javâns courent en criant derrière les machines qui sautent et bondissent, traversant les réserves, passant devant les chowkidars cachés les mains au-dessus de la tête dans des encoignures de portes, montant plusieurs escaliers en béton jusqu’à pousser le dernier des robots sous le feu des sowars. C’est comme un tir aux pigeons du Râj. Pendant quelques instants, la lueur des charges électromagnétiques induites surpasse celle des éclairs.

M. Nanda pénètre dans le bureau détruit. Il regarde les chutes d’eau circulaires s’écraser sur la mauvaise moquette. Il regarde les robots fumants, les écrans fracassés, les meubles défoncés. Contrarié, il pince les lèvres.

« Qui est l’officier responsable ? »

Le casque de la subedâr-chef s’ouvre et se rétracte dans le capuchon de sa tenue de combat.

« Subedâr-chef Kaur, monsieur.

— Ceci est une enquête sur une scène de crime, subedâr-chef Kaur. »

Des voix, des bruits de pas à la porte. Les sowars retiennent un Bangladais de petite taille mais de toute évidence vigoureux, d’une élégance de mainate dans son costume noir inexplicablement sec.