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Elle faillit le gifler mais se contenta de le quitter sans accepter ses excuses. Elle rentra chez elle, pleura, ne dormit pas de la nuit mais en arriva paradoxalement à envisager de recevoir encore une fois Umberto Abdone. D’abord parce que c’était dans la logique des choses comme le lui avait démontré Paulo, et ensuite pour se venger de ce dernier qu’elle sentait éperdument jaloux.

Entre midi et deux heures elle reçut donc Abdone et fit l’amour avec lui. Il était insatiable et très compliqué dans ses désirs mais elle accepta tout sans répugnance. Elle espérait avoir gagné ainsi le temps nécessaire pour continuer cette enquête qui n’en finissait pas.

Elle avait désormais toutes les preuves, les imprimantes, les références déposées dans un coffre à sa banque, ce qu’elle trouvait d’un humour très noir. Ne manquait plus que le V.E.C. et son quartier général secret.

— J’ai cherché du côté de Naples, lui dit un vendredi soir di Maglio, et j’ai trouvé. Un ancien monastère qui autrefois a servi de lieu de séjour aux dignitaires fascistes. Nous partirons demain matin si tu le veux bien. Pour un petit village de montagne qui se nomme Dioni.

32

C’étaient deux vieilles femmes qui avaient travaillé autrefois pour le monastère, du temps de la splendeur de Mussolini. Elles connaissaient les bâtiments mieux que personne et elles avaient indiqué à la Mamma comment pénétrer à l’intérieur sans avoir besoin de se présenter à la grande porte.

— Elle voulait visiter les lieux sans en demander la permission. Nous avons essayé de l’en empêcher mais elle est têtue.

— Oui, dit Kovask, très. Le couple de jeunes Allemands est allé avec elle ?

— Mais oui. C’est ce qui nous a rassurées, mais Emma dit qu’ils ne sont pas ses amis.

Pour pénétrer dans le monastère il fallait passer en dessous des bâtiments, suivre un véritable sentier de chèvres creusé dans la falaise au-dessus du vide. Puis on remontait des marches taillées dans le mur et on atteignait une porte en fer.

— Mais, dit Kovask, comment l’ouvrir ?

— Nous avions dérobé la clé, dit simplement Élisa. Quand nous étions en retard, nous passions toujours par là pour ne pas nous faire gronder par le portier et enlever une heure de salaire.

— C’est de la folie, dit Peter. Une clé rouillée depuis trente-cinq ans, une serrure qui ne doit plus fonctionner.

— Cesca Pepini a pris une petite fiole de pétrole et une burette d’huile, dit Élisa.

— Personne ne connaît ce chemin ? demanda Kovask qui doutait lui aussi.

— Non, personne. Le monastère est en surplomb. Il y a des arcs-boutants et personne ne regarde jamais depuis le bas. Depuis le haut on ne peut pas distinguer la paroi.

Il faisait nuit et ils suivaient ce sentier en partie éboulé, chacun avec une lampe de poche à la main. Peter s’était aussi chargé d’un sac à dos avec divers outils, quelques provisions. Ce passage étroit aurait même rebuté une chèvre espiègle et en dessous c’était le vide d’où montaient des tourbillons de vent glacé.

— Je crois que c’est l’escalier.

— Tu parles d’une escalade… La Mamma a dû se faire pousser au cul par les deux jeunes pour passer là.

La porte en fer était bien là, repoussée dans son logement sans tour de clé. Il y avait des traînées d’huile sur les gonds, la serrure, une odeur de pétrole qui prenait à la gorge.

Sur une feuille de cahier d’écolier, Élisa et Emma avaient vaguement dessiné un plan d’accès aux différents bâtiments. La porte ouverte ils se trouvaient dans une sorte de corridor immense qui parcourait le sous-sol. Là où autrefois les fascistes de Rome entassaient des milliers de bouteilles, toujours d’après les deux vieilles femmes.

« — Les résistants n’ont pas dessoûlé d’une semaine », disaient-elles.

Il y avait encore des monceaux de tessons de bouteilles, des casiers en bois pourris par l’humidité. Et partout les faisceaux du régime barrés de faucille ou de marteau, de V de la victoire. Ils allèrent vers l’escalier qui remontait vers la cour la plus étroite, que l’on appelait cour des communs.

— Regarde, dit Peter.

Sur le sol, la Mamma avait laissé des empreintes de pétrole. Elle avait dû marcher dedans devant la porte et la trace n’était plus visible en haut des marches. De la cour des communs ils pénétrèrent dans l’ancienne salle de cinéma dont l’écran avait été arrosé par les mitraillettes lors de la Libération. Les fauteuils avaient été cassés, ouverts à coups de couteau. Puis c’était la salle de bal avec ses lambris dorés, ses marbres, son luxe de fin d’empire romain mais tout était saccagé, en lambeaux, le marbre cassé à coups de marteau. Peter s’indignait mais Kovask, lui, ne jugeait pas. Il comprenait la colère de ceux qui avaient pénétré dans ce haut lieu du luxe et de la tyrannie après des années de terreur.

Une nouvelle cour, indiquée sur le plan comme cour d’honneur et il n’y avait toujours personne. C’était dans cette cour, immense, qu’un hélicoptère pouvait se poser. Au centre il y avait un cercle blanc. Elle était éclairée par une sorte de projecteur fixe.

— D’où vient le courant ? demanda Peter.

— Tu ne sens pas la vibration au sol ? Un groupe électrogène quelque part.

Ils évitèrent de traverser la cour d’honneur directement, suivirent les arcades qui formaient l’ancien cloître dont les ouvertures ogivales donnaient sur le vide. Ils voyaient quelques lumières dans la plaine saccagée par le tremblement de terre, des feux de bois autour desquels se regroupait toute la misère du Sud.

D’autres salles de réception, des salons immenses, anciennes salles conventionnelles, des reliefs de luxe débridé, ostentatoire, des faisceaux en marbre brisés au sol, d’autres en fer doré que l’on avait grattés pour récupérer la poudre du métal précieux. Des tessons de bouteilles. Puis à nouveau une cour étroite, nommée cour des Invités. Tout à fait au fond il y avait une dernière cour et elle se nommait cour du Duce. L’appartement de Mussolini se trouvait là, mais on disait qu’il n’avait pas passé une seule nuit à Dioni.

Kovask se souvenait de ce qu’avait dit l’étrange garçon qui les avait reçus tout à l’heure ; l’aile orientale avait souffert du séisme. Ils approchaient de cette aile centrale.

Brusquement dans la cour du Duce une lumière aveuglante qui les fit reculer précipitamment, chercher refuge dans une petite pièce, toutes proportions gardées, elle mesurait quarante mètres carrés ! De là ils purent accoutumer leurs yeux et voir. L’étrange spectacle.

Des projecteurs, quatre au moins, véritables sunlights éclairaient a giorno les ruines d’une construction qui s’était détachée du reste du monastère, deux étages tassés sur eux-mêmes. Derrière des remparts, construits hâtivement avec les pierres des ruines, ils comptèrent six silhouettes armées de pistolets-mitrailleurs.

— Ils surveillent quoi ? Où est la Mamma ?

Kovask hocha la tête.

— Je l’ignore. Mais il y a quelqu’un dans les ruines. Quelqu’un qui a été surpris par le tremblement de terre mais qui doit encore vivre et qui ne permet pas qu’on approche.

— Cette Macha Loven et son ami di Maglio ?

— Certainement. Et s’ils sont là c’est qu’ils ont tout fouillé dans la journée de dimanche. Fait des découvertes aussi.

— Mais la Mamma.

— Soit elle prépare un coup pour la nuit, soit elle s’est fait surprendre. Il est possible que les Allemands soient des familiers de cet endroit.

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