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Kovask alla acheter des pizzas, des sandwiches et des beignets. Il put aussi se procurer une bouteille de vin et apporta le tout à Peter qui tapait la semelle près de la jeep.

— On va coucher dans la montagne ?

— Je fabriquerai un igloo, dit Kovask. Tu verras, je suis le roi des igloos et même je crois que je vais me lancer dans la fabrication en gros de ce style de construction.

Peter n’avait pas l’air d’apprécier ce genre d’humour. Il mordit dans une pizza, but un coup de vin à même la bouteille mais il le trouva trop capiteux.

— Il faut mettre les chaînes, sinon on ne fera pas un kilomètre. Kovask avait tracé le chemin secret sur sa carte d’état-major. Il n’y figurait que comme sentier muletier. La lutte des Italiens contre le pouvoir central se devinait à ce genre de détail.

9

Le curé avait raison, ils durent bientôt faire face à des congères énormes. Pourtant il existait toujours un moyen pour passer et la Mamma se souvenait que des gens de Dioni étaient descendus pour se rendre à Naples dans un véhicule militaire… Pourquoi Naples et non une ville plus proche, pourquoi ce dévouement subit des militaires qui ne montraient pas toujours autant de zèle ?

Les deux Allemands avaient des pelles pour la neige et ils travaillaient avec acharnement lorsqu’un obstacle empêchait la Fiat de passer. Eux, ils venaient toujours derrière avec leur grosse Volvo solide. Pourquoi s’accrochaient-ils à elle ? Au début elle n’y avait vu qu’une manifestation de sympathie mais depuis la veille elle n’était plus aussi décontractée avec eux. Depuis l’autoroute du soleil ils la suivaient. Elle n’avait pas voulu faire de la paranoïa en voyant des ennemis partout mais ces deux-là étaient vraiment un peu trop présents. Ils lui rendaient service mais elle les soupçonnait d’idées préconçues.

— Ces gens de Dioni sont étranges, non ? Vous avez compris ce que disait le curé ?

— Oui, très bien compris.

— Ça ne vous fait pas peur ? Tout un village resté mussolinien ?

— L’Albanie est restée stalinienne, elle, dit le garçon, et nous y sommes allés cette année. On ne nous a pas dévorés tout crus…

— On apporte des couvertures, des vêtements, de la nourriture, dit la jeune fille qui s’appelait Olga. Son compagnon c’était Stefan et elle ignorait tout de leurs noms de famille et de leur origine.

— Je crois qu’on peut rouler, dit le garçon.

Ils parcoururent quelques centaines de mètres et ce fut à recommencer. Il fallut à nouveau pelleter, un passage étroit, ou bien trouver en dehors de la route une zone qui supporte le poids des voitures dans l’espèce de forêt aux arbres très petits. Des chênes verts, des arbousiers, toute une végétation méditerranéenne étrange sous cette neige.

La Mamma fit halte vers midi et leur proposa de manger un morceau, de boire quelque chose de chaud, du café instantané par exemple. Mais Olga avait aussi du thé, des biscottes, du beurre et du fromage à tartiner. Ils étaient dans une vallée encaissée et il continuait de neiger, faiblement. Au-dessus d’eux le ciel était bouché et personne n’aurait pu se douter qu’il y avait un village dans les environs. La route n’avait pas été refaite, regoudronnée depuis la fin du fascisme. Sanction, mise en quarantaine des survivants du petit village noir ? Pourtant ailleurs c’était la Démocratie Chrétienne qui régnait et passait plus volontiers son temps à se méfier des rouges que de ces survivants de la préhistoire politique. Alors ? Elle ne savait que penser après les révélations du curé.

— Ces fascistes perdus dans la montagne ne vous ont pas rebutés, hein ? fit-elle soudain…

— S’ils ont besoin de nous, commença tranquillement Olga en croquant sa biscotte surchargée de beurre et de miel… Nous ne voulons pas savoir…

— Ils vont être gâtés, ceux-là, ricana la Mamma espérant les pousser à des confidences… Nos deux voitures sont pleines à craquer… Et ils n’ont encore vu personne… C’est tout de même étrange, vous ne trouvez pas ? La tendance politique n’explique quand même pas tout… Il y a trente-cinq ans que la guerre est finie…

Elle se refit un grand quart de café qu’elle avala à petites gorgées. Il y eut du bruit non loin d’eux et les deux Allemands sursautèrent. Elle vit que Stefan regardait vers la Volvo comme pour y trouver refuge ou peut-être y prendre quelque chose, une arme. Elle avait elle-même une carabine de chasse et on avait raconté tellement de choses sur les mauvaises rencontres que l’on pouvait faire avec les mafiosi de Naples.

— Un sanglier peut-être.

— Non, dit Olga en souriant, une grosse quantité de neige qui vient de tomber d’un arbre.

— La température se radoucit, dit la Mamma.

Elle sortit ses cigarillos guatémaltèques et ils en prirent chacun un. Elle en fut surprise, pensa qu’ils finiraient par les jeter mais ils parurent apprécier leur parfum un peu sauvage.

— Nous allons bientôt basculer sur l’adret, dit-elle, et je pense que le soleil de l’après-midi nous aidera un peu en faisant fondre la neige.

De la main elle montrait une zone de ciel bleu qui devait s’étendre sur la partie méridionale de la montagne. Elle supposait que Dioni était bien exposé, sinon pourquoi des dignitaires mussoliniens auraient-ils choisi ce coin pour leurs vacances ?

Mais pour accéder au col ce fut une sorte d’épopée et ils devaient pelleter la neige sans arrêt au point que la Mamma se demanda si elle n’allait pas renoncer. Kovask et Peter se trouvaient sur l’autre flanc de la montagne peut-être. Ils atteindraient Dioni avant elle, débrouilleraient l’affaire. Elle s’était obstinée, trop fière pour demander que quelqu’un l’accompagne, affirmant qu’elle pouvait aller seule, qu’ainsi elle attirerait moins l’attention mais c’était bien fichu. Olga et Stefan l’avaient remarquée, eux, et devaient savoir ce qu’elle venait faire dans le coin alors qu’elle ignorait pourquoi ils s’y trouvaient.

— Je me demande, haleta-t-elle, si je ne vais pas faire demi-tour. À mon âge ce genre de sport n’est pas conseillé.

— Ne vous inquiétez pas, dit la fille blonde, on s’occupe de tout. Allez-vous asseoir dans votre voiture. On vous fera signe quand vous pourrez y aller.

Prévenants avec ça ! Revenue dans sa Fiat elle but un peu d’eau, épongea son front et essaya de réfléchir. Peut-être que si elle décidait de faire demi-tour ils seraient très ennuyés. Si c’était le cas n’était-ce pas la preuve qu’ils avaient besoin d’elle, qu’ils comptaient sur elle pour résoudre une difficulté ?

Étaient-ils des amis de Macha Loven ? C’était fort possible. La recherchaient-ils, ou bien y avait-il une autre explication à leur présence.

Olga lui fit signe qu’elle pouvait avancer et elle mit en route, roula très lentement entre deux murs de neige. La Fiat se dressa soudain de façon invraisemblable pour franchir une butte qu’ils n’avaient pas eu le courage de pelleter entièrement, bascula soudain et resta pendue par le milieu avec ses roues arrière qui patinaient. En riant les deux jeunes gens poussèrent de toutes leurs forces et le mauvais passage fut franchi mais ce n’était pas le seul, malheureusement.

10

Durant les semaines qui suivirent l’attentat de Bologne, Macha Loven travaillait souvent cinquante heures pour regrouper tous les renseignements nécessaires à son hypothèse. Non seulement elle surveillait étroitement les ordres bancaires, les données en mémoire et les sorties financières mais elle effectuait en dehors, dans différents endroits, journaux, bibliothèques et chez elle un travail de recherche énorme. Elle accumulait toutes les informations sur les échanges commerciaux entre l’Italie d’une part, Israël et le Liban, et sur la manière dont ces transactions étaient réglées.