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II hocha la tête ; le rouge lui montait aux joues.

Oui, Andy. Oui. Il comprenait. Bien sûr qu’il comprenait. Et il se trouvait passablement idiot d’avoir à se le faire expliquer. Il supposa qu’il avait l’esprit un peu lent aujourd’hui, surpris qu’il était par les événements troublants de cette journée.

« Tu sais, dit-il, Cindy m’a tenu à peu près le même langage le jour où le ranch a été bombardé. Elle me disait qu’il y avait des millions de gens de par le monde qui trouvaient tellement plus facile de faire tout ce que les Entités leur disaient de faire. » II laissa échapper un petit gloussement. « Eh oui, les dieux étaient là, ils sont rentrés chez eux comme ça, sans prévenir, et maintenant personne ne comprend plus rien à rien. Comme Khalid se plaît à le répéter, les voies d’Allah sont impénétrables. »

Ce fut au tour d’Andy de prendre un air perplexe. « Les dieux ? Putain, de quoi tu parles, Frank ?

— Encore un truc que Cindy m’a expliqué. Que les Entités étaient comme des dieux descendus du ciel pour venir parmi nous. Le Colonel y croyait aussi, d’après elle. Bon sang, nous n’avons jamais rien compris aux Entités. Elles étaient bien trop au-dessus de notre niveau. Personne n’a jamais trouvé pourquoi Elles ont débarqué ici ni ce qu’Elles voulaient de nous. Elles sont venues, c’est tout. Elles ont vu. Elles ont vaincu. Elles ont reconstruit notre pauvre monde selon leurs besoins. Et une fois qu’Elles ont accompli ce qu’Elles voulaient accomplir, Elles sont parties sans même nous dire pourquoi Elles partaient. Donc les dieux étaient là, et puis ils sont rentrés chez eux ; et maintenant, sans eux, nous sommes dans le noir. C’est bien ça, hein, Andy ? Qu’est-ce qu’on fait quand les dieux rentrent chez eux ? »

Andy le regardait d’un air bizarre. « Et c’était ce qu’Elles étaient pour toi aussi, Frank, des dieux ?

— Pour moi ? Non. Des démons, voilà ce qu’Elles étaient. Des démons. Je les détestais. » II s’éloigna d’Andy et commença à avancer, traversant les rangs de tous ces gens hébétés, debout en face de l’immeuble du LAGON. Nul ne lui prêta attention.

Il passa au milieu d’eux, scrutant leurs visages, leurs yeux vides. Des somnambules. Ils faisaient peur à voir. Mais il comprenait leur crainte. Il la ressentait un peu lui-même – cette désorientation, ce désarroi qui s’était emparé de lui lorsqu’il avait appris que les Entités s’en allaient avait sa source dans la même incertitude. Qu’allait-il arriver au monde maintenant que l’épisode des Entités était terminé ?

Un épisode. Voilà ce que cela avait été. Oui. L’invasion, la conquête, les années de domination extraterrestre… rien qu’un épisode unique, si insolite qu’il ait été, dans la longue histoire de l’humanité. Une cinquantaine d’années sur des milliers. Les années aliénées, dirait-on avec le recul. Et rien que de penser ainsi à la conquête, de lui donner l’appellation d’épisode, Frank sentit qu’il émergeait enfin du brouillard qui l’avait enveloppé depuis le moment où Andy l’avait informé du départ des Entités.

Les années aliénées avaient grandement changé la face du monde, certes. C’était toujours le cas pour de semblables épisodes. Ce n’était pas la première fois qu’une grande calamité transformait le monde. Cela s’était produit à plusieurs reprises. Les Assyriens arrivaient, ou les hordes mongoles, ou les nazis, ou la peste noire, ou encore des êtres descendus des étoiles – peu importait – et rien n’était plus pareil ensuite.

Mais tout de même, songea Frank, quoi qu’il arrive, les éléments de base de l’existence perduraient : le petit déjeuner, le déjeuner, l’amour, le sexe, le soleil, la pluie, la peur, l’espoir, l’ambition, les rêves, le contentement, la déception, la victoire, la défaite, la jeunesse, la vieillesse, la naissance, la mort. Les Entités étaient arrivées, Elles avaient éliminé, Dieu seul savait pourquoi, tout ce qui était fixe et stable dans le monde ; et puis Elles étaient parties, allez savoir pourquoi ; et nous voilà encore là, avec tout à reprendre à zéro, aussi inévitablement que tout recommence avec le printemps une fois que l’hiver en a fini avec nous. Tout est à reprendre à zéro. Dieu sait pourquoi, Lui, mais pas nous. Il faudrait qu’il en parle à Khalid une fois de retour au ranch.

« Frank ? »

Andy était arrivé derrière lui. Frank le regarda par-dessus son épaule mais ne dit rien.

« Ça va, Frank ?

— Evidemment que ça va.

— Tu me plantes là comme ça. Tu te balades au milieu de ces gens. T’as quelque chose qui te trotte dans la tête. Les Entités te manquent à toi aussi, c’est ça ?

— J’ai dit que je les détestais. J’ai dit que c’était des démons. Mais si, si, Elles me manquent, d’une certaine façon. Parce que maintenant je sais je n’aurai jamais l’occasion d’en tuer une. » II se tourna franchement vers Andy. « Tu sais, quand tu m’as dit qu’Elles étaient parties, ça m’a rendu furieux. Après la mort de mon père, j’avais tellement voulu être celui qui les chasserait. Même si je savais que nous n’en étions probablement pas capables. Mais maintenant, contre toute attente, je perds jusqu’à cette possibilité.

— Tel père, tel fils, hein ?

— Pourquoi pas ?

— D’accord. Anson n’avait qu’une envie : passer à la postérité comme l’homme qui nous avait libérés des Entités. Et ça l’a brisé de vouloir ça. Ça l’a complètement brisé. Tu veux subir le même sort ?

— Je ne suis pas aussi fragile que mon père… Tu sais, Andy, les seuls humains qui aient réellement tué des Entités sont Khalid et Rachid, et ils s’en fichaient complètement. C’est pour ça qu’ils ont réussi. Je ne m’en fichais pas, moi, mais je n’aurai jamais plus l’occasion d’agir contre Elles et ça m’a mis à plat un bon moment quand je m’en suis rendu compte. Alors je crois que suis un peu comme les autres, là. » Geste du bras en direction des fantômes qui traînaient les pieds tout autour d’eux. « Ils sont bouleversés d’avoir perdu leurs Entités adorées. Je suis bouleversé parce que je n’ai plus d’Entités à haïr.

— Tu veux peut-être faire quelque chose pour te défouler, alors ? Tu vas dans cet immeuble, tu en sors le quisling du LAGON par la peau du cul et tu dis à ces braves gens de le pendre au réverbère le plus proche. Collaboration avec l’ennemi. Car les collaborateurs seront punis, n’est-ce pas ?

— Je ne crois pas que tuer les quislings soit une réponse, Andy.

— T’en vois une autre ?

— Démolir les Murs, pour commencer. Tu crois que ça va être difficile, de démolir les Murs ? »

Andy le dévisageait comme s’il avait perdu la tête. « Ça va être un putain de boulot, ouais.

— On se l’appuiera quand même. On les a construits, on doit pouvoir les démolir. » Frank inspira à fond. Cet autre mur, le mur à l’intérieur de lui-même, ce mur de stupéfaction et de désespoir paralysant commençait à se fissurer et à s’écrouler. Son incertitude, son désarroi face au départ des Entités – toutes ses entraves disparaissaient.

Son regard se porta vers le ciel rayonnant et limpide, traversa ses profondeurs pour atteindre les étoiles cachées au delà et l’astre inconnu qui était la patrie des Entités. Il aurait incinéré cet astre du regard, s’il l’avait pu, tant il avait soif de revanche.

Mais quelle revanche était possible contre des dieux qui étaient venus ici-bas, avaient rendu le monde méconnaissable, puis s’étaient enfuis comme des voleurs dans la nuit ?

Restaurer le monde dans son état antérieur, pardi ; et le rendre encore plus beau. Voilà ce qu’il ferait. Ce serait sa revanche.

À présent, il pensait comprendre ce qui était arrivé au monde. En nous envoyant les Entités, l’univers nous a envoyé un message. Le problème, c’est que nous ne savons pas lequel. Le travail qui nous attend au cours des cent, cinq cents prochaines années, peu importe le temps que ça prendra, sera de trouver la signification de ce message venu des étoiles.