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Je murmure avec un sourire :

— Je parie que vous vous faites bâtir une maison sur la Costa Brava, non ?

Abasourdi, il acquiesce. Pas d’erreur, je suis le diable.

J’ajoute :

— Avec piscine !

On pourrait croire qu’il est mis en accusation par la Sainte Inquisition car il baisse la tête.

Je reprends :

— Tu le connais, le porte-documents du vieux qui a disparu dans l’incendie de la Mercedes ?

— Si.

— Il ressemblait à quoi ?

— A rien. Une serviette qui fermait à l’Eclair, quoi !

— Ton patron y tenait ?

— Je crois, si. Il la gardait dans son coffre.

— Sais-tu ce qu’elle contenait ?

— Y avait jamais rien dedans.

— Comment ça ?

— Moussiou la prenait sur ses genoux, la caressait, l’ouvrait. Il la fermait et la replaçait dans lé coffre.

— Et tu prétends qu’elle était vide ?

— Toujours.

— Ça ne te paraissait pas singulier ?

Singulier, ses moyens ne lui permettent pas de comprendre : mot trop savant. Je réitère en usant de « curieux ». Là il mimique évasif. Les patrons, hein ? S’il fallait s’occuper de leurs marottes, à ces cons !

— Il l’avait depuis longtemps ?

— Non, quelques semaines.

Je me dis que j’ai bien fait de rendre cette tardive visite à Gonzalo : il est riche en tuyaux, le bougre, avec sa petite bitoune de banderilleur sous cape.

— Encore une chose, Miguel : connais-tu un copain de ta duchesse nommé Albert Baugland ? Il est officiellement tondeur de chiens sur les Grands Boulevards.

— Si, on mène toiletté le bichon de Moussiou.

— Qui l’y conduit : Moussiou, ou Madamé ?

— Madamé, toujours. Moussiou craint les autres chiens qui ont souvent des virous. L’été délicate.

Le lézard ibérique écoute les piétinements de sa femme, en haut. La Conchita, énervée, peureuse aussi, va et vient dans la chambre. Elle finit par s’agenouiller pour la prière du soir dont on perçoit le ronron oraisonesque. Machinalement, Miguel se signe.

Je juge le moment venu de prendre congé. Il me raccompagne jusque dans le jardin.

C’est alors que je décèle une lumière bleutée à travers une haie qui m’avait échappé quand je suis venu chez les larbins.

Je lui demande ce dont il s’agit.

— C’est lé mausolée dé la prémière Madamé, répond l’esclave.

— Comment ! Elle est enterrée ici ?

— Moussiou a obténou l’autorisatione. Esté muy beau, señor. Vous voulate voir ?

Curieux de vocation, je réponds que oui et il me guide jusqu’à une sorte de clairière entourée d’ifs, dans le fond de la propriété. Au centre de ladite se dresse un tombeau de marbre blanc, en comparaison duquel le plus beau mausolée du cimetière de Naples n’est qu’une guitoune à outils de cantonnier limougeaud. Figure-toi un édifice de cinq mètres sur six, couronné de clochetons, de tours, de poternes, « enrichis » de sculptures qui toutes évoquent la Très Sainte Vierge Marie. La porte du tombeau est de fer forgé travaillé comme une gaufrette bretonne. Il y a des vitraux, des colonnettes, des fresques, des bas et des hauts-reliefs.

Le larbin me fait signe d’approcher de la porte. Il coule sa dextre entre des motifs de fer pour atteindre un commutateur électrique et donne la lumière. A l’intérieur se trouve un piédestal de bronze avec, posé dessus, un cercueil tellement fabuleux qu’il ferait chialer de jalousie un notable chinois.

— C’esté beau, n’est-cé pas ?

— Superbe.

— Moussiou vient sé récouillir tous les jours. Parfois, il fait coulissare lé couvercle pour la voir car il y a oune deussième couvercle en verre.

— Pas possible ! On peut regarder ?

Là, il est affolé, Miguel. Tire une salve de signes de croix tout en bribant de la prière espanche spéciale pour possédés du démon. Je profane, je sacrilège en présentant pareille requête.

— Ma la morté elle est sacrée, señor !

Il éteint, se resigne en plusieurs exemplaires et regagne son foyer. Va-t-il conclure sa soirée en achevant le visionnement du fil porno ? M’étonnerait. Je leur ai cassé le coup. Il n’a plus la tête de nœud à ça, l’Espingo. Dans l’ombre, je lui adresse un geste et me dirige vers le portail ; mais ne le franchis pas. J’attends une dizaine de minutes. Tout est obscur dans l’hôtel particulier de Sanfoyniloix. Poussé par une force mystérieuse, je retourne au mausolée.

Ce cadavre conservé dans une propriété particulière me trouble. Je me dis qu’après la mort du duc, il va singulièrement la déprécier. T’imagines la frite des éventuels acheteurs quand « la personne de l’agence » leur fera visiter le jardin ?

« — Et ça, entre les ifs ? Un oratoire ? »

« — Non : un tombeau. »

Merde, la douche !

« — On pourrait pas l’évacuer au Père-Lachaise ? »

« — Impossible, les volontés du duc sont formelles ! »

« — Bon, ben je vais réfléchir… »

La porte ouvragée est fermée à clé et plutôt deux fois qu’une. C’est pour cela, d’ailleurs, que je suis revenu. Initialement, elle a été pourvue d’une grosse serrure ancienne ; mais on y a adjoint une seconde, de sûreté celle-là. Et beaucoup plus récente.

Trêve de profanation, bien que n’étant pas nécromancien, je mets mon sésame en action. Son turbin est plus coton qu’à l’accoutumée mais je suis parvenu à une telle entente avec lui que je finis par le faire triompher.

J’entre dans le sépulcre et m’approche du catafalque de bronze, en gravis la marche et promène ma main sur le couvercle d’acajou massif. Je ne tarde pas à rencontrer une espèce de minuscule targette sous la moulure. Je l’actionne et pousse. Comme m’en avait prévenu Miguel, le couvercle de la bière coulisse sans que j’aie à exercer une forte pesée. Y a du roulement à billes bien huilé dans ce cercueil.

L’ayant dégagé au max, je tire ma lampe de fouille à surintensité convexe. Alors la défunte m’apparaît. Elle a été magnifiquement embaumée, pourtant quelques taches « désagréables » se lisent sur son visage cireux. Au coin des narines principalement, ainsi qu’au front. Cela ressemble à du vert-de-gris.

Il est impossible de juger la beauté d’une morte, néanmoins on constate que feue la duchesse fut très belle et qu’elle a trépassé avant les impitoyables atteintes de l’âge. Elle a été inhumée dans une robe de dentelle noire avec, dans ses cheveux, le diadème ducal des Sanfoyniloix. Chose curieuse, ses mains, qui étaient probablement croisées sur un chapelet aux grains d’améthyste, se sont disjointes. La droite a gardé sa position initiale et le chapelet y est encore fixé, mais la gauche a glissé le long de sa hanche et repose à plat sur le capiton.

Je suis en train de me dire que je passe une drôle de nuit. Probablement, la plus rare et la plus péripétienne de ma carrière.

Le faisceau acéré de ma calbombe continue d’errer sur l’intérieur du cercueil. Quelque chose me trouble dans la position de la morte, que je ne parviens pas à définir. J’ai beau la contempler, sa main déconcentrée mise à part, tout est normal et je reste perplexe.

Je me connais bien, et je me dis que mes « sensations » reposent toujours sur du réel. Aussi décidé-je de ne pas me retirer avant d’avoir découvert ce qui cloche.

Franchement, je me demande quelle délectation peut éprouver le duc à venir contempler ce qui fut magnifique, certes, mais qui n’est plus qu’une statue de cire vénéneuse. La mort des autres ne nous laisse rien, que dans l’âme, et vouloir prolonger les apparences de la vie est une dérision honteuse ; une atteinte à la vie elle-même et aussi à la mort !