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Est-ce un effet de mon imagination ? Une suggestion de mes sens ? Mais il me semble respirer l’abominable odeur de la mort à travers le panneau vitré.

Je gagne un instant la porte pour respirer l’air coupant de la nuit hivernale. Tiens, en fin de compte, Miguel a remis sa bande vidéo pour se payer un beau jeton de pafs effervescents et de cramouillettes fondantes avant d’aller rejoindre sa rombière au paddock. Il a raison ! Exister, c’est copuler.

Je retourne à la morte. Et poum ! Du premier coup j’entrave. Elle est déséquilibrée ! Ça, qui me taquinait la rétine. Pour ça que sa main gauche a glissé. Au lieu d’être bien à plat dans sa bière, elle s’y trouve un tantinet inclinée sur le côté gauche. Je contourne le catafalque pour aller examiner le côté droit. En moins de temps qu’il n’en faut à un Rital pour avaler un spaghetti de quarante centimètres, j’ai pigé. Un affolement me gagne. Les nerfs, pardi ! Je suis sur les rotules, ma pomme. Une nuit de ce calibre, y a que les marathoniens de la danse qui pourraient l’assumer !

Je me palpe. Je rêve d’une boîte à outils. Impossible d’aller en demander une au valet. Il me croit parti et cultive son asperge à la mano pour faire une belle surprise à bobonne. Alors quoi ? Mon couteau suisse ? Et pourquoi pas ? Le couvercle de verre est composé d’une simple plaque épaisse, maintenue par un serti de caoutchouc.

M’aidant du poinçon incorporé au surin helvète, j’entreprends de décoller la bande caoutchoutée. C’est duraille au départ, mais ensuite t’as plus qu’à tirer dessus. Je débigoche le serti sur trois faces et soulève la lourde plaque de verre. Madoué ! Quelle odeur ! Je me retiens de respirer ! Une puanteur indicible me saute dans les voies respiratoires. De quoi gerber ! De quoi s’enfuir ! Pourtant, avec cette implacabilité qui fait ma force, je coule une main dans le cercueil, saisis la femme embaumée par l’épaule et parviens à la basculer complètement sur sa gauche.

Mon geste profanateur est monstrueux mais payant. Il me permet de constater qu’un second cadavre gît sous celui de la défunte duchesse de Sanfoyniloix. Un cadavre d’homme. Lui n’est pas passé entre les mains de l’embaumeur et il fouette comme tout un charnier mis à jour. Alors je m’efforce de remettre la morte dans sa position initiale, puis de rajuster tant mal que bien le caoutchouc autour du couvercle vitré.

Vingt minutes plus tard, je me retrouve au volant de ma 500 SL, puant comme il n’est pas permis. J’ai hâte de prendre un bain brûlant. J’y collerai une chiée de mousses odoriférantes, et ensuite je viderai un flacon d’eau de Cologne sur mon corps. Mais l’atroce senteur demeure dans mes fosses nasales. Même en usant de cotons-tiges imbibés de Goménol, je ne parviendrai pas à l’en chasser.

Malgré le froid intense de la nuit, je baisse les vitres de mon bolide, espérant que le courant d’air glacial chassera cette putréfaction et que la bonne odeur de cuir teuton reprendra ses droits.

Je ne vais pas loin, la rue de la Pompe étant relativement proche de la rue d’Andigné. Rue de la Pompe pour aller tailler des pipes, elle est cocasse, la seconde dusèche !

Voilà le 206 ! Je fous ma tire sur le trottoir, à défaut de place convenable. En aurai-je violé, des lourdes, cette nuit ! A croire que je suis devenu serrurier ! C’est délictueux, je sais, mais tellement pratique. Dans le fond, on s’habitue vite à l’illégalité. Simple question d’accoutumance. Transgresser les lois, c’est comme berner le fisc : il y a que la première fois qui te fait battre le cœur.

« Troisième gauche « , a précisé le valeton espingo. Il a bien fait car aucun nom ne figure sur le tableau des locataires, non plus que sur la porte. J’ouvre et me coule dans un baisodromme raffiné. D’un mauvais goût somptueux. Il pue le foutre ! Une coquette entrée tapissée de velours vert. Au-delà, un adorable petit salon, capitonné lui aussi. Les murs sont garnis d’images salaces. Deux canapés rampants, une large table basse, lestée de boissons alcoolisées et d’une profusion de gadgets achetés dans des sex-shops. L’endroit est expressément « fait pour ». Une ambiance bordelière, capiteuse et craignos.

C’est vraiment une frénétique du zob, la mère Dusèche ! Elle doit passer le plus clair de son temps à ramasser des pafs pour leur faire rendre gorge. Une gonzesse de cet acabit, tu ne peux jamais la rassasier. Sitôt une bourrée finie, une fellation consommée (aux deux sens du terme), et la voilà qui repart en quête de nouveaux membres actifs !

Je me dis que la chambre ne doit pas être triste. Effectivement, c’est le champ de manœuvre dans toute sa fonctionnalité. Rigoureux comme un court de tennis. Ici, c’est un court de pénis. Entièrement revêtu de miroirs : les cloisons, le plaftard, le sol lui-même. Au centre, un lit rond sans drap de dessus ni couverture. Le vrai terrain d’exercice !

Dans un angle de la pièce il y a un placard (à la porte garnie d’une glace pour ne pas rompre l’harmonie vertigineuse). Je l’ouvre. A l’intérieur est amoncelé un matériel tout à fait spécial : longues bottes noires, fouets, martinets, chaînes, gilets garnis de petits clous, cartons emplis de sous-vêtements féminins suggestifs qui vont des slips fendus, aux soutiens-gorge découpés dans leurs parties renflées. Le Jardin des Supplices ! Putain, la viceloque ! Ça va beaucoup plus loin que la bonne ogresse baiseuse à laquelle elle fait croire, Catherine. On côtoie le pervers, voire le sadisme ! Elle doit organiser de monstres parties fines dans son « laboratoire » à coïts. Tiens ! Y a pas de vidéo. Ça manque à sa panoplie, les films X. Va-t-elle les visionner chez son Vatel espagnol ?

Épuisé jusqu’à la moelle, je m’assieds sur le lit où doivent se perpétrer tant de parties culières particulières. J’ai comme un vertigo. L’odeur insane du sépulcre m’accable au plus profond de mon être, comme l’écrivait Mme Louise de Vilebrequin à Henry Malraux. Trop c’est too much, disent ces braves Anglais qui parlent peu mais connement. Tu connais le procès Suss ? Tu t’allonges en te disant : « Cinq minutes pour récupérer. » Et boum ! Au tas ! Te voilà parti dans la plume. Une masse ! T’es minéralisé. Out ! La vraie dorme féroce consécutive à ton intense fatigue. Tu ne sens plus rien. Tu ne rêves pas. Si tu as quelques pensées subconscientes, elles ne s’impriment pas dans ta mémoire. A quoi bon parler du « hors du temps » ?

Je passe au retour à la réalité. La chiasse, c’est la lumière qui subsiste pendant ma roupillade. Oh ! elle est feutrée, savante ! Elle permet juste de repérer un bout de slip, une lèvre de chaglatte, la fine crénelure d’un trou du cul, malgré tout, à force, elle finit par être importune et dérange le sommeil le plus massif. Moi, si on me filait au gnouf, ce qui m’incommoderait le plus, ce serait de ne jamais pouvoir me réfugier dans l’obscurité. La ténèbre impressionne parfois, mais réconforte toujours. Elle est le retour au néant d’où nous venons et où nous allons. Le refuge suprême.

Et donc, la luce m’éveille. Mais est-ce vraiment la lumière ? J’avais mon visage dans le creux de mon coude.

Je crois percevoir un bruit étrange, étouffé, menu, lointain. Mais imprécis. Juste une notion de présence, tu saisis ? Vient-ce de chez le voisin d’à côté ?

Je retrouve mon assiette. Gueule de bois. Mal de cœur. Léger vertige. L’odeur ! Je renifle. Pouah ! Et pourtant… Un autre remugle se mêle au premier. Une senteur forte mais qui m’est familière. Une odeur que j’aime bien parce qu’elle correspond à quelque chose ou à quelqu’un d’important pour moi.

Je cherche la salle de bains : j’y tiens plus, il faut que je me dessouille. A poil, tour-de-main. Tiens, je bande ! L’épuisement est un aphrodisiaque, il me sert de cantharide. J’ouvre à flots les robicos de la baignoire en marbre noir. J’y flanque toutes les poudres, les mousses, lotions et autres produits cosmétiques que je peux trouver. Ça produit une montagne floconneuse qui s’élève jusqu’au plafond (en miroir idem). Voluptueusement, je me coule dans ce bâtiment de bulles. J’use une savonnette neuve de chez Roger et Gallet à me frotter de partout. Une brosse de crin opportune vient surenchérir. Me voilà propre jusqu’au sang.